Le meilleur de Blumfeld

par Jacques Cole

1982
BBB Pipes

Rendre hommage à un jeune homme de 18 ans au XIXème siècle pour la part qu’il a prise dans la réussite d’une entreprise peut sembler tiré par les cheveux. Ce fut pourtant le cas avec BBB.

En 1847, Adolph Frankau arrive à Londres, et voit rapidement les possibilités offertes par un marché du tabac en pleine expansion. Il s’installe comme importateur de pipes en écume de mer, et d’autres articles tabagiques. Il a pris sous son aile un jeune garçon de 14 ans, nommé Louis Blumfeld. Les affaires sont prospères, jusqu’au décès d’Adolph Frankau en 1856. Sa veuve était prête à revendre l’affaire, mais, conseillée par Thomas Carlyle, auteur de On Heroes and Hero Worship and the Heroic in History et ami de la famille, elle en confie les cordons au jeune Louis Blumfeld, tout juste âgé de 18 ans.

Carlyle avait une très haute opinion, justifiée par sa connaissance des affaires, son enthousiasme et son énergie débordante, du jeune Louis, qui avait perçu le grand potentiel de la bruyère, récemment découverte. Très vite, les initiales BBB dans un diamant apparaissent, et ce sigle devint le premier enregistrement pour une marque de pipe (N°40), quand le Registration of Trade Marks Act devint le Taw en 1876. On pense qu’en fait les premières BBB étaient des modèles importés, et que les initiales signifiaient Blumfeld's Best Briars, devenues progressivement Britain's Best Briars. Au tournant du siècle, fabriquer à Londres même apparaît comme une évidence. Frankau & Co disposait d’un grand entrepôt et de buraux à Queen Victoria Street (EC), d’un département exportation dans l’ Upper Thames Street, et d’une usine à Homerton.

BBB Pipes

La maison BBB suivait les habitudes répandues dans cette deuxième moitié du XIXème siècle par les autres fabriques : formes identiques, avec une prédominance des courbes, et montures en argent, et proposait toujours des pipes en écume.

Caractères distinctifs

Alors que ses formes étaient similaires à d’autres fabricants, leurs modèles avaient un caractère qui les distinguait des autres, et qui font qu’encore aujourd’hui ils sont recherchés par les amateurs. A la base, BBB proposait deux séries : Own Make, devenue BBB Best Make, et l’autre marquée simplement BBB. La fourchette de prix était déterminée, comme cela se faisait alors, par le matériau utilisé pour les tuyaux, ébonite, corne, ambre, ambroïde, et par la taille. Ainsi, avant la guerre, à la vente à la douzaine, le poids d’une pipe variait du simple au double en fonction de la taille bien sûr, mais aussi du type de montage, à vis ou simple. Il nous semble étrange aujourd’hui qu’une liverpool de 12,7 centimètres équipée d’un tuyau en ambre était vendue 12 livres pièce, alors que celles munies d’un tuyau en ambroïde se vendaient 7 livres de plus.

BBB a mis un point d’honneur à introduire des gammes spéciales, entre autres la série Chubby the Golfer. Il est probable qu’une des premières pipes munies de filtres papier était la BBB Sir Morell Mackenzie. On sait même que ce modèle a été réalisé avant 1900, par une lettre de Sir Morell Mackenzie, suggérant aussi des tuyaux plus longs. La marque a survécu dans les années 1960. Je pense que BBB a créé une forme de lovat, avec une plus grande ouverture pour un meilleur tirage, apparu bien avant la première guerre mondiale, et proposé en quatre taille, sous l’appellation Highland. Sans doute en forme d’hommage à Lord Lovat, qui a dû favoriser cette forme.

BBB Pipes

Rapidement, Louis Blumfeld développe son entreprise à l’étranger, avec succès, notamment au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, ainsi que l’Inde, l’Extrême-Orient et l’Europe, la Suisse et, surtout, le Danemark. Les USA n’ont jamais été un grand marché, mais malgré tout AF and Co a aussi obtenu les droits des pipes Ropp Cherry Pipes, peu avant 1914, pour le marché anglais et ses colonies.

A ce stade, il faut attirer l’attention sur les pipes calabash. La calabash est un fruit cultivé en Afrique du Sud, dont seule la tige intéresse les pipiers. Il devient de plus en plus difficile de les cultiver, car elles demandent une attention constante. BBB leur consacre un département spécial, employant uniquement l’écume de mer pour la doubler, alors que d’autres se servent de plâtre de Paris ou d’amiante. BBB arrivait à proposer 20 modèles différents, en combinant les raccords, les revêtements et les étuis proposés. Toutes étaient montées avec une bague en argent. Les prix d’époque laissent rêveurs : 2,5 livres anglaises pour les plus chères vers 1910 ! Les meilleures étaient marquées BBB Own Make, les autres BBB. Si les calabash ont survécu un temps, la guerre a tué le marché.

C’est que les années suivantes n’ont pas été faciles pour le marché pipier. Finis les tuyaux bagués argent sur les modèles courants, BBB va se concentrer sur les pipes à système, de plus en plus demandées. De nouvelles finitions vont apparaître.

Viennent les années 30 : le haut de gamme devient BBB Best Make, avec des marquages comme Super Barrage, ou Ultima Thule. La BBB Carlton, munie d’un sustème métallique compliqué, devient BBB London Dry. La BBB Blue Peter reste, mais abandonne son BBB, et les plus vendues restent les Ultonia et Two Star. Plus de calabash, mais toujours des écumes. Les principales formes sont d’époque, comme les billiards, les princes ou les bullcaps, et en moindre quantité les bents et les bulldogs. C’est aussi l’arrivée des tubes en métal que l’on peut remplacer, inlay.

Retour à la case départ

Après la deuxième guerre mondiale et les problèmes d’approvisionnement qui en découlent, vient en 1947 le centenaire de la marque. La demande est là, et BBB allait revenir sur le devant de la scène.

BBB Best Make, Ultonia et Two Star sont de nouveau les principales séries, mais l’expérience de Frankau and Co démontre que les formes et les finitions doivent être renouvelées pour répondre à la demande. Le Danemark, par exemple, toujours très bon client, avait ses finitions particulières – et les pipiers Danois sont passés par là. Le Danemark a toujours apprécié les formes classiques, mais avec des finitions particulières, comme, vers la fin des années 1950, la finition mate à l’huile.

Aux USA, jamais BBB n’a été aussi demandée. Frankau and Co ne craignait pas d’annoncer les meilleures pipes en finition virgin, proposées dans les modèles les plus larges.

De nouvelles formes font régulièrement vivre la marque, et malgré le fait que les formes classiques restent … classiques, et très demandées, BBB introduit de nouvelles formes, modernes sans être scandaleuses. Une vingtaine de ces nouvelles formes font dorénavant parties des 80 formes proposées. De nouvelles finitions sont proposées, afin de mettre en valeur la bruyère, et on emploie dorénavant le nylon et l’acrylique.

De nouvelles générations pointent leur nez, comme les BBB Siver Grain, Contrast, ou Banker. Si Carlyle n’avait pas convaincu madame Frankau de laisser l’entreprise à Louis Blumfeld, BBB pourrait bien ne pas avoir survécu.

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