Idées dans l'air

par Nick Johnson, traduit par Erwin Van Hove

26/06/05

Je ne sais exactement ce qui m’a attiré, mais quoi que ce soit, cela a fini par m’obnubiler. Le passage de l’air dans une pipe et ses effets sur la qualité du fumage ont commencé à m’intéresser il y a quelques mois.

J’ai des amis qui pourront témoigner de ma quasi-obsession pour la chose, de même que de ma manie de leur parler du Nombre de Reynolds ou du coefficient de perte de pression dans la courbure d’un tuyau. A dire vrai, je suis un fanatique des chiffres et je m’en porte très bien.

Dès mes premières recherches, j’ai découvert qu’il existe toute une panoplie de programmes informatiques complexes et passionnants, destinés à calculer l’écoulement de l’air autour et à travers d’objets, et à en afficher graphiquement les résultats. Malheureusement, ces programmes, outre qu’ils sont assez coûteux, sont difficiles à utiliser et j’ai fini par les abandonner.

Malgré ces déboires, j’ai persisté et trouvé une foule d’informations sur les bases de la dynamique des fluides. Pour la science, la fumée se comporte comme un liquide. Voilà déjà quelque chose que vous ne saviez probablement pas. Cette leçon apprise, le lecteur peu ému par les considérations mathématiques pourra me laisser là, en ayant le sentiment de n’avoir pas tout à fait perdu son temps.

Vous êtes encore là ?

Eh bien, poursuivons ! Une des plus grandes horreurs pour le fumeur de pipe, c’est ce fichu bruit, semblable à celui d’une pipe à eau, d’une pipe qui « gargouille ». En vérité, dans ma vie de pipophile, il n’y a qu’une chose qui puisse être plus irritant : le regard méprisant que me porte la personne qui s’assoit à côté de moi sur un banc du parc municipal, alors que je déguste un délicieux mélange riche en latakia. Et alors ! J’étais là avant vous ! Prenez votre gobelet de café chichi et votre sac à main design et trouvez-vous un autre banc, pardi!

Bon débarras.

Pour en revenir à notre sujet, ces gargouillis peuvent avoir diverses causes : tabac trop humide, perçage du fourneau trop haut ou trop bas, ou un vide entre le bout du tuyau (le floc) et la partie de la tige qui accueille le floc (la mortaise).

Mise à part l’humidité du tabac, la cause la plus commune, à mon sens, c’est la turbulence. En général, cela se produit comme suit : à cause de quelque défaut dans la pipe, le passage de la fumée n’est pas régulier et laminaire. Au contraire, la fumée commence à tourbillonner de façon chaotique. Quand cela se produit, les minuscules gouttelettes en suspension dans la fumée s’entrechoquent violemment pour former des gouttes plus volumineuses. La gravité finit par les déposer dans un point situé bas dans la pipe : soit dans le fond du foyer à l’entrée du passage d’air, soit dans le vide laissé entre le floc et la mortaise.

Dès lors il est clair qu’une pipe doit provoquer le moins de turbulence possible, afin de fournir une fumée plus sèche. Par ailleurs, la capacité qu’a la fumée de dissiper la chaleur est plus importante avec un flux régulier et laminaire qu’avec un flux turbulent. Je ne m’avancerai pas plus loin dans ce sujet puisque son importance est telle qu’il mérite un article à part.

La question fondamentale est donc : comment éviter les turbulences dans une pipe ? Tout d’abord, il nous faudra définir comment ces turbulences se produisent. En général, il y a turbulence quand un flux est sujet à de brusques changements de direction et/ou de pression, dus à la forme du conduit.

Une pipe est un objet relativement simple. Il est donc facile d’identifier les endroits où cela peut se produire. Un simple regard à l’image jointe en fait voir six : le point de perçage du fourneau, avec un changement brusque de diamètre et de direction, le passage floc-mortaise, à cause d’un éventuel changement de diamètre et d’un vide plus ou moins important, la courbure du tuyau et le changement du diamètre au niveau de l’ouverture dans le bec. De plus, la friction entre la fumée et les parois du passage d’air peut elle aussi avoir une influence sur le flux.

La façon dont ces points affectent l’écoulement de l’air peut être mesurée en termes de perte de pression et grâce au Nombre de Reynolds qui exprime le degré de turbulence ou de laminarité d’un flux d’air. Cela veut dire que l’on peut déterminer, avec un peu de maths – en réalité plus qu’un peu – si telle pipe aura des dispositions, si j’ose dire, pour la turbulence.

Mais vous qui n’êtes pas matheux, comment pouvez-vous déterminer si vos pipes sont disposées aux turbulences ? Il y a des signes qui ne trompent pas. Le premier, c’est le sifflement. Je sais que ce n’est pas particulièrement hygiénique, mais quand vous êtes sur le point d’acheter une pipe, portez-la en bouche, et aspirez. Si vous entendez un sifflotement, même léger, vous saurez que l’air ne passe pas régulièrement, et que le flux est sujet à des turbulences.

