Font-ils un tabac ? n°55

par Erwin Van Hove

02/05/16

HU-Tobacco, Red Sparkle

Ça fait un bail que je n’ai pas testé d’aro. Ce n’est pas un secret que je suis fondamentalement un fumeur de mélanges naturels. Par la force des choses. Ce n’est pas l’idée même de dénaturer le goût du tabac au moyen de casings ou de top-dressings qui m’horripile. Non, ce qui me répugne, c’est la piteuse exécution de cette idée qui consiste généralement à mélanger de vulgaires arômes chimiques à des herbes de qualité inférieure. Heureusement, il y a des exceptions. Il existe bel et bien des aros de bon aloi qui ne lèsent pas sur la qualité des ingrédients et qui réussissent le pari d’instaurer une réelle harmonie entre les divers tabacs et les arômes ajoutés. Je pense par exemple au Chocolate Flake de Samuel Gawith, au St. Bruno ou encore au fameux semois de Windels d’antan parfumé à l’authentique deer tongue.

Quand un blender passionné et doué comme Hans Wiedemann juge bon de lancer une nouvelle série de sept aromatics, baptisée United Passion Special Blends, j’avoue que je me sens tenté. J’en ai donc commandé trois. A commencer par Red Sparkle. Pas de trace de burley qui constitue la base de tant d’aros. Plusieurs virginias, différents kentuckys et une pincée de perique. Du sérieux. Et puis, aro oblige, ce que monsieur Wiedemann appelle un sauçage subtil à la réglisse.

La boîte est assez volumineuse pour 50g de tabac et pour cause : il s’agit de jolis brins assez larges en loose cut avec une belle gamme de couleurs. Vraiment invitant. J’adore le nez qui est remarquablement complexe. Quand on hume longuement, les associations fusent de toute part : de la réglisse, certes, mais aussi du chocolat amer, du sucre candi, du musc, du clou de girofle, du toasté, de l’eucalyptus et même les sparadraps de mon enfance. Et puis une note de fraîcheur fruitée. C’est autre chose que les aros qui sentent bêtement la cerise ou la mangue !

Je m’empresse donc d’allumer. Ah oui, c’est frais et sombre à la fois avec d’une part des virginias acidulés qui vous titillent les muqueuses et qui véhiculent des saveurs de fruits rouges, genre groseilles, et d’autre part avec les kentuckys qui apportent une chaleur grillée et légèrement fumée, pendant que le perique poivre le tout. Si c’est acide, épicé, voire piquant à souhait, le tout est tenu en équilibre par une douceur discrète rehaussée de temps à autre par un petit souffle de réglisse.

Ce n’est pas un de ces aros légers où l’on aspire de l’air parfumé : la fumée regorge de goût et rassasie donc le fumeur en quête de sensations viriles, d’autant plus que les saveurs s’intensifient en cours de route. A noter également que malgré la largeur des brins, le tabac se consume très facilement sans rallumages répétés.

Je peux comprendre que par son côté acidulé et piquant le Red Sparkle rebute certains. Moi, j’ai franchement pris mon pied et je suis convaincu que cet aro atypique pourra combler plus d’un inconditionnel de mélanges naturels. A essayer.

Dan Tobacco, The Mellow Mallard

C’est devenu un jeu à chaque fois que je m’apprête à ouvrir une boîte de tabac en provenance de Lauenburg : deviner sous quel nom de marque est commercialisé le mélange. Dan Tobacco ? DTM ? DTM-Dan Tobacco ? Il s’avère cette fois-ci que c’est du Made by Dan Tobacco. Si ce n’est pas la première fois que je me moque de cette bizarre pratique commerciale, je m’empresse pourtant d’exprimer mon appréciation pour Heiko Behrens et son équipe qui nous proposent une très large gamme de tabacs respectables à des prix démocratiques. Tenez, une boîte de 100g de Mellow Mallard ne vous coûte que 16 euros.

Rich aromatic pipe tobacco qu’ils ont écrit sur la boîte. Ça peut induire en erreur, parce qu’il ne s’agit point d’un aro, mais d’un VA pure nature. Des virginias aromatiques et naturellement sucrés en provenance de Zambie, fermentés dans une presse avant d’être transformés en ready rubbed.

