Font-ils un tabac ? n°74

par Erwin Van Hove

25/09/17

Rotary, Luxury Navy Cut

Ce n’est pas tous les jours qu’on a le privilège de déguster un tabac âgé de 35 ans. Avant tout, je remercie donc Bruno Nuttens pour l’échantillon plus que royal qu’il m’a fait parvenir.

Qu’est-ce que je peux vous donner comme info sur ce Rotary ? Absolument rien. Je ne connais pas la marque, je ne sais pas qui la fabriquait et j’ignore tout sur la composition de ce flake. Grâce à Google, j’apprends que la marque existe toujours, qu’elle appartient à l’écurie Kohlhase & Kopp et qu’elle propose toujours un Navy Cut. Selon Tobaccoreviews ce serait un straight virginia légèrement saucé au rhum.

Les flakes étroits et fins contiennent des fragments blonds, fauves et brun foncé, mais sont fondamentalement brun moyen. Evidemment ils sont fort secs mais pas au point d’être racornis. Les odeurs qu’ils dégagent, sont complexes et fort plaisantes : tabac, pain à la grecque (est-ce que les Français connaissent cette spécialité bruxelloise ?), fruits secs, cannelle et noix de coco. Une dizaine de jours après l’ouverture de la boîte, le tabac est desséché et dur alors que le nez s’est transformé : désormais il est tout simplement terreux.

A chaque fumage, les toutes premières bouffées véhiculent de vagues arômes Lakeland qui disparaissent aussitôt pour faire place à un ensemble classique, fondu, mature avec une bonne dose de sucre, une note saline et une acidité très présente. Je peux imaginer que dans sa jeunesse ce Navy Cut tendait à mordre la langue, parce que malgré son âge plus que respectable et le fondu qui en résulte, ces acides sont toujours passablement vivaces. Il est pour ainsi dire impossible de dégager des saveurs individuelles : on est sur les fruits secs épicés et sur des notes de terre sèche. Dès la fin du premier tiers, se développe une amertume qui me rappelle la noix de muscade et qui rend le tout plus austère. Je ne serais pas étonné d’apprendre que le mélange contient du burley. Désormais je découvre également des notes de citron confit et de cannelle. Je finis également par remarquer que lorsqu’il m’arrive de tirer sur ma pipe sans me concentrer, j’ai comme un goût de cigarette blonde en bouche. Vers la fin, j’ai l’impression que notre vieillard s’essouffle. Les pipées se meurent donc discrètement, sans faire de bruit et sans grande finale.

Une semaine plus tard, quand le tabac est archi-sec, il est méconnaissable : nettement plus rêche, amer et caustique. Plus unidimensionnel aussi. Il ne reste plus qu’un goût de terre sèche et je jurerais que je suis en train de fumer du burley. Cela prouve une fois de plus que s’il vaut vraiment la peine d’encaver vos virginias pendant des décennies, une fois les boîtes ouvertes, il faut les terminer au plus vite.

Ce mélange obscur n’appartient pas à l’olympe des grands classiques. Et pour cause. Si grâce à l’effet du temps il s’est fondu en un ensemble goûteux et plaisant, il n’a rien de particulièrement bouleversant. Je suis content de l’avoir goûté, mais il ne laissera pas dans ma mémoire des traces indélébiles.

Peterson, Signature Flake

Une fois de plus je trouve sur les sites des commerçants de tabac des descriptifs qui se contredisent. La grande majorité reprend tout simplement le texte imprimé sur la boîte : le Signature Flake est fait exclusivement avec des virginias en provenance de l’Afrique et du Brésil. Mais j’ai trouvé également une présentation autrement plus détaillée : Divers virginias de millésimes différents en provenance de plantations au Malawi, en Inde, au Kentucky et en Virginie servent de base. Ces tabacs sont mélangés avec du air cured burley. Ça ne s’arrête pas là. Les uns me garantissent qu’il s’agit d’un blend pure nature, les autres dévoilent que le tabac a été légèrement saucé. Il y a même un détaillant qui précise qu’il s’agit d’un arôme caramel/chocolat. Quoi qu’il en soit, le Signature Flake est une édition spéciale lancée en 2015 pour célébrer le 150ième anniversaire de la compagnie irlandaise. C’est l’occasion de vous rappeler que les tabacs Peterson sont aussi irlandais que la Petite Sirène de Copenhague.