Un autre truc est de vérifier le tirage. Un facteur important qui contribue pour une bonne part à la création de turbulence, c’est la vitesse à laquelle la fumée passe dans le conduit d’air. En supposant qu’on fume à vitesse constante, on peut mesurer la vitesse du flux en litres par heure ; plus grand sera le diamètre du passage, moins grande sera la vitesse. Cela peut sembler curieux, mais cela reste vrai. Pensez à une bouteille de bière : versez-la dans un verre. Mesurez le temps que cela prend. Puis imaginez-vous que le goulot soit deux fois plus large. Le temps pour vider la bouteille sera-t-il le même ? Evidemment non. Il va de soi que le verre sera rempli plus vite. Mais pourquoi ? La bière coule-t-elle plus rapidement ? Sa vitesse est-elle plus grande ? Non, puisque la même force – la gravité – propulse la bière dans le verre. Le fait est que plus de bière peut passer par le goulot dans le même temps. Le même raisonnement s’applique à nos pipes. Plus le diamètre du passage d’air est large, moins vite se déplacera la fumée., même à débit constant.

Pensez-y, l’aspiration moyenne est de 50cc et la durée moyenne de cette aspiration est de 1,2 secondes, alors que la vitesse moyenne du flux se situe autour de 146 litres à l’heure. Si notre passage d’air est de 4mm, alors chaque aspiration fera avancer la fumée dans le conduit d’air d’environ 4cm. Avec un passage d’air de 2mm, la même quantité de fumée devra se déplacer sur une distance de 16cm. Pour ce faire, la fumée devra donc se déplacer à une vitesse nettement plus grande. Or, pourquoi la vitesse produit-elle de la turbulence ? A vrai dire, je n’en sais rien. Mais c’est ce qu’on trouve dans les ouvrages scientifiques. Je suppose donc que c’est vrai.

Autre moyen : vérifier la façon dont le floc et la mortaise sont ajustés. Prenez une chenillette et mesurez la profondeur de la mortaise. Puis, comparez avec la longueur du floc. Si la longueur du floc est inférieure à la profondeur de la mortaise, il y a un vide. Il produira automatiquement de la turbulence.

Les becs qui accumulent l’humidité ne sont heureusement pas chose courante. Cependant ils peuvent être source de condensation. Si vous avez l’impression que votre salive dégouline constamment dans votre tuyau, il est possible que la forme du bec produise de la condensation. L’élargissement abrupt au niveau de l’ouverture dans le bec pourrait en effet causer de la turbulence et donc de l’humidité. A moins que vous ne soyez en train de feuilleter Playboy magazine en fumant la pipe…

Que faire si vous inspectez une de vos favorites et que vous concluez qu’elle est prédisposée à produire de la turbulence ? Il se peut bien sûr qu’elle ne cause aucun problème quand vous la fumez. Dans ce cas, il ne faut bien sûr rien faire. Si elle ne vous satisfait pas entièrement, voici quelques trucs pour l’améliorer.

Pour une pipe qui siffle, employez un foret Dremel à la tête en forme de bille et arrondissez le forage du passage d’air à l’intersection avec le fourneau. Cela permettra à la fumée de passer plus fluidement du foyer à la tige.

Pour un vide entre la mortaise et le floc, servez-vous d’une fraise et excavez l’extrémité du floc en forme d’entonnoir. Cette face concave facilitera la transition entre le vide plus large et le conduit d’air plus étroit. Evidemment la turbulence ne sera pas entièrement éliminée, mais elle sera moins importante.

Une solution plus drastique, c’est de faire faire un nouveau tuyau. Insistez auprès de votre réparateur pour que la longueur du nouveau floc soit parfaitement adaptée à la profondeur de la mortaise.

Pour ouvrir convenablement le conduit d’air, il vous faut deux mèches. La première est une mèche classique au diamètre approprié et la deuxième est une mèche conique du même diamètre. On en trouve dans les magasins où l’on vend des outils d’ébéniste. Commencez en perçant la tige avec la mèche classique. Veillez à ce que vous percez bien droit et n’appuyez pas trop fort pour que la mèche ne fasse pas de trou dans les parois du foyer. Ensuite employez la mèche conique pour forer aussi loin que possible dans le tuyau en entrant votre mèche par le floc. Il faut forer très lentement vu que l’ébonite et l’acrylique fondront si la friction développe trop de chaleur. Faites particulièrement attention avec le Perspex. Cette matière est très fragile et peut-être qu’il vaut même mieux ne pas y toucher du tout. Veillez également à ne pas forer trop loin dans un tuyau courbé. Pour cela placez la mèche le long du tuyau et marquez à l’aide d’un crayon ou d’un morceau de bande adhésive jusqu’où vous pouvez forer.

Pour un bec humide, prenez une lime-aiguille et agrandissez un peu l’ouverture. Le mieux c’est de viser une ouverture en forme de trompette. Attention : n’enlevez pas trop de matière de votre tuyau, il risquerait de devenir trop fragile.

Avec un peu de travail, la plupart des pipes qui gargouillent ou qui accumulent l’humidité, peuvent être transformées en petits bijoux. Et pourquoi pas : en tenant compte de ces quelques recommandations, vous pourrez même tailler vous-même des pipes qui éviteront les pièges de la turbulence et qui en conséquence produiront une fumée plus sèche, plus douce et plus fraîche.

Pour obtenir plus d’information au sujet des équations utilisées pour déterminer les types de flux et les profils de pression, ou l’usage de la dynamique des fluides au niveau de la fabrication de pipes, n’hésitez pas à me contacter par courriel : minz-elandril@lycos.com.