Des couleurs classiques : fauve, doré, brun. Une hygrométrie qui permet de bourrer sans sécher. Un nez assez riche où je retrouve des pommes qui sèchent au grenier, du sirop d’érable, du boisé, des boules de Berlin. Ça promet.

Et pourtant me voilà déçu. Sur le site web de Dan Pipe, le Mellow Mallard est présenté comme un mélange remarquablement doux et bon enfant. Mellow, quoi. Or, je ne retrouve ni la crémosité ni la rondeur que j’associe à ce vocable. Au contraire, dans la première moitié du bol, une acidité poivrée passablement décapante se fait sentir. Trop même à mon goût. Et l’aspect tactile de la fumée n’arrange rien : on est loin d’une suave onctuosité. Côté saveurs, plus de boules de Berlin, mais des notes automnales boisées, réglissées, aigres et épicées. C’est vraiment pas ça. Heureusement, la seconde moitié gagne en harmonie pour terminer sur une finale plus sucrée et par conséquent plus équilibrée.

Pour moi, le colvert que voici est un canard boiteux. Dommage, parce que dans le genre, Andreas Mund, le blender attitré de Dan Pipe, sait nettement mieux faire. Si ce n’est chose faite, essayez-moi le Hamborger Veermaster.

DTM, Happiness

Putain. Andreas Harm, le patron d’Esterval’s Pipe House (tecon-gmbh.de/), me tape sur le système. T’as commandé pour 550 euros de tabacs naturels et pour te remercier, il t’envoie deux piètres échantillons, dont l’un sent à mille lieues l’aro. Herzlichen Dank. Et, comble de l’ironie, cet aro s’appelle Happiness. C’est ça, oui.

Et la recette de cette insulte ? Holunderbeeren und Aprikosen. Hein ? Aprikosen, ça oui, je pige. Mais Hol-un-der-bee-ren ??? Dans ma langue maternelle, des beren, c’est des ours. Et un hol, un terrier. Un tabac aromatisé au terrier d’ours ? A l’ours dans son terrier ? Non, je blague. Je sais que des Beeren, c’est des baies. Et vérification faite, j’apprends que Holunder, c’est du sureau. Du sureau ? C’est le sirop contre la toux de mon enfance. Je crois que j’aurais préféré l’ours en hibernation. Ah oui, à part la sauce au sureau et à l’abricot, il y a, paraît-il, également du virginia et du black cavendish.

Van Hove, de grâce, ressaisis-toi, cesse de te moquer et traite ce mélange avec le sérieux qu’on attend de toi. OK, OK, je me reprends en main. Mais avant, je me permets d’attirer l’attention sur le fait que cette fois-ci, c’est du DTM. Probablement l’abréviation de Du Très Mauvais. Van Hove, ça suffit !

Je suis agréablement surpris en examinant le mélange : c’est une belle coupe large et je décèle plusieurs virginias de différentes couleurs et seulement quelques brins de black cavendish. Le nez est fortement aromatisé aux fruits et c’est vrai que c’est avant tout l’abricot sec qui se distingue. Le sureau, par contre, je ne le reconnais pas. Pour moi, c’est un nez caricatural qui n’a plus rien à voir avec le tabac et cependant, je dois admettre qu’il ne me déplaît pas vraiment.

Je sors ma Prungnaud qui est dédiée aux aros. Voilà déjà les premières bouffées. Elles sont remarquablement crémeuses et véhiculent un évident goût d’abricot. C’est suave, doux, fruité à souhait. Arrive alors une acidité musclée qui apporte de l’équilibre à condition de fumer posément. Parallèlement se développent des saveurs épicées, voire piquantes. Cette sensation de chaleur en bouche n’est pas désagréable et transforme le fruité un peu trop racoleur en quelque chose de plus sérieux et de plus complexe. Ma foi, ce n’est pas mauvais. Il y a même suffisamment de vitamine N pour me satisfaire.

Seul bémol, le mélange n’évolue plus, ce qui, à la longue, rend le fumage un tantinet barbant. Pas écœurant, remarquez. Parce qu’il faut le dire, contrairement à tant d’aros mal foutus, le Happiness ne devient pas amer et ne se met ni à surchauffer ni à produire du jus.

Non, détrompez-vous, le Happiness ne réussit pas à me réconcilier avec les sauces aux fruits. Ceci dit, c’est un aro bien fait qui doit sûrement faire plaisir aux amateurs du genre.