A la rescousse des pétuneurs en herbe

par Erwin Van Hove

09/06/08

Nous nous apitoyons sur notre triste sort en nous tordant les mains de désespoir. Nous nous vautrons dans la nostalgie et le pessimisme. Nous, les fumeurs de pipe, les PDG de fabriques de pipes, les propriétaires de civettes spécialisées dans la bouffarde. Et il y a de quoi : depuis plusieurs décennies le nombre de fumeurs de pipe est en chute libre. N’ayons pas peur de le dire : nous sommes une espèce en voie de disparition.

Bien sûr, nous avons d’excellentes raisons pour montrer du doigt les politiciens qui nous isolent et nous culpabilisent, les chercheurs qui bombardent le public de rapports les uns plus inquiétants que les autres, les médias qui, sans sens critique aucun, propagent avec délice la peur de la fumée. Non pas des nuages de fumée crachés par les cheminées et les pots d’échappement. Non, des volutes aromatiques qui tournoient un instant autour de notre tête avant de se dissiper dans le voile grisâtre qui pare nos villes. Bref, les responsables du pipophilicide organisé, c’est eux. C’est l’autre.

Oui, mais.

Allons messieurs, un moment de courage et de franchise. Avouons que si l’avenir de notre guilde est tout sauf assuré, nous aussi, nous en portons la responsabilité. Sourcillez tant que vous voulez, ça n’y changera rien : par notre légèreté et par notre ignorance, nous chassons ceux qui aspirent à rejoindre nos rangs. D’accord, ce n’est pas que nous ne soyons pas accueillants. Bien au contraire. Mais nous sommes de bien piètres pédagogues.

Même à notre époque si peu propice au fumage de la pipe, la bruyère et l’écume continuent d’exercer leur attrait sur une multitude de pétuneurs en herbe. Et la motivation de ces gens, qu’ils ressentent tout simplement le besoin de se démarquer, qu’ils se rappellent avec émotion leur grand-père sentant bon le scaferlati, qu’ils veuillent découvrir un rituel séculaire, qu’ils cherchent un remède contre le stress, qu’ils voient dans la pipe un soutien dans leur lutte pour se sevrer de la cigarette, ou qu’ils se sentent séduits par la beauté de l’objet, est authentique et forte. Ils ne demandent qu’à se jeter à l’eau. Or, de tous ces hommes de bonne volonté prêts à partager notre passion et qui se fient à nous pour apprendre à fumer la pipe dans les règles de l’art, combien persévèrent encore trois mois après leur premier essai ? Une petite minorité. Quelques coriaces, c’est tout. Et pourquoi ? Parce que ce sont tous des volages qui baissent les bras au premier obstacle ? Parce que ce sont des cancres ? Non. Parce que fondamentalement le fumage de la pipe est difficile à maîtriser et que nous les conseillons mal. Très mal.

Les brochures des producteurs de pipes ? D’habitude, ce sont des balivernes. Les conseils des propriétaires de civette ? Insuffisants parce qu’en général ces bonnes gens ne peuvent ou ne veulent pas consacrer le temps qu’il faut à un novice. Pire. Souvent c’est du n’importe quoi parce que ces vendeurs de cigarettes et de cigares ne connaissent pour ainsi dire rien à la pipe. Restent, au 21ième siècle, les forums sur le web. Vous et moi. Et je dois dire que nous accueillons les bras ouverts les débutants en quête de conseils, que nous prenons le temps de les guider, que nous sommes patients avec eux. Les multiples forums regorgent par conséquent d’échanges entre anciens et néophytes. De temps à autre, je m’amuse à lire ces fils. A ces occasions force m’est de constater que si les conseils qui fusent de toute part, sont bienveillants, ils ne sont pas nécessairement judicieux. Il arrive même qu’ils seront à l’origine de bien des déboires et des frustrations.

Apprendre à fumer la pipe, nous le savons, ce n’est guère une sinécure. Alors, messieurs, ne compliquons pas la vie aux courageux qui veulent s’y mettre. Faisons au contraire tout ce qui est dans notre pouvoir pour être clairs et simples.

A commencer par le choix de la première pipe.

