BBB

par Benoit de Liège, avec l'aide précieuse de Fiona Adler

14/05/06

Genèse et histoire de la société Adolph Frankau & Co Ltd

En 1847, Adolph Frankau arrive à Londres et comprend rapidement les opportunités que présente le marché du tabac, en pleine expansion. Il fonde la société “Adolph Frankau & Co” et devient importateur de pipes en écume et de fournitures en rapport avec le tabac. Il prend sous son aile un jeune garçon de 14 ans, Louis Blumfeld. L'affaire prospère rapidement jusqu'au décès d'Adolph Frankau en 1856. Sa veuve se prépare à vendre la société.

Entre en scène Thomas Carlyle (1795-1881), auteur de “Héros et culte des héros”. Ce dernier conseille à Madame Frankau de ne pas vendre, mais de confier l'avenir de la compagnie aux mains du jeune Louis Blumfeld, alors agé de 18 ans. Carlyle devait avoir une très haute opinion du jeune Louis, et cette confiance fut justifiée par sa prise en charge de l'affaire, son enthousiasme et son énergie inépuisable. Louis se rend rapidement compte, comme d'autres, du grand potentiel de la Bruyère, dont l'intérêt vient d'être reconnu.

Louis Blumfeld développe dès le début d'importantes relations commerciales internationales, avec un succès particulier au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Inde et dans l'extrème Est de l'Europe, en Suisse et, avec une mention spéciale, au Danemark. Si les USA n'ont jamais été un marché extraordinaire, une succursale est tout de même ouverte à New York. En fait, la stratégie commerciale se focalisait surtout sur les pays de l'Empire Britanique. Peu avant 1914, A Frankau & Co a aussi été dépositaire exclusif pour les pipes Cherry Wood de la maison Ropp pour couvrir le Royaume-Uni et ses colonies.

Si les BBB sont ses pipes les plus connues, A Frankau & Co a possédé plusieurs marques de pipes: Capt. Kidd, Fairway (“F” en blanc; FAIRWAY/LONDON MADE/ENGLAND), Frankau's (London Made/Made in England), Glokar, Major Daff, Snap-Fit. Il semble aussi qu'Ultonia et Nec Plus Ultra doivent être considérées comme des marques à part entière, malgré le fait qu'elles sont présentées comme étant des lignes de produits sous le label BBB. Cela expliquerait leur absence des catalogues BBB.

La nécessité de fabriquer à Londres devient pressante, c'est pourquoi, au tournant du siècle, A. Frankau & Co possède un large entrepôt et des bureaux au 121 Queen Victoria Street, un service d'exportation dans Upper Thames Street et ouvre une fabrique en 1898 à Homerton, High Street 112 (puis 154) jusque dans les années 80 quand Cadogan regroupe ses activités de fabrication à Southend-on Sea.

En ce temps-là, A Frankau & Co produit aussi des Calabashs. Les calebasses utilisées sont originaires d'Afrique du Sud et sont des fruits qui peuvent servir de tuyau (appelé aussi gourde, dans ce cas-ci) utilisable pour les pipes. Cela devenait difficile de s'approvisionner en calebasses vu la demande grandissante et l'attention constante qu'il faut porter à la culture. BBB met en place un département spécial pour fabriquer les calabashs, n'utilisant que de l'écume pour faire le fourneau alors que certains de leurs concurrents utilisent du plâtre de Paris et même de l'asbeste (amiante). La fabrication des calabashs survécu à la guerre 14/18, mais ce conflit détruisit la demande.

Les années 20 ne furent pas faciles pour les fabricants de pipes, et A Frankau & co est intégré par “A. Oppenheimer & Co. Ltd1”. C'est d'ailleurs à cette époque que Comoy’s of London, Dr. Plumb et Loewe & Co. passent sous le contrôle d'Oppenheimer, ce qui pousse la compagnie à créer “Cadogan Investments Ltd.2” à Cadogan Square, Londres, dans les années 30, pour fabriquer et vendre ses pipes. La fabrique d'Homerton passe sous le contrôle de “Marechal Ruchon & Co” (dans les années 1970, la fabrique prend le nom de “Fairfax Traders”), et continue à produire les BBB de manière traditionnelle. Finies, les pipes avec une bague en argent et les étuits. Cependant, BBB continue, commes les autres sociétés du groupe “Cadogan”, à fonctionner commercialement comme une compagnie indépendante. BBB se concentre sur un certain nombre de pipes à système qui étaient en général des commandes, et sur de nouvelles finitions.

Richard Esserman pense que Dunhill a sous-traité à BBB la fabrication des têtes pour ses Bent Magnums jusqu'en 1923. En fait, quand les compagnies de la CIL stoppèrent de se disputer l'une l'autre, toutes les têtes furent tournées dans les installations d'une nouvelle fabrique cise à Stratford, Carpenters Road. CIL acheta aussi des machines Zuckerman celles-ci étant plus efficaces. Les ateliers de finissage fermèrent, et les pipes furent finies à Aldershot et parfois aussi à Shoeburyness.

