Trésor à Pesaro

par Erwin Van Hove

07/05/06

Le parcours d’un véritable passionné de la pipe est tout tracé. Ses premiers achats sont des produits bon marché des grands fabricants industriels. Il n’en est pas mécontent. Puis il s’offre quelques exemplaires des séries plus soignées de ces mêmes producteurs. Elles lui conviennent. Arrive le moment où il se demande si les marques plus prestigieuses qui lui font de l’œil dans les vitrines de sa civette, valent vraiment le coup et le coût. Bientôt c’est l’achat d’une Dunhill : il faut avoir fumé au moins une fois dans sa vie une Dunnie, n’est-ce pas. Parallèlement il découvre cette abondance de pipes artisanales taillées en Italie et là, il est vraiment surpris. Par le nombre impressionnant de pipiers et de marques. Par les formes plaisantes et la beauté du grain. Et puis surtout par le fait que ces pipes sont à peine plus coûteuses que les dernières industrielles qu’il s’était offertes. Commence alors une longue histoire d’amour entre lui et les belles italiennes. Ce n’est pas que les danoises et les allemandes huppées et raffinées le laissent de marbre, mais bon, ces créatures divines-là, elles sont réservées aux collectionneurs friqués. A autrui, quoi. Il faut rester raisonnable. Mais que c’est difficile ! Comment ne pas craquer devant ces rondeurs si séduisantes, ces peaux si douces, ces anatomies si gracieuses ? Bref, c’est l’achat de la première véritable high grade. Et là c’est l’expérience enivrante du luxe fait pipe. Désormais il regarde ses anciennes bouffardes d’un autre œil. Ses normes ne sont plus les mêmes. Et c’est parti : aux danoises et aux allemandes succèdent les américaines, voire quelques japonaises. Il est maintenant considéré comme un collectionneur. Sa curiosité et son désir sont insatiables. Déjà il rêve d’une Kent ou d’une Teddy, d’une Jess ou d’une Lars. Et s’il gagne gros au Loto, pour fêter ça, ce ne sera ni Pétrus ni Yquem, mais une Bo !

Ceci dit, depuis un an ou deux même les inconditionnels les plus purs et durs de la pipe haut de gamme ont commencé à se poser des questions devant la flambée des prix des high grades. Il y a quelques années une superbe horn de Kent Rasmussen m’a coûté $300. Aujourd’hui le prix d’une Kent de cette qualité a quintuplé. Comparez les prix que pratiquaient il y a cinq ans des Danois comme Kurt Ballebye ou Peter Heeschen, avec leurs tarifs actuels. Des augmentations qui n’ont aucun rapport avec la réelle inflation. Et c’est pareil pour les maîtres allemands et japonais. Bref, ça commence à faire mal au portefeuille. Et particulièrement au portefeuille des collectionneurs américains qui, en sus des augmentations salées, ont dû encaisser une importante baisse de la valeur de leur billet vert par rapport à l’euro. Dans ces circonstances il n’est donc pas étonnant que ces dernières années, certains ont prédit une vraie Renaissance de la pipe transalpine. On n’en est pas encore là. Toutefois il est incontestable qu’il y a un intérêt renouvelé pour les pipiers italiens qui, à quelques exceptions près, ont toujours continué à pratiquer des prix bien sages.