Arrêtons de dire aux débutants que pour l’achat d’une première pipe, mieux vaut se rendre à une civette plutôt que de surfer sur les vagues du web. A quoi ça rime ? Neuf fois sur dix le pauvre risque de tomber sur un professionnel à peine plus connaisseur que lui. Ca lui fera une belle jambe. Et puis, à coup sûr, il paiera davantage et ce à un moment où le choix de la pipe sera en grande partie déterminé par le budget prévu. En outre, il ne découvrira qu’une infime fraction de ce que l’univers de la pipe peut lui offrir. Et il y a autre chose. Le dogme selon lequel au moment de l’achat rien ne vaut une méticuleuse inspection des objets convoités, s’applique-t-il vraiment au candide néophyte ? Est-ce qu’il a une idée précise de la pipe qui lui convient ? Connaît-il lui-même ses préférences en matière de largeur et d’épaisseur des becs, de diamètres de perçage, de formes de lentille ? Le pauvre a beau toucher, caresser, soupeser, démonter, remonter, examiner, inspecter, souffler, aspirer, jauger et juger, il ne dispose tout simplement pas de l’expérience qui lui permette de tirer à bon escient une conclusion probante. Heureusement il reste quelques merles blancs comme Pierre Voisin à Paris, Patrick Cornu à Epinal, Jean Nicolas à Lyon, et pour nos amis belges Jean-Pierre Petyt à La Louvière ou la maison Windels à Mechelen. Des professionnels de ce genre valent le détour parce que chez eux le débutant sera bien informé et guidé.

Cessons également de prendre nos préférences ou notre parcours personnels pour incontournables et exemplaires. Vous avez commencé votre carrière de fumeur de pipe lors d’une visite guidée aux ateliers de Courrieu à Cogolin ? Et l’oom Paul achetée à cette occasion s’est avérée excellente, du moins selon vos critères ? Tant mieux pour vous, mais de grâce ne lancez pas le néophyte que vous conseillez à la recherche d’une oom Paul de Courrieu. Il y a de fortes chances que la pipe qui vous comble en tous points, ne lui convienne absolument pas. Et même si après une ribambelle d’achats décevants, vous avez enfin compris ce qui distingue une bonne pipe d’une médiocre après vous être offert une Rad Davis, abstenez-vous de conseiller au débutant d’acheter une Davis. Bref, laissez à votre apprenti suffisamment de liberté et de choix. Ne le frustrez pas en lui imposant des contraintes trop strictes. Ne lui compliquez pas la vie.

Cela ne veut nullement dire qu’il faut au contraire prôner un relativisme et une liberté sans limites. Le conseil le plus mauvais que je connaisse, c’est le pourtant si sympathique adage Achète ce qui te plaît. Nos amis anglophones ont une belle formule pour ce genre de conseil : a recipe for disaster. L’embarras du choix, c’est bien pour vous et moi. Pour nous qui savons par expérience ce qui nous convient et ce que nous cherchons dans une pipe, neuf dixièmes des produits proposés n’ont aucun intérêt à nos yeux. Nous pouvons donc d’emblée nous concentrer sur celles qui ont le potentiel de rejoindre notre harem. Mais le pauvre novice, lui, ne sait où donner des yeux. Ca l’impressionne, ça le déconcentre. Ca risque même de lui couper l’appétit. Voilà qu’il voit son enthousiasme initial assombri par la peur de se tromper et que sa toute nouvelle vie de fumeur de pipe s’annonce être un long fleuve tout sauf tranquille. Et puis, il y a pire. Si nous lâchons notre étudiant ès pipes dans la nature avec pour seule consigne de se fier à son sens esthétique, notre communauté risque de le perdre à tout jamais. Parce que la gaffe monumentale qui le rendra définitivement allergique à toute chose pipière, le menace de partout, entouré qu’il est de pipes-pièges : la panoplie d’écumes mal foutues et les churchwarden bon marché aux passages d’air trop serrés, les horns et les cutties au foyer incliné qui dans les mains d’un débutant risquent de brûler, les full bents mal percées qui produiront plus de jus que de fumée, les casse-mâchoire et les arrache-dents, les préculottées au goût infect, les vernies que, les yeux écarquillés, il verra se craqueler, les grosses bobonnes qui au lieu de combler ses appétits tabagiques, finiront par l’écœurer. Et j’en passe.

