Ca marche !

par Erwin Van Hove

17/10/11
calabash system
calabash system

Il y a du nouveau dans l’air. Ca a commencé avec les célèbres Bees de Mikaïl Revyagin aux tiges bulbeuses surdimensionnées. Loin d’être une simple trouvaille stylistique, aux dires de l’audacieux pipier russe, ces impressionnantes protubérances servent un véritable but : étant évidées, ces tiges sont des chambres qui visent à refroidir et assécher la fumée. Puis ce sont Tom Eltang et Rolando Negoita qui simultanément et de concert ont sorti respectivement leur série Tubos et Conducta, des pipes en forme de coude dont la tige évidée a fondamentalement la même forme et le même diamètre que le fourneau. Enfin le pipier bulgare Georgi Todorov qui vend ses créations sous le nom de marque Getz Pipes, s’est mis à commercialiser des pipes basées sur le même principe qu’il a baptisé Calabash inside system.

Calabash. Voilà, le mot est tombé. Parce que toutes ces pipes aux tiges surdimensionnées évidées s’inspirent de l’anatomie d’une calabash : pendant que la fumée passe du foyer au tuyau, elle circule dans une vaste chambre où elle stagne, refroidit et condense, se débarrassant ainsi d’un excès d’humidité, le résultat étant une fumée fraîche et sèche. Ce système – il est important de le mentionner – n’a strictement rien à voir ni avec le fameux Peterson system qui n’est rien d’autre qu’un petit collecteur dans lequel dégoulinent les gouttes de jus, ni avec les pipes allemandes dotées d’une chambre 9mm qui a été conçue dans le seul but de servir de réceptacle à filtre. Le Peterson system avec sa trappe à jus, tout comme les filtres 9mm et ceux appelés balsa avec leur pouvoir d’absorption accueillent en effet l’excès d’humidité, mais fondamentalement ce sont des pis-aller qui compensent une exécution rudimentaire et dès lors plus ou moins problématique du passage d’air. En principe, pour réussir à manufacturer une pipe qui comble le fumeur par une fumée agréablement fraîche et sèche, le pipier dispose de deux options diamétralement opposées. Jusqu’à tout récemment, tous les artisans consciencieux et perfectionnistes ont résolument choisi la même voie : d’une part veiller à ce que sur toute sa longueur, le passage d’air ait un diamètre suffisamment large pour éviter que le fumeur ne surchauffe sa pipe en se voyant obligé de tirer comme un forcené, d’autre part faire en sorte que le passage d’air soit aussi constant et uniforme que possible, en évitant à la fois toute constriction et tout vide, deux facteurs qui provoquent des irrégularités dans le débit de la fumée et qui, ainsi, perturbent la laminarité du flux d’air, ce qui fait que la fumée stagne, refroidit, condense et forme des gouttelettes. Comme mentionné plus haut, en créant la légendaire calabash en gourde montée d’un foyer amovible en écume de mer, les artisans viennois d’antan ont suivi une logique toute différente : plutôt que d’éviter le plus possible toute condensation, ils l’ont carrément stimulée, tout en prévoyant une matière suffisamment poreuse et une surface suffisamment grande pour capter et absorber toute cette humidité. Il va sans dire qu’une fumée qui s’est refroidie dans cette vaste chambre qu’est la gourde et qui y a déposé son excès d’humidité, arrive fraîche et sèche en bouche.

Mais voilà donc que soudain plusieurs artisans ayant pignon sur rue se sont mis à appliquer la logique fonctionnelle de la gourd calabash sur des pipes en bruyère. Et ce qui plus est, à en croire ces pipiers chevronnés et les connaisseurs qui ont testé cette innovation, ces pipes hybrides seraient dotées de qualités que leur envient leurs cousines orthodoxes. Il en faut moins que ça pour titiller ma curiosité. Bref, il me fallait essayer moi-même. C’est chose faite.

calabash system

La voici, la bête. Une Calabash inside system de chez Getz Pipes. Je l’admets d’emblée : côté esthétique, faut aimer ! Moi, je la trouve tellement disproportionnée, tape-à-l’œil et bizarroïde qu’elle en devient désarmante. Elle me fait sourire. Et, il faut le dire, en vrai elle arbore une tige encore plus monumentale qu’en photo. Pantagruélique. 285mm de diamètre, soit une circonférence de 8,95cm, ce qui fait, avec sa longueur de 5cm, une surface de 44,75 centimètres carrés de bambou. De quoi absorber du jus !

Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à mentionner. Un sablage quelconque. Un foyer vierge. Un bec large et assez épais (4,3mm) mais cependant passablement confortable en bouche grâce aux lèvres sensuellement arrondies. Un montage sans mortaise ni floc : le tuyau se termine par une grande surface concave qui se cale à l’entrée de la tige laquelle peut engloutir sans problème mon index. A noter aussi un manifeste déséquilibre : tout le poids se situant côté fourneau, cette apple tire sérieusement vers le bas. Ce n’est donc pas une pipe à fumer quand on veut avoir les mains libres.

Passons au fumage. Est-ce que ce fameux Calabash inside system fonctionne ou n’est-ce qu’un gadget ? Tous les tests ont été menés avec des virginias ou des virginia/perique en ready rubbed, en broken flake ou en flake. Plutôt que de vous relater chacun des essais, je vous présente une synthèse de mes expériences et de mes impressions.

  1. Le fumage est exceptionnellement facile et agréable grâce à un tirage qui ne demande ni effort ni concentration. Cette pipe se fume elle-même, tout naturellement. Je peux donc me permettre un rythme de fumage remarquablement relax, vu que la pipe n’a pas tendance à s’éteindre quand je prolonge les pauses entre deux aspirations.

  2. Il est clair et net qu’à aucun moment la fumée ne gêne par sa chaleur. Est-ce dire qu’elle est indéniablement plus fraîche que dans une pipe conventionnelle ? Je n’en suis pas sûr. Parfois j’avais en effet cette impression, mais à d’autres moments, je me demandais si cette impression était vraiment fondée. A mon avis, une pipe taillée dans du bois bouilli et âgé dans les règles de l’art et qui a un passage d’air constant et largement ouvert, ne produit pas non plus une fumée désagréablement chaude. Ceci dit, ce qui est incontestable, c’est qu’au toucher, la température du fourneau et surtout de la tige est notablement moins élevée que dans une pipe traditionnelle.

  3. Pas de glouglou, pas la moindre trace de jus en bouche. De la fumée avec un degré d’hygrométrie parfait. Et ce qui plus est, la fumée qui sort du bec, est particulièrement riche en saveurs précises, bien définies, complexes et intenses. Cela m’a permis de découvrir dans certains mélanges des nuances et une profondeur qui jusque-là m’avaient échappé. Chapeau. Ce constat empirique infirme donc la théorie de Greg Pease selon laquelle un système à condensation provoquerait une perte de goût, vu que le dépôt de vapeur condensée contiendrait des huiles aromatiques.

Pour tout dire, en dépit de ma nature sceptique, je suis très agréablement surpris par les résultats probants de cette nouvelle façon d’appréhender la pipe.

Alors, quel est le secret de cette fumée si goûteuse ? J’imagine que comme pour une vraie calabash, il réside dans les résidus humides et peu appétissants déposés par la fumée condensée sur les parois de la tige. Dans les gourdes, il arrive même que ce jus dégouline en minuscules ruisseaux vers le fond. Surprise ! A chaque fois que je démonte le tuyau de la Getz et que je regarde à l’intérieur de la tige, il n’y a rien à voir. C’est à peine si mon doigt glissé dans la tige sent une certaine moiteur. D’ailleurs le sopalin dont je me sers pour essuyer la cavité, ressort blanc comme neige. Alors, de deux choses l’une : ou bien le bambou a des capacités d’absorption assez spectaculaires, ou bien, en fin de compte, cette pipe ne produit pas tant de condensation que ça. Tout ce que je retrouve comme résidu se trouve collé sur la paroi concave du tuyau qui fait office de floc. Et ce résidu, ce n’est pas grand-chose. Pour vous donner une idée, c’est nettement moins que ce que je détecte dans le floc et la mortaise d’une pipe à chambre 9mm fumée sans filtre. J’avoue que ce constat m’éblouit et me fascine à la fois.

Bref, même si je ne comprends pas très bien le fonctionnement de ma Getz Calabash inside system, force m’est de constater que ça marche. Et ça marche même bigrement bien. Highly recommended, comme disent nos amis anglophones. Reste une question : est-ce qu’une Tubos, une Conducta ou une Calabash inside system avec une tige en bruyère plutôt qu’en bambou se comporterait exactement de la même façon ? Il me semble que cette interrogation mérite un test supplémentaire. Qui se porte volontaire ?

calabash system