J’ai donc suivi le mouvement et ces derniers temps je me suis offert toute une série de pipes de divers producteurs italiens. J’avais même l’intention de consacrer un article, sous forme de test comparatif, à mes achats. J’y ai renoncé. Et pour deux raisons : d’une part je préfère louer que critiquer dans un article-test, d’autre part je craignais vous lasser avec des redites. Je ne mentionnerai donc pas les noms de marques et de pipiers que j’ai testés. Je me contenterai de partager avec vous une impression générale. Les pipes italiennes contemporaines présentent exactement les mêmes points forts et les mêmes faiblesses que celles que j’achetais avant mon engouement pour la pipe high grade. Nil novo sub sole. Commençons par le positif. Généralement elles présentent un grain extraordinaire pour le prix demandé, d’ailleurs elles ne sont jamais mastiquées. Elles tendent à produire une saveur douce et agréable et elles se laissent facilement combiner avec toutes sortes de tabacs. Elles présentent un rapport qualité/prix fort intéressant et cela pour les trois finitions. Comme palmarès, c’est pas si mal que ça. Mais voyons le revers de la médaille. Les pipes italiennes sont souvent volumineuses et par conséquent plutôt lourdes. Le fait que systématiquement les pipiers optent pour des tuyaux en acrylique ne cesse de m’irriter. Ce choix me semble d’ailleurs peu judicieux dans ce marché mondial où la clientèle exigeante trouve partout des pipes aux tuyaux en ébonite fins et confortables. Mais bon, quand on achète italien, on s’y attend et on l’accepte. Par contre, je ne m’étais pas attendu à un pourcentage assez élevé de pipes avec des tares d’ordre technique : perçages trop étroits, voire mal exécutés, tuyaux aux ouvertures primitives et peu soignées, flocs dont le diamètre ne convient absolument pas à celui du perçage de la tige. Bref, plusieurs pipes qui avaient des problèmes de tirage et qui avaient même tendance à glougouter. D’accord, en bricolant j’ai réussi à résoudre tous les problèmes, mais il n’en reste pas moins vrai que trop souvent les prix plus qu’honnêtes semblent aller de pair avec du travail bâclé. Ne soyez donc pas naïfs : de toute évidence l’italienne moyenne n’est pas une concurrente d’une vraie high grade. On en a toujours pour son argent.

Heureusement ma petite incursion dans l’univers de la pipe italienne m’a quand même rapporté une excellente surprise. Parmi mes achats, il y avait trois Il Ceppo sablées naturelles. Je ne peux le dire assez : aux amateurs de belles sablées, cette marque de Franco Rossi propose un rapport qualité/prix inégalé avec des sablages souvent époustouflants pour des prix vraiment démocratiques. Cela je le savais. Ce n’est donc pas la qualité du sablage qui m’a surpris. Non, si j’ai été ébloui, c’est par le progrès que Rossi a fait et par l’excellence générale de ses produits.

Jadis j’avais acheté une demi-douzaine de Il Ceppo. Si certaines me convenaient parfaitement, d’autres m’avaient réellement déçu : elles ne semblaient pas prêtes à se laisser dompter et par conséquent, côté saveur je restais sur ma faim. Frustrant. Et je n'étais pas seul à avoir cette expérience.

Je me rappelle une petite conversation avec Greg Pease, cet impitoyable et méticuleux disséqueur de pipes, dans laquelle il m’avait dit : « Avec les Ceppo, c’est une loterie. Faut avoir du bol. Mais quand elles sont bonnes, pardi qu’elles sont bonnes ! » Bref, lui aussi avait remarqué un manque de régularité et de consistance. Grande fut donc ma surprise quand récemment le commerce en ligne Thepiperack.com annonça une action spéciale : quiconque achète une Il Ceppo peut la tester pendant un mois. Endéans ce délai on vous rembourse intégralement le montant du prix payé si vous n’êtes pas entièrement satisfait. Ca alors ! Pour accorder une garantie pareille en béton, il faut une confiance plus que solide en les mérites de la marque.

A présent je comprends l’audace de cette civette en ligne. Mais trois nouvelles Ceppo sont rapidement devenues des compagnes fidèles et appréciées. Ces pipes aux lignes harmonieuses et plaisantes sont légères. Leurs tuyaux en acrylique, certes, sont confortables. Les montages et les finitions sont irréprochables. Et puis, surtout, les perçages sont bien exécutés et bien larges ; les passages d’air dans les tuyaux garantissent un tirage naturel et sans problèmes ; les flocs sont excavés et présentent un diamètre plus que respectable ; les ouvertures dans les lentilles sont bien modelées et efficaces. Rien à redire. Et puis, il y a le goût : dès les premières bouffées les trois pipes se sont livrées : pas d’âcreté, mais une saveur agréable et qui permet au tabac de développer ses nuances. Trois sur trois. Un score parfait. Chapeau. D’autant plus qu’au moment de l’achat, la horn avec son fourneau tellement incliné m’avait sérieusement inquiété : dans ce genre de pipe, le risque de surchauffe de la paroi supérieure est réel. Et bien non. Elle se fume comme un charme et produit une saveur vraiment superbe.

Franco Rossi mérite plus d’attention. Votre attention. Il ne faut pas me croire sur parole. Soyez critiques, voire méfiants. Vous pouvez l’être sans risques. L’action du Piperack.com n’est pas terminée…