Non, notre nouveau confrère n’a ni besoin de diktats ni d’une liberté dont il ne saura que faire. Ce qu’il lui faut, c’est une main qui le guide paternellement, ce sont quelques consignes claires, nettes et simples qui lui permettront de faire ses premiers pas hésitants dans le labyrinthe de la pipe sans s’égarer. Voici donc mes dix commandements qui n’ont bien évidemment rien d’un évangile immuable, mais qui, je l’espère, pourront éviter bien des déceptions.

1. La matière et le prix

Quiconque n’est pas certain de vouloir se vouer corps et âme au culte de la pipe, mais envisage simplement de faire un petit essai pour voir ce que ça donne, a une chance inouïe. Sa pipe idéale existe et est largement disponible. Ce qui plus est, elle coûte à peine plus qu’un paquet de cigarettes. En effet, la pipe en maïs, la fameuse corn cob produite en Amérique par la Missouri Meerschaum Company, convient à merveille aux premiers essais. Et pour plusieurs raisons. Les cobs sont très légères et ne fatiguent donc pas des mâchoires qui ne sont pas encore exercées à supporter le poids d’une pipe. Elles ne sont ni minuscules, ni trop volumineuses, ce qui leur permet d’accepter une quantité de tabac suffisamment grande pour pouvoir éprouver l’évolution des saveurs au cours du fumage. D’ailleurs elles produisent un goût doux, même légèrement sucré, qui atténue l’amertume de certains mélanges. Elles sont poreuses et absorbent donc facilement l’humidité. Et puis, leur passage d’air est bien large, ce qui permet un tirage facile et confortable sans grand risque de glougloutage et un excellent développement des saveurs. Bref, un néophyte qui correspond au profil précité, ne devra pas hésiter.

Quant à ceux qui ont la ferme intention de devenir fumeur de pipe et qui, dès lors sont prêts à investir une certaine somme, ils sont confrontés à un choix nettement plus grand. Et compliqué. Première décision à prendre : sera-ce une pipe en terre, en écume de mer ou en bruyère ? Je m’adresse directement à vous et je me permettrai de trancher à votre place : la terre cuite et l’écume de mer sont trop fragiles pour quelqu’un qui doit encore apprendre à manier la pipe. En plus, l’entretien de ces pipes est plus difficile et vous ne voulez pas vous compliquer la vie. Finalement, dans la gamme de prix que vous êtes prêts à débourser pour une première pipe, les écumes disponibles sont en général mal exécutées au niveau technique, ce qui résulte en un tirage problématique. Et croyez-moi, vous ne voulez pas avoir l’impression de sucer du miel à travers une paille. Bref, il vous faut une bruyère.

Remarquez que les prix varient entre 15 et 15 000 euros. Avec un peu de chance vous pouvez trouver une pipe correcte autour de 50 euros, mais en dépensant entre 75 et 100 euros, vous avez moins besoin de chance.

2. Le nombre de pipes

Croyez-moi, au début vous ne fumerez pas à longueur de journée. Fort probablement votre langue enverra des signaux de détresse à votre cerveau. Si vous éprouvez cette sensation de brûlure et d’irritation au niveau de la langue, ne vous dites pas que décidément vous n’êtes pas fait pour être fumeur de pipe. Non, ce phénomène désagréable arrive à tous les débutants et disparaîtra après quelques semaines.

Sachez qu’il est tout à fait à déconseiller de fumer une pipe qui est encore chaude. Mais vu que votre langue en feu ne vous incitera guère à fumer deux pipes d’affilée, votre pipe aura le temps de refroidir complètement. En principe, une seule pipe peut donc vous suffire. Seulement voilà, pour fumer dans les règles de l’art et pour conserver la forme optimale de votre pipe, il faut également lui donner le temps de sécher. Une pipe qui est fumée régulièrement sans qu’elle soit sèche, finit par produire un mauvais goût. Pas mal de fumeurs chevronnés qui disposent de toute une collection de bouffardes, préconisent une semaine de séchage. C’est un principe discutable, mais 24h semble un minimum. Vu sous cet angle et à condition de vouloir fumer plusieurs pipes par jour, il vous faudra donc plus d’une pipe. Si vous fumez trois pipées par jour, je vous conseillerais une demi-douzaine de pipes, ce qui vous permettra de les laisser sécher suffisamment de temps.

