Font-ils un tabac ? n°24

par Erwin Van Hove

28/10/13

Mac Baren, Navy Flake

Depuis des décennies, le Navy Flake est le tabac favori du pipier américain Mark Tinsky. Voici une quinzaine d’années, je lui en avais dégoté un vieux stock en Allemagne. Lui, il était aux anges et moi, j’en avais profité pour l’essayer moi-même. Avec beaucoup de scepticisme, il faut le dire, vu mon allergie au typique sauçage danois. A tort parce que si ce flake n’arrivait pas exactement à m’enthousiasmer, je ne pouvais pas dire qu’il me déplaisait. Depuis, de temps à autre j’en achète quelques boîtes et mon opinion n’a plus changé : pour moi, même si ce ne sera jamais un tabac de prédilection, le Navy Flake tient la route.

Il s’agit de flakes finement coupés dominés par les teintes brunes ponctuées de notes fauves. Composés avant tout de burley auquel sont ajoutés divers virginias et un peu de cavendish, ils dégagent une odeur où l’on retrouve à la fois la noisette du burley et les arômes mielleux et fruités de la sauce macbarenienne. En humant longuement, on découvre même une odeur que je qualifierais de médicamenteuse. La boîte que je teste n’a pas plus d’un an et pourtant le degré d’humidité est parfait. Par conséquent, les flakes se décomposent très facilement en brins prêts au bourrage. D’ailleurs, mes expériences m’ont convaincu qu’il vaut mieux émietter les flakes plutôt que de les plier et de les enfourner tels quels.

Dès les premières bouffées, les saveurs confirment les impressions du nez : on goûte le burley, mais son côté naturellement terreux et sévère est tempéré par le cavendish aromatisé. Le résultat est plutôt agréable, mais me fait regretter quand même les authentiques saveurs de burley. Ceci dit, l’aromatisation est discrète et bien intégrée dans l’ensemble. Mac Baren n’a donc pas transformé ce burley blend en friandise. Côté force, le Navy Flake tient debout, mais évidemment ce tabac qui s’adresse à un large public, reste fort civilisé. Peu évolutif, il peut paraître plutôt barbant à certains, mais d’un autre côté il faut avouer qu’il reste plaisant du début à la fin.

Conclusion : il s’agit d’un tabac bien fait qui peut plaire à la fois aux amateurs de burley et aux fumeurs d’aros qui cherchent à découvrir des saveurs plus naturelles. Ceci dit, ne vous attendez pas à des sensations inoubliables.

McClelland, Matured Virginia No. 24

Et hop, voilà encore un virginia de McClelland qui sent le…euh…McClelland : fermenté, acétique, tomaté. Alors en quoi ce VA-ci se distingue-t-il des autres membres de la famille nombreuse de virginias américains âgés qui font la gloire de la maison de confiance établie à Kansas City ? Le No. 24 est relevé d’une pincée de la divine herbe orientale qu’est le drama. Or, cet autre mélange qui combine le fameux VA fermenté et le drama, le Drama Reserve, est l’un de mes McClelland favoris. Ca promet donc.

Et pourtant, me voilà passablement déçu. Et pour plusieurs raisons. A commencer par la combustion. Malgré le degré d’humidité parfait du tabac âgé de six ans et malgré le fait que les gros morceaux de broken flakes s’émiettent en un tour de main, je n’arrive pas à fumer le premier tiers du bol sans rallumages répétés. D’accord, il se peut très bien que je ne sois pas suffisamment calé comme fumeur. Quoi qu’il en soit, un tabac à la combustion difficile m’irrite par définition. Ce n’est pas tout. Je ne peux pas dire que la fumée me morde vraiment la langue, mais on n’est pas loin : mes papilles deviennent plus sensibles qu’à l’accoutumée et j’ai l’impression que la surface de ma langue devient granuleuse. Pas agréable, ça. Et puis, il y a le goût. Certes, ce n’est pas mauvais, à condition d’aimer le goût particulier des VAs de McClelland, et il est vrai que dans le fond, on devine la douceur sombre du drama, mais où sont passés la subtilité et le raffinement de la fameuse herbe orientale ? Rien à voir avec la parfaite harmonie entre le virginia et le drama qui caractérise le Drama Reserve.

Le No. 24 ne me convainc pas. Si vous raffolez des virginias fermentés de McClelland, il y a nettement mieux. Et si vous voulez vous essayer au drama, rien ne vaut le Drama Reserve. Bref, un mélange quelque peu superflu.

McClelland, X-40 Burley By The Slice

Là je suis vraiment curieux parce que c’est la toute première fois que je déguste un mélange McClelland à base de burley. Est-ce que le spécialiste par excellence du virginia maîtrise l’art du blending au burley ?

