Font-ils un tabac ? n°32

par Erwin Van Hove

16/06/14

DTM, Kriswill Medium Navy Cut

Regardez bien la couleur de la boîte. Ca vous dit quelque chose, non ? Et la dénomination Medium Navy Cut alors ? Là, c’est plus qu’un indice, ils vendent carrément la mèche : ce Kriswill a été calqué sur le célébrissime Capstan bleu. Et comme il existe également du Capstan jaune, le Mild Navy Cut, DTM propose à son tour du Kriswill Mellow Navy Cut conditionné en boîtes jaunes.

Pour quelle raison un fabricant de tabacs peut-il bien se mettre à imiter ouvertement un grand classique ? Qui voudrait de l’ersatz quand on peut avoir de l’authentique ? Il faut savoir qu’au moment où les Kriswill ont été lancés, les Capstan produits par Orlik n’étaient pas disponibles sur le marché allemand. Voilà, c’est aussi simple que cela. Aujourd’hui, c’est Mac Baren qui produit le Capstan. Dorénavant le célèbre flake est distribué à échelle mondiale. Aussi en Allemagne. En principe, le Kriswill a donc perdu sa raison d’être. Pourtant, après l’avoir dégusté, je ne suis pas sûr qu’il soit condamné à disparaître parce qu’en vérité, au niveau gustatif il n’a finalement pas grand-chose en commun avec le modèle qu’il est censé plagier. C’est pour cette raison que dans le texte qui suit, je le jugerai sur ses propres mérites, sans le comparer avec son légendaire concurrent.

L’ouverture de la boîte réserve une petite surprise : on sent une certaine acidité volatile tomateuse qui rappelle de loin l’univers mcclellandien. Quelques jours plus tard cependant, ces effluves se sont dissipés pour faire place à un nez nettement plus classique sur le foin et en moindre mesure sur les fruits secs. Plutôt discrets, ces arômes sont équilibrés et agréables. En effritant les flakes ni trop secs ni trop humides, on découvre toute une panoplie de tons blonds, fauves et bruns avec ici et là une touche tête de nègre.

Dès que la fumée me tapisse le palais, je suis enchanté : voilà un flake à la fois gourmand et viril qui est parfaitement balancé. Du foin et de la paille, un petit côté fruité, des épices bien dosées. Une très jolie douceur aussi avec en contrepoint une amertume contrôlée et de la vitamine N toujours présente mais jamais dominatrice. Et ce n’est que le prélude. Dans le dernier tiers les saveurs se fondent pour former un tout intense et harmonieux qui est profondément satisfaisant.

Sur Tobaccoreviews.com deux personnes seulement se sont exprimées sur le Kriswill Medium Navy Cut, alors que le Hamborger Veermaster du même fabricant a été commenté plus de soixante-dix fois. Voilà donc un tabac qui sombre dans l’anonymat. C’est manifestement une injustice car ce virginia avec une pincée de perique peut combler tout amateur de flakes naturels et classiques. Personnellement, je trouve même le Kriswill plus complet que le renommé Capstan. Na.

Gallaher, Condor Long Cut

Disponible uniquement au Royaume-Uni, le Condor est peu connu de notre côté de la Manche. En Grande-Bretagne par contre, c’est un grand classique vendu jusqu’en grande surface. Conditionné en pochettes, il se décline en quatre variétés : le Ready Rubbed, le Blended, le Plug et le Long Cut.

Long Cut est synonyme de flake. En ouvrant la pochette, on découvre donc des flakes assez courts et étroits qui frappent par leur couleur foncée. Dès qu’on hume le tabac, on sait à quoi s’attendre : on reconnaît à la fois des parfums à la Lakeland et des odeurs qui rappellent le Saint-Bruno et l’Erinmore. Plus britannique que ça, on meurt et pourtant, loin de la caricature, ce nez si typé est passablement subtil. Il y a des notes florales et savonneuses, une petite pointe musquée et de jolis arômes fruités d’agrumes et surtout de framboise. Rien à voir cependant avec le sauçage fruité à la danoise.

Comme les flakes sont assez humides, il vaut mieux les malaxer pour obtenir des brins avant de procéder à un bourrage léger. Il me faut d’ailleurs plusieurs allumages, mais après, le tabac se consume sans problèmes et très lentement. D’emblée il est évident que le Condor est une grosse pointure : il est costaud et bourré de goût. Et bien fait avec ça : l’équilibre entre sucre et acidité est parfait, il y a une virile présence saline et juste ce qu’il faut d’amertume. Le virginia sucré, épicé et corsé a suffisamment de carrure pour ne pas se laisser dominer par les arômes ajoutés et évolue gentiment vers une plus grande intensité, pendant que diverses saveurs culbutent et virevoltent : de l’orange et de la bergamote, des notes florales et l’appétissante saveur de framboise qu’annonçait déjà le nez. Bref, l’heure qu’on passe en la compagnie du Long Cut est tout sauf ennuyeuse.