Heureusement, il existe un moyen pour élargir votre cheptel sans devoir casser votre tirelire. Vous pouvez acheter des pipes estate, c.-à-d. préfumées. Il y a des commerçants spécialisés et des passionnés dans les forums qui vous livrent des pipes d’occasion désinfectées, nettoyées et remises en état. En achetant chez eux, vous pouvez vous offrir deux ou trois pipes pour le prix d’une seule neuve. Et puis, il y a un océan de pipes estate en vente sur eBay. Ceci dit, si vous n’y connaissez rien, c’est une jungle, certes séduisante, mais dans laquelle vous risquez de vous faire avoir.

3. La marque

Dans la fourchette de prix précitée entre 75 et 100 euros, tous les fabricants proposent des produits corrects. N’empêche que parfois vous pouvez avoir le malheur de tomber sur une pipe qui refuse, même après le culottage, de produire un goût agréable. Rien à faire et ça arrive même à des pipes taillées par des pipiers-vedettes. Si aucune marque connue, qu’elle soit française, anglaise, italienne, danoise, américaine ou japonaise, n’est d’emblée à exclure, il est indéniable que la marque que les fumeurs chevronnés conseillent le plus aux débutants, c’est Stanwell, une marque danoise disponible un peu partout : un large éventail de modèles élégants, faits dans des bruyères souvent bien mises en valeur et exécutés et finis de façon soignée.

4. La finition

Vous avez le choix entre des lisses, des sablées et des rustiquées. La finition de la pipe n’a aucune influence sur ses qualités techniques et gustatives. C’est donc tout simplement une question de goût personnel. Ceci dit, je conseille aux débutants plutôt des rustiquées et des sablées que des lisses : non seulement elles sont moins chères, en plus elles sont moins fragiles, supportent mieux les intempéries et demandent moins d’entretien.

5. La matière des tuyaux

Vous avez le choix entre l’ébonite (noire) et le cumberland (bordeaux strié ou marbré) faits à base de caoutchouc et l’acrylique (lucite) qui est une matière synthétique. A vous de décider ce que vous préférez : l’ébonite et le cumberland ont le grand avantage d’être agréables en bouche, vu leur souplesse, alors que l’acrylique est d’une dureté peu plaisante. Par contre l’acrylique ne nécessite pas d’entretien et conserve sa couleur et son brillant, tandis que les matières à base de caoutchouc ternissent et deviennent verdâtres, risquent de finir par produire un goût désagréable et demandent donc un entretien assez intensif. La grande majorité des fumeurs chevronnés préfèrent l’ébonite et le cumberland, mais si la corvée de l’entretien vous met mal à l’aise, choisissez plutôt l’acrylique.

6. Le modèle

Et bien non, ne suivez pas votre cœur, mais votre raison. Toujours dans le même souci de ne pas vous compliquer la vie. Evitez donc tout ce qui pourrait vous causer des ennuis : la formation excessive d’humidité et donc le glougloutage qui en découle, des risques de surchauffe, des problèmes de tirage, une mâchoire fatiguée, etc. Bref, pour débuter, même si vous préférez les courbes ou les extravagantes, choisissez un modèle simple et droit, ni trop court, ni trop long. Préférez une pipe avec une chambre en U plutôt qu’en V. Choisissez une pipe aux parois qui ne soient ni visiblement minces, ni gigantesques. Ne vous laissez pas tenter par un modèle minuscule, ni par une bouffarde XL. Bref, dégotez-vous une pipe classique droite, style billiard, canadian, lovat, pot, poker ou apple, avec une longueur entre 13 et 16cm et une tête dont la hauteur n’excède pas les 5cm. Quant au poids, plus c’est léger, mieux c’est.

7. Le contrôle au moment de l’achat

Regardez à l’intérieur du fourneau. La sortie du passage d’air doit se trouver dans le fond du foyer. Si le trou est percé visiblement trop haut, n’achetez pas. Démontez la pipe. Si elle est équipée d’un système en métal, vérifiez si vous pouvez l’enlever. N’achetez pas de pipe à système fixe. Comme vous avez opté pour un modèle droit, après démontage il est facile de regarder dans le tuyau et dans la tige pour vérifier si le passage d’air est bien ouvert et ne présente pas de constrictions. Testez le tirage : l’air doit vous parvenir sans faire d’effort. Si ce n’est pas le cas, abstenez-vous, même si ça vous brise le coeur. Si la pipe produit un bruit de sifflement, choisissez-en une autre.