A cette époque, c'était une pratique courrante dans le commerce d'offrir aux autres sociétés les têtes en surplus à des prix convenus. Cadogan avait l'habitude de vendre des tête de grade A à Dunhill, et de lui acheter des têtes de grade II, III et IV. Mais ils ne finissaient pas les pipes pour les autres compagnies: vendre des têtes de grade A à Dunhill était plus profitable que de leur en faire des pipes !

1876

1950/60

2002

La marque BBB

Les initiales BBB dans un losange sont utilisées très rapidement, et la marque a été la première marque de pipe a être enregistrée lorsque le “Trade and Marks Act” prend effet en 1876. Assez bizarrement, BBB s'inscrit sous deux numéros, les numéros 39 et 40 : en numéro 39, le sigle BBB dans le losange (date de dépô t: 1er janvier 1876; publié le 3 mai 1876 en page 21 du Trade Mak Journal) pour la classe 341 (Tabac, brut ou manufacturé et cigarettes), en numéro 40, un simple B pour lequel aucune image n'est disponible (mêmes références de dépôt et de publication) pour la classe 50 (Biens manufacturés en ivoire, en os, en bois, en substance végétale ou animale, pipes à tabac, cigares et cigarettes (cigar and cigarette tubes). Notons que Oppenheimer inscrit à nouveau BBB (du numéro 39) pour un nouveau logo sous le numéro 2288663 (date de dépôt: 20 décembre 2001; publié le 13 février 2002 en page 2634 du Trade Mark Journal) pour les classes 14 (étuis à cigare et cigarettes, boites à cigares et cigarettes, porte-cigares et cigarettes, tous en métaux précieux) et 34 (Tabac et produits du tabac, articles pour fumeurs, pipes, blagues à tabac, porte-pipes, briquets, matériel de nettoyage pour pipes, porte-cigares et cigarettes, étuis à cigares et cigarettes, humidors). Au niveau européen, Oppenheimer enregistre BBB sous le numéro 002100907, date de dépôt: 22 février 2001, date d'enregistrement: 7 octobre 2002, pour les classes 14 et 34 et sous le numéro 0863111 pour la classe 34 (date de dépôt: 20 octobre 2005).

La production BBB

On pense que les premières BBB furent en fait importées, et que les initiales voulaient symboliser, au départ, Blumfeld's Best Briars. Petit-à-petit, ces initiales furent comprises comme Britain's Best Briars.

Au départ, BBB produit deux qualités. L'une, BBB Own Make, devint finalement BBB Best Make, les autres pipes étant simplement estampillées BBB. Il y a des raisons de croire que les Own Make étaient en fait produites à Londres (Reject pipes have an R stamped on them. ), alors que les simples BBB étaient importées, et ce , jusqu'à l'aube du 20ème siècle. Cependant, si tout ça n'est pas très clair, il est probable que les lignes bas-de-gamme étaient importées de Saint-Claude.

La collection BBB suit les mêmes lignes que les autres fabricants de pipes de la seconde moitié du 19ème siècle. Les formes étaient similaires aux modèles populaires avec une prédominance des courbées. Un majorité d'entre elles avaient une bague en argent. Dans le même temps, BBB continue à livrer des pipes en écume.

BBB a probablement été le premier à proposer des pipes avec un filtre en papier, la Mackenzie, qui était disponible elle aussi en deux qualités (Mackenzie, deuxième marque de BBB, pourrait avoir été produite en République d'Irlande. Tuyaux en ébonite). Ce procédé date d'avant 1900 comme le prouve une lettre datée du 27 août 1891 de Sir Morrel Mackenzie (1837-1892) dans laquelle celui-ci suggère de fabriquer des modèles avec un plus long tuyau. La marque survécut jusque dans les années 60.

On pense que BBB a été l'un des premiers à appeler la forme Lovat “Lovat”, pipes conçues avec un large conduit pour un meilleur passage d'air. Cependant, la firme “Friedlands” pourrait avoir adopté ce nom au même moment. Les Lovats ont apparu bien avant 1914 et furent proposées à la vente par BBB en quatre dimensions différentes, dont une série appelées Highland. Le colonel Henry Francis Fraser (1872-1949) , Lord of Lovat, doit avoir fait la publicité de cette forme faite en son honneur et qui est toujours populaire de nos jours.

Alors que les formes des pipes en bruyère sont similaires à celles des autres marques, les modèles développent un caractère distinct très recherché de nos jours par les collectionneurs. BBB gagne d'ailleurs la médaille d'or à l'Exposition Franco-Britanique à Londres de 1908 (Frank Bowcher, 1864-1938) et à l'Exposition Universelle et Internationale de Bruxelles en 1910, médaille de Godefroid Devreese (1861-1941). On retrouve ces médailles, notamment sur les dépliants publicitaires des années 50 et 60.