Une fois de plus, je suis frappé par un phénomène étonnant. Les Américains distinguent deux catégories de tabacs. D’une part, il y a les tabacs qu’on pourrait qualifier de BCBG. Ce sont les produits artisanaux de maisons comme McClelland, Cornell & Diehl ou G.L. Pease qui ne sont disponibles que dans les civettes spécialisées et qui s’adressent aux pipohiles connaisseurs et gourmets. D’autre part, il y a les tabacs que les Américains désignent du terme drugstore blends ou encore OTC (over the counter) blends. Là il s’agit de tabacs populaires, la plupart du temps conditionnés en pochettes et distribués jusque chez Walmart, qui ciblent une clientèle plus traditionnelle et moins exigeante. Partout au monde ces drugstore blends, généralement des aros, ne brillent ni par leur qualité ni par leur caractère trempé. Partout sauf en Grande-Bretagne. Des tabacs comme le Saint-Bruno, le Capstan, le Highland Sliced, le Mick McQuaid, le Revor Plug conditionnés en pochettes et vendus un peu partout, sont des mélanges certes populaires mais qui peuvent parfaitement combler l’aficionado le plus blasé. Le Condor Long Cut fait sans conteste partie de cette série de tabacs là.

Pfeifen Schneiderwind, Staverton

Tout comme les typiques civettes sur le territoire américain, les magasins de pipes allemands qui ont pignon sur rue, proposent toute une gamme de mélanges maison. La plupart du temps, il ne s’agit pas de créations originelles, mais de tabacs qui font partie du catalogue de Kohlhase & Kopp, de DTM, de Planta, voire du Scandinavian Tobacco Group, les civettes se bornant à rebaptiser les mélanges qu’elles décident de commercialiser sous leur bannière. Le bel établissement de Pfeifen Schneiderwind situé en plein centre d’Aix-la-Chapelle ne fait pas exception. On y propose donc un éventail de mélanges maison conditionnés en boîtes qui respirent la classe.

Je ne peux pas dire que lors de mon passage chez Schneiderwind, j’ai été impressionné par la compétence et par la serviabilité du personnel. Ainsi, personne ne pouvait me dire qui était le fabricant des gourd calabashes qu’ils proposaient. Etonnant quand même. Et il n’était pas non plus possible d’obtenir un embout en caoutchouc pour tester leur tirage. Quand j’ai demandé à voir les Barbi, on m’a répondu qu’il n’y en avait plus. Là, j’ai vraiment senti monter l’irritation vu que je savais que diverses Barbi étaient en vente sur le site web de Schneiderwind. Quand, pour finir, ils m’ont avoué que ces pipes se trouvaient dans le stock sans aucunement s’apprêter à les chercher, je me suis senti un importun. Me voilà donc sorti du magasin, passablement frustré, avec pour seuls achats deux boîtes de tabacs maison.

En ouvrant ma boîte de 100g de Staverton, je découvre un séduisant rouleau de flake qui n’a pas été coupé. Le brun foncé domine, mais il y a aussi du fauve et de l’anthracite. La composition du mélange n’est pas mentionnée sur la boîte, mais les effluves qui s’échappent de la boîte laissent peu de place au doute : c’est un VA/perique. Ce nez est d’ailleurs passablement opulent : certes il y a les typiques fruits secs du perique, mais il y a surtout un beau boisé et une odeur réconfortante de café et de sucre candi. On devine un tabac d’automne, sombre et corsé.

Le taux d’humidité est parfait et le tabac s’émiette facilement. A l’allumage, on découvre une fumée qui ne cherche pas à impressionner, mais simplement à plaire. Pas de feu d’artifice donc, mais des saveurs équilibrées d’un VA/perique civilisé. Une assise discrètement sucrée, une acidité qui s’exprime dans le registre balsamique, une amertume bien maîtrisée, de subtiles notes fruitées, un tour de moulin à poivre, par ci par là les touches de café et de sucre candi annoncées par le nez, des saveurs boisées marquées. Et puis pas mal de nicotine.

La combustion est lente et sans encombres. Peut-être même trop lente : vu le caractère peu évolutif du mélange, un fumage particulièrement long risque à la fin de devenir quelque peu lassant, notamment à cause de l’omniprésent goût boisé. Par contre, quand on arrête le fumage pour reprendre la pipe quelques heures plus tard, on se rend immédiatement compte que le Staverton est parfaitement approprié à la DGT.

Ce flake de Schneiderwind n’est pas un tabac qu’il faut avoir goûté à tout prix. Il n’est pas particulièrement distinctif et dans son genre, il y a mieux. Ceci dit, c’est quand même un VA/perique tout à fait respectable qui s’adresse à ceux qui apprécient des tabacs virils aux saveurs sombres. Par contre, si des saveurs boisées vous déplaisent ou si vous cherchez de la complexité évolutive, il faudra regarder ailleurs.