Font-ils un tabac ? n°60

par Erwin Van Hove

29/08/16

Robert Lewis, Tree Mixture

Non, aucun rapport avec les arbres, le Tree Mixture. Pendant une cinquantaine d’années, avant sa commercialisation fin 20ième siècle, c’était tout bêtement le private blend du colonel Tree. Je l’ai déjà dit et je le répète : les boîtes de Robert Lewis sont un leurre. On y lit que la maison de tradition a été fondée en 1787 et réside à la St. James’s Street à Londres. Bref, tout est fait pour vous faire croire que vous êtes le fier propriétaire d’un authentique anglais de vieille souche. En vérité, les tabacs Robert Lewis sont prosaïquement produits en Allemagne, chez Kohlhase & Kopp.

Nulle mention des ingrédients, ni sur ni dans la boîte. Il faut donc chercher ailleurs. Et là, je tombe immédiatement sur des contradictions. Smokingpipes par exemple présente le Tree Mixture comme un virginia/latakia, donc comme un anglais classique, alors que son grand concurrent Pipesandcigars spécifie que c’est un mélange à base d’orientaux complémentés de virginia, black cavendish et une pincée de latakia. Dans ce cas, c’est un balkan. Je ne pigerai jamais ce genre de divergence. En tout cas, il faudra me fier à mes propres sens.

Une épaisse couche de tabac colle contre la pastille en papier, ce qui m’irrite toujours. Pourtant le tabac n’est pas trop humide. Les couleurs ne mentent pas : il est impossible que ce mélange ne contienne qu’une pincée de latakia. J’ai donc du mal à croire à la version Pipesandcigars. A moins qu’une bonne partie de ces brins noirs ne soit constituée de black cav. Et dans ce cas, ce serait Smokingpipes qui raconte des balivernes. Est-ce que mon nez arrivera à trancher ? Pas vraiment. D’une part, il capte avant tout les odeurs empyreumatiques typiques du latakia, ce qui semble étayer la version Smokingpipes, mais d’autre part il décèle également les herbes orientales mentionnées par Pipesandcigars. En fait, mon nez conclut que les deux civettes ne disent pas toute la vérité : il y a bel et bien des tabacs orientaux, mais ils ne jouent pas le premier violon.

Le fumage confirme cette hypothèse. Le Tree Mixture est un mélange équilibré et réussi qui s’inscrit parfaitement dans la tradition anglaise. Ce n’est sûrement pas un balkan où les herbes orientales mènent la danse alors que le latakia n’a qu’une fonction de support. Ceci dit, il est impossible de nier la présence de tabacs turcs, mais ils sont parfaitement intégrés dans l’ensemble et vivent en symbiose avec le latakia. Disons donc que c’est un anglan ou un balkais. Ou un balcossais vu la possible présence de black cavendish. Il est d’ailleurs à remarquer que le caractère du tabac varie d’une pipe à l’autre. Quoi qu’il en soit, le mélange présente un juste équilibre entre douceur, acidité et amertume, n’est ni trop léger ni trop fort, et ne fatigue pas le palais avec une overdose de latakia. Par contre, il est peu évolutif.

Une chose est sûre : par son classicisme de bon aloi, il est pour ainsi dire exclu que le Tree Mixture déçoive l’amateur de mélanges anglais, balkan et écossais à la recherche d’un blend à essayer. Ni magistral, ni inoubliable, c’est un tabac solide et bien fait.

Cornell & Diehl Habana Daydream

Voici une quinzaine d’années, à l’époque où le cigare me procurait presqu’autant de plaisir que la pipe, j’ai testé une demi-douzaine de cigars blends, c’est-à-dire des mélanges dont l’un des ingrédients est du tabac à cigare. Si je ne suis jamais tombé sur des blends exécrables, j’en étais quand même venu à conclure qu’en général le tabac à cigare et la pipe ne forment pas un couple particulièrement heureux. Cependant, à cette règle il y avait une exception de taille : le Key Largo de Greg Pease, un chef-d’œuvre d’équilibre. J’ai donc cessé de chercher activement ailleurs. Toutefois, même à ce jour, il m’arrive de temps à autre de glisser dans mes commandes un cigar blend. Sans en attendre monts et merveilles.

Je viens d’ouvrir une de ces boîtes, datant de 2009. Virginias, black cavendish non aromatisé, perique, latakia et tabac à cigare. Tout un programme, ce Habana Daydream. Pour faire de ce micmac un ensemble qui marche, il faut du doigté. D’accord, c’est un mélange composé par le regretté Craig Tarler, mais je me méfie quand même.