Le X-40 est exclusivement disponible en vrac. A l’ouverture du sachet en plastique, on découvre un mélange de beaux brins souples bruns et acajou qui hésitent entre le broken flake et le ribbon à grosse coupe. Le nez est à la fois surprenant et prévisible : on ne sent strictement rien du burley, mais on retrouve le typique fumet de VA mcclellandien. Je crains donc qu’en bouche le burley ne se fasse écraser par les virginias.

Surprise ! Dès les premières bouffées le palais est envahi des saveurs noisettées d’un bon burley. Immédiatement après on se rend compte qu’un sauçage en édulcore et dénature quelque peu le caractère. Et puis, petit à petit on se rend à l’évidence : en dépit du nez, il est impossible de déceler des traces de virginia. Mystère !

Je vérifie donc la composition du X-40. Pas un gramme de VA. Que du white burley et du kentucky. Alors, cette odeur si reconnaissable ? Serait-elle due à une sauce dont McClelland détient le secret ou ces burleys auraient-ils subi le même traitement que les virginias de la manufacture ? Je dois avouer que je n’en sais rien. Toujours est-il qu’il est déroutant d’être en la présence de burleys de McClelland qui sentent le virginia de McClelland.

Des signaux d’alarme mettent fin à mes considérations. Ma langue crie au secours. Non, ce n’est pas qu’elle brûle. Mais qu’est-ce qu’elle pique ! Et c’est pareil pour mes muqueuses. Une sensation omniprésente d’acidité qui attaque et qui ronge. Et ça m’arrive à chaque fumage. Il va de soi que ça coupe sérieusement l’appétit.

C’est vraiment dommage parce que niveau goût le Burley by the Slice me plaît bien. Mais comme il y a suffisamment de burley blends plus réussis, je ne me vois plus acheter cette herbe qui m’agresse la bouche. Cependant, l’honnêteté m’oblige à vous signaler que sur Tobaccoreviews personne n’a mentionné d’avoir subi les mêmes déboires que moi. Allez savoir.

Tambolaka Natural Tobaccos, Tambolaka Pipe Tobacco

Messieurs dames, si vous êtes du genre frileux envers Dame Nicotine, inutile de continuer la lecture. Passez votre chemin.

OK, maintenant que nous sommes entre mâles, des vrais, bouclons nos ceintures et allons-y. Direction Indonésie. Plus précisément vers l’Ile de Sumba où des villageois cultivent des feuilles de tabac qu’ils sèchent à l’air libre, puis qu’ils roulent à la main pour obtenir des rouleaux de trois mètres de long qu’ils enroulent ensuite entièrement de corde naturelle et qu’ils stockent dans des huttes primitives. C’est alors que peut commencer la fermentation. Cinq ans plus tard le tabac est prêt à la consommation.

Le Tambolaka est disponible en deux conditionnements, soit en rouleaux au diamètre nettement plus important qu’un rope et qu’il faut découper soi-même, soit coupé et émietté et livré en sachets. Il est composé de burley et de tabac à cigare.

Comme il sait que j’aime les sensations fortes, Dirk Claessen m’en a fait parvenir un échantillon. Il s’agit du ready rubbed. Avec ses airs de compost et ses teintes davantage grisâtres que brunes, plutôt que de séduire, le Tambolaka inquiète. Et ce n’est pas son nez qui est fait pour vous rassurer : l’odeur incontestable d’engrais chimique et de champignons n’est pas exactement invitante. Mon échantillon âgé de trois ans est assez sec, ce qui fait que l’allumage et la combustion s’avéreront faciles.

Comme j’ai lu à plusieurs reprises que c’est le tabac le plus fort au monde, je me méfie. Or, les premières bouffées révèlent une fumée certes puissante, voire très puissante, mais qui n’atteint nullement la force renversante de certains ropes. D’accord, le Tambolaka peut provoquer le hoquet, mais contrairement aux ropes les plus forts, il ne cause ni sueurs, ni légèreté dans la tête.

A condition de le fumer posément, le Tambolaka produit une fumée assez veloutée, sans agressivité, mais il faut dire qu’elle est loin de l’opulente crémosité de celle qui se dégage des ropes. Et c’est pareil pour le goût : si les meilleurs ropes développent des saveurs remarquablement riches et volumineuses, le Tambolaka s’avère un peu court. Le goût rustique où l’on décèle des accents de kentucky et de cigares bon marché manque à mon sens de définition et d’intensité, ce qui le rend plutôt indescriptible. Ce goût, remarquez, n’est pas désagréable, mais il n’est ni flatteur, ni bien marqué, ce qui le rend assez barbant. Ajoutez à cela le caractère très peu évolutif du mélange et sa teneur en nicotine vraiment élevée et vous comprendrez qu’on se sent vite rassasié.

Le Tambolaka est une herbe exotique et bizarre qui s’adresse aux blasés qui ont déjà tout goûté. Maintenant que ma curiosité est assouvie, je peux à nouveau passer à des tabacs mieux composés, plus savoureux et moins fatigants. Dieu merci.