A l'époque, la pratique voulait que l'ordre de prix soit en fonction de la matière du tuyau: vulcanite, corne, ambre, ambrolith, ... De même, le prix variait aussi de le même façon que la taille de la pipe. Par exemple, en 1914, le prix de gros d'une billiard simple devait varier entre 15 shillings et 22 shillings et 6 pence à cause de la taille de la pipe et du floc (pas de vis ou tenon). Quoiqu'il en soit, il semble étrange qu'une Liverpool de cinq pouces de long avec un tuyau en ambre coutait 12 shillings en grande quantité alors que la même avec un tuyau en ambrolith coûtait, elle, 19 shillings.

BBB pensait essentiel de lancer des séries spéciales comme les Chubby, Golfer, Dreadnought (probablement désignée ainsi en rapport avec la classe de bateaux de guerre), Bellerophon (sic) et Cutty (petits modèles).

BBB proposait jusque 20 lignes dues a différentes combinaisons intelligentes de tuyau, finitions et étuits. Elles avaient toutes une bague en argent. Autour de 1910, les BBB Own Make peuvent se vendre jusqu'à 2£ 10 shillings alors que les pipes uniquement estampilées BBB se vendent 5 à 6 shillings.

Dans les années 30, le haut de gamme devient “BBB Best Make” avec des variantes comme “Super Barrage” et “Ultonia Thule”. The BBB Carlton, vendue au détail à 8/6 en 1938, est pourvue d'un système compliqué en métal, système qui équipait la BBB London Dry aussi. Les Blue Peter n'était pas estampillées BBB mais BBB Ultonia, et les BBB Two Star (**) deviennent le bas de gamme. Les calabash sortent des catalogues, mais quelques pipes avec étui et quelques écumes sont encore produites. Les formes aussi sont typiques de cette époque: la moitié sont des billiards, quelques princes et bullcaps, un nombre limité de bulldogs et de courbées. C'est aussi à cette époque que les séries haut de gamme reçoivent une incrustation du sigle BBB en métal, alors que les séries bas de gamme n'ont que le tuyau gravé.

Du milieu des années 1950 à celui des années 60, les lignes sont relativement stables. Au sommet, l'Own Make “Rare Grain”, puis la ligne virgin avec foyer en écume, l'Own Make “Virgin”, l'Own Make “Walnut” et enfin l'Own Make “Thorneycroft”.

Actuellement, Cadogan utilise de la bruyère espagnole pour la plupart de ses pipes, et réserve la bruyère du Maroc pour la production de haute qualité. Avant de leur être envoyée, la bruyère a séché entre 6 et 12 mois.

Pour éviter toute confusion et un excès de documents dus à l'utilisation des grades propres à chaque marque faisant partie du groupe, Cadogan a adopté un système de huit grades communs à toutes les marques. Le grade A est une bruyère qui a un beau grain, sans aucune imperfection visible. Les grades B ont un beau grain, mais avec quelques petits points noirs et maximum trois puits de sable qui seront mastiqués. Le grade “Best Make” a aussi un beau grain, avec maximum cinq petits puits de sable. Les têtes qui ont un grain de qualité variable et maximum six puits de sable sont de grade MO. Les pipes de second grade sont soit des bruyère de grain médiocre mais sans défauts ou de beau grain mais avec jusqu'à huit petits ou deux gros puits de sable. Les troisième, quatrième et cinquième grades sont des pipes dont la qualité décroit proportionnellement.

1Adolph Oppenheimer démarra une affaire d'import export général en 1860, et son frère, Charles, rejoignit la compagnie dans le courant de l'année. Adolph pris sa retraite en 1870 et déménagea en Allemagne, où il devint Consul Britannique puis Consul Général, laissant Charles prendre le contrôle des affaires. Louis Adler, qui était le beau-frère des Oppenheimer, devint un collaborateur quand Adolph quitta la compagnie. Les deux frères n'eurent pas de descendance, et la propriété de la compagnie passa à la famille Adler. Vers 1870, la compagnie importait les pipes GBD en Grande-Bretagne depuis Paris. L'association d'Oppenheimer avec GBD était un tel succès qu'en 1897, Oppenheimer devint l'agent exclusif de la compagnie pipière française. Cinq ans plus tard, les propriétaires français de GBD, Marechal Ruchon & Co., fusionnèrent avec A. Oppenheimer.
2Le slogan de Cadogan, “Pipemakers Since 1825,” fait référence à la première pipe en terre que Francois Comoy fabriqua en 1825.
Les pipes de Cadogan ont été fabriquées en de nombreux endroits disséminés autour de Londres et à Saint-Claude, mais avec l'achat d'Orlik Pipe Co. En 1980, Cadogan a regroupé l'entièreté de sa fabrication dans la nouvelle usine de Southend-on-Sea, usine spécialement construite pour l'industrie pipière.
Cadogan continue à fabriquer les pipes GBD, Comoy’s of London, BBB, Dr. Plumb, Loewe et Orlik (depuis 1980). Ils font aussi les pipes Kaywoodie pour le marché britannique et ont récemment accepté de fabriquer les Sasieni pour James B. Russell.
Toutes les classes proviennent de la classification de Nice. Pour plus de renseignement, voir: www.wipo.int/ classifications