8. Le bourrage, l’allumage, le fumage

Ne vous fiez pas trop aux conseils qu’on vous donnera pour le bourrage de votre tabac. Il y a diverses méthodes qui ont toutes leurs partisans et leurs détracteurs. Et puis, il n’y a pas de dogme. Tout dépend de votre tabac, de sa composition, de sa coupe, de son taux d’humidité. Ce sera à vous d’apprendre sur le tas. N’ayez pas peur de mener vos expériences et de faire des erreurs. Attention, ne bourrez pas votre pipe jusqu’au bord. Après l’allumage le tabac remonte de quelques millimètres et vous risquez de brûler le rebord de votre pipe. Pour l’allumage, vous employez ce que vous voulez : des allumettes, un briquet Bic ou un modèle conçu pour pipes. L’essentiel, c’est d’allumer de façon égale toute la surface du tabac. La meilleure méthode consiste à allumer le tabac, de laisser s’éteindre le feu, de tasser légèrement pour que le tabac ne remonte pas trop, puis d’allumer pour de bon. Pour le fumage il n’existe qu’une seule règle d’or : ne tirez pas sur votre pipe comme un forcené, fumez au contraire posément. Il ne faut pas chercher à produire des nuages de fumée impressionnantes. Non, le tabac développe idéalement ses saveurs s’il couve gentiment sous la cendre. Si vos doigts commencent à sentir une chaleur excessive, déposez la pipe et laissez-la refroidir.

9. Le culottage

C’est encore un domaine où vous devez trouver votre propre chemin. Pas mal de fumeurs chevronnés vous conseilleront de procéder par tiers : une demi-douzaine de fumages la pipe remplie au tiers, suivi d’une demi-douzaine de fumages avec deux tiers avant de remplir complètement la pipe. Cette méthode ne peut sûrement pas faire de mal à votre pipe, mais en vérité elle n’est pas nécessaire à condition de fumer calmement sans surchauffe. Attention, ne fumez jamais votre pipe neuve à l’extérieur par grand vent.

10. Le nettoyage

Je ne peux vous le conseiller assez : nettoyez vos pipes après chaque fumage. Laissez refroidir votre pipe sans enlever la cendre qui aidera à absorber l’humidité. Puis videz votre pipe, frottez votre tuyau avec un chiffon doux et nettoyez bien l’intérieur du tuyau et de la tige avec des chenillettes jusqu’à ce qu’elles sortent propres. Démontez régulièrement la pipe et nettoyez bien la mortaise avec des cotons-tiges et de l’alcool. Croyez-moi, une pipe mal entretenue et sale finira par produire une odeur et un goût franchement dégueulasses.

Voilà, pour la pipe vous êtes désormais majeurs et vaccinés.

Venons-en au tabac. D’urgence. Parce que dans ce domaine, nos conseils sont souvent peu avisés. D’habitude nous dirigeons les novices vers deux catégories de mélanges : les mixtures légèrement aromatisées et les tabacs naturels légers et doux. Pourquoi les aromatiques ? Parce que le pétuneur en herbe se dit attiré par la pipe à cause des odeurs de caramel ou de vanille qui lui ont titillé les narines. Parce que nous avons la fâcheuse tendance à le traiter comme un enfant qui raffole de sucreries. Parce que nous ne voulons pas effrayer notre nouveau petit camarade avec nos tabacs d’homme. Or, en général, nous-mêmes, nous avons depuis longtemps abandonné les aromatiques, parce que nous savons que ce sont des tabacs trop souvent de piètre qualité, qu’ils ont tendance à chauffer et à produire de la vapeur et que leur douceur sucrée se transforme bien vite en amertume. Alors, est-ce vraiment sérieux que de diriger le candide vers des tabacs que nous-mêmes dédaignons ? Qu’en est-il de notre deuxième conseil ? Un tabac naturel léger et doux. A première vue un conseil nettement plus judicieux : le palais du novice découvrira les plaisirs du vrai tabac sans pour autant devoir subir un choc. Et pourtant j’estime que ce conseil sera à l’origine de bien des frustrations et déceptions.