A part quelques brins noirs, que des bruns et des fauves. J’en suis ravi parce que je ne voudrais pas que mon cigar blend soit dominé par le latakia ou le perique. Le nez le confirme : je décèle l’arôme du perique dans le fond et je dois humer longuement avant de percevoir une toute légère touche fumée. Ce qui frappe surtout, c’est la parfaite intégration de tous les ingrédients dans un ensemble qui sent le tabac. Le bon tabac. C’est terre à terre et champêtre avec une jolie note de fraîcheur. Miam. Comme d’habitude, ce C&D est livré passablement sec. Mais pas trop.

L’allumage terminé, je suis immédiatement sous le charme : quelle finesse, quelle merveilleuse harmonie ! Le mariage des divers ingrédients est tellement parfait qu’il est impossible de décrire leur apport individuel. Et cependant il est indéniable qu’on est en train de fumer un cigar blend. Ce qui ne veut pas dire qu’on a l’impression de fumer un havane. Le goût de cigare est présent, mais fusionné avec celui des autres tabacs. Il y a de la douceur, il y a de l’acidité, il y a de l’amertume, il y a des épices et tout ça dosé de main de maître. Il y a aussi de la nicotine parce que ce n’est pas un tabac léger, ce qui n’empêche pas que la fumée suave caresse les papilles. Et cette fumée est haute en goût, du début à la fin, sans pour autant gaver le palais.

J’ai testé le Habana Daydream dans des pipes dédiées au virginia et au VA/perique et dans d’autres réservées aux anglais. Miraculeusement, le mélange s’adapte à toutes les bouffardes et se montre brillant dans toutes les bruyères. C’est une qualité extrêmement rare.

Je sais que je ne vais jamais m’en lasser de ce Habana Daydream parce que c’est tout simplement un monument du blending. Essayez-le et vous verrez que vous fredonnerez comme moi J’ai du bon tabac dans ma tabatière. A condition d’aimer un tabac au goût de tabac.

Dan Tobacco, Alter Pinnas

Grand fan de Hamborger Veermaster, j’ai passé au crible la gamme entière des Hamburger Pfeifentabake dans le catalogue de Dan Pipe. Une perte de temps parce que j’ai vite compris que ma recherche d’un trésor caché se solderait par un échec : tous ces blends sont des aros. A part un seul dont le descriptif se borne à préciser qu’il s’agit d’un tabac velouté au bouquet légèrement doux, sans mentionner l’ajout d’arômes. D’ailleurs Tobaccoreviews est à ce sujet on ne peut plus clair : Flavoring : None. Bref, mon seul et unique espoir, c’est le Alter Pinnas.

Composé de virginias, de burley, de kentucky et de black cavendish, c’est un tabac visuellement attractif avec sa belle variété de couleurs et surtout avec sa rustique coupe large qui révèle des morceaux de feuilles hachées plutôt que de brins. Il faudra donc des foyers assez volumineux. Passons au nez. Dès que je hume, mon pif sonne l’alerte : ça, c’est de l’aro ! Et ce n’est pas au pifomètre qu’il lance ce jugement. Il sait. Ca schlingue le dopage au sucre et notamment le caramel. Si c’est ça, le bouquet légèrement doux, et ben ! Je sens également du grillé, des relents médicamenteux, une artificielle odeur de pomme et du fruité acide que je n’arrive pas à définir.

Là je suis en rogne : je me sens arnaqué. Je fais donc quelques recherches pour en avoir le cœur net. Bingo. Le légèrement doux, c’est du sucre inverti, du sorbitol, de la glycérine, de la réglisse et du miel. Pour contrebalancer cette bombe à sucre, il a fallu rajouter de l’acide lactique et du concentré de tamarin. Et puis, pour rehausser le tout, rien de mieux qu’une petite sauce de vanilline et de concentré de pomme. Flavoring : None ?? Hein ?? Enfin il y a la cerise sur le gâteau : de l’extrait de cytise. Oui, cytise. Aucune idée à quoi pourrait servir cet extrait, d’autant plus qu’il est établi que le cytise est vénéneux.

Vous me pardonnerez, mais je n’ai aucunement envie d’entrer dans les détails. Non, le Alter Pinas n’est pas infect. Il m’ennuie à mort. Sucre caramélisé, notes toastées, tamarin acide. Pas de saveurs nettes. Fumée passablement rêche. Acidité assez incisive. Manque de puissance. Manque d’évolution. Manque de personnalité. Banal et ordinaire du début à la fin. Même pas un bon aro. Affaire classée.