Qui prend la décision de fumer la pipe ? Ceux qui ont été séduits par les effluves odorants produits par des fumeurs de pipe croisés dans la rue. Des odeurs capiteuses, envoûtantes. Des odeurs que le novice associe à des saveurs tout aussi impressionnantes. Il y a également des fumeurs de cigare qui décident de découvrir notre univers. Ces gens ont l’habitude d’une fumée riche et complexe, haute en goût. Et puis, il y a les fumeurs de cigarette qui cherchent à se débarrasser de leur dépendance en s’adonnant à la pipe. Ceux-là sont habitués aux plaisirs instantanés et à des saveurs simples et monolithiques. Je vous le demande : ces gens en quête de sensations fortes, que peuvent-ils faire d’un tabac léger et doux, tout en nuances ? Ils vont avoir l’impression d’aspirer de l’air. Ils vont se dire que ce n’est pas possible, qu’ils ne tirent pas assez fort ou pas assez souvent et ils vont se mettre à aspirer comme des forcenés à la recherche de l’explosion de goût tant espérée. Résultat : surchauffe, condensation, tabac amer, langue brûlée. La débâcle. Le dégoût de la pipe. Non, ce qu’il leur faut, ce sont des mélanges au goût prononcé qui se développe dès les premières bouffées. Des tabacs virils et terre-à-terre. D’ailleurs des tabacs pareils ne doivent pas pour autant être forts, c.-à-d. chargés de nicotine. Le latakia en est un parfait exemple.

Quant à la coupe, cessons de leur conseiller des flakes sous prétexte qu’ils s’émiettent facilement. Ne les dirigeons pas vers des burleys en cube cut même s’ils sont réellement délicieux. Evitons leur l’épreuve des mélanges qui contiennent trop de feuilles grossièrement coupées. Encore une fois, ne leur compliquons pas la vie. Il leur faut quelque chose de simple et d’uniforme, qui ne soit pas trop humide, qui s’allume facilement, qui ait une combustion aisée et régulière. Une coupe assez fine. Un semois est parfait.

Je sais, les aspirants pétuneurs attendent de nous des recommandations plus concrètes. Ils veulent des noms de producteurs et de mélanges. C’est normal, mais est-ce pour autant que nous leur rendons service en leur soumettant la liste de nos herbes favorites ? Pas mal de fumeurs experts trouvent le Three Nuns rêche et amer. Moi, j’en raffole. Plusieurs de mes virginias préférés sont produits par McClelland, alors qu’une cohorte de fumeurs se dit écœurée par leur goût de vinaigre et de ketchup. Bref, toute recommandation, aussi sincère et chaleureuse soit-elle, risque de décevoir, puisque, par définition, elle sera foncièrement subjective.

Mieux vaut diriger le débutant en quête de tabacs vers le site web tobaccoreviews.com. En se servant à bon escient de cette source d’information intarissable et à condition d’avoir déjà goûté quelques tabacs, il arrivera à dégoter à coup sûr des mélanges qui lui plairont et à éviter ceux qui ont toutes les chances de l’horripiler. Voici, cher novice, la méthode à suivre. Cherchez sur ce site les tabacs que vous connaissez déjà et qui soit vous ont satisfait, soit vous ont amèrement déçu. Lisez les commentaires et retenez les noms de ceux qui partagent votre avis personnel. Fort probablement vous allez découvrir que tel ou tel dégustateur semble avoir le même goût que vous. Consultez maintenant la liste de tous ces commentaires et notez les noms des mélanges qu’il recommande chaudement. Vous savez maintenant quoi acheter. Elementary, my dear Watson.

Voilà, nous en arrivons au terme de ce petit article. Avant de vous quitter, chers pipophiles en herbe, je voudrais vous rassurer. Votre pipe s’éteint sans cesse. Ne pensez pas que vous êtes un incapable. Nous sommes tous passés par là. Et à vrai dire, cela nous arrive encore de temps à autre. Votre pipe chauffe trop. Ca ne veut pas dire que vous êtes nul. A nous aussi il arrive de devoir reposer notre pipe. Vous avez mal bourré. Et alors ? Recommencez sans honte. C’est ce que nous faisons aussi. Un virginia de McBaren vous mord la langue comme un chien enragé. Ne concluez pas que vous êtes un pantouflard à qui la virilité du vrai fumeur de pipe fait défaut. Même après des décennies d’expérience, les morceaux de cuir qui nous font office de langue, tremblent devant certains mélanges infernaux. Bref, ne vous sousestimez pas, ne pensez pas que décidément vous n’êtes pas fait pour la pipe. Essayez, expérimentez, apprenez, persévérez. Les portes du paradis finiront par s’ouvrir. Promis.