Au moment où au Royaume des Belges une boîte de 100g de Mac Baren coûte entre 21 et 22 euros, le Signature Flake, pourtant lui aussi produit chez Mac Baren, est proposé à 29 euros. Et ben. Je me sens donc en droit de m’attendre à un mélange sortant de l’ordinaire.

Il est vrai qu’à l’ouverture de la boîte, je découvre des flakes luxueux, larges, finement tranchés. Ils sont nettement plus foncés que sur la photo et parsemés d’une myriade de fragments de couleurs diverses. Avec ses notes de foin poussiéreux et ses relents médicamenteux, le nez n’est pas particulièrement alléchant. D’emblée, j’exclus que le tabac ait été dopé au caramel/chocolat. Les tranches ne sont pas humides et se transforment aisément en brins faciles à bourrer, mais on peut également les plier et les enfourner telles quelles, méthode que personnellement, je préfère.

Il ne me faut pas beaucoup de temps pour conclure que je ne rachèterai plus de Signature Flake. Non pas parce qu’il serait si mauvais mais parce qu’il est tellement mesuré et bourgeoisement comme il faut, qu’il me barbe. Certes, les virginias ont une discrète douceur et il est vrai que les acides et l’amertume sont domptés. Et le descriptif ne ment pas quand il mentionne la saveur épicée. Mais ce tabac manque cruellement de personnalité. Alors qu’avec cette édition spéciale et festive, Peterson devrait, me semble-t-il, nous réjouir, voire nous impressionner, la marque irlandaise nous a livré un tabac comme il y en a treize à la douzaine.

Quand je poursuis le fumage, je dois dire que les choses ne s’arrangent pas. Au contraire. La fumée fluette manque de velouté, alors que les saveurs tristement monotones et déformées par un je-ne-sais-quoi de chimique et de médicamenteux laissent dans ma bouche comme un film cendreux. Je constate aussi que l’amertume prend le dessus sur le sucre et qu’elle assèche mes muqueuses comme un vin trop tannique. Voilà donc un virginia flake qui n’est ni fruité, ni herbeux, ni sombre et rassasiant et qui est tout sauf agréable en bouche. Côté force, le Signature Flake est un poids moyen. Reste à vous parler de l’évolution. Ce sera vite fait : quelle évolution ?

Vu que les tabacs Peterson sont faits depuis des décennies par de respectables maisons allemandes et danoises, je n’ai jamais compris pourquoi neuf fois sur dix ces tabacs me déçoivent tant. Pourtant c’est un fait et ce n’est sûrement pas ce flake au prix corsé qui me fera changer d’avis.

Voilà une conclusion claire et nette après une demi-douzaine de fumages répartis sur trois jours. Comme je ne me sens pas appelé à vider de suite cette boîte sans intérêt, je la relègue dans mon armoire à tabac. Une dizaine de jours plus tard, je la ressors. Même nez peu appétissant. Mais voilà qu’à peine allumé, le Signature Flake se met à rouler des mécaniques. Le voilà autrement plus corsé qu’avant. Parallèlement je découvre un tabac aux saveurs sombres et rigoureuses et à la structure équilibrée. L’ensemble n’est toujours pas du genre flatteur, mais désormais c’est un tabac épicé avec des notes boisées et une touche légèrement fruitée sur le pruneau. Cette fois-ci il y a même une finale aux saveurs plus concentrées.

Ces impressions se confirment lors des fumages suivants. Décidément, l’apport d’oxygène a transformé le mélange, ce qui me fait conclure que le Signature Flake mérite d’être encavé. Tel qu’il se présente désormais, il ne fait toujours pas partie de mes virginias favoris. N’empêche que j’ai appris à l’apprécier et que je le fume avec de plus en plus de plaisir. En fin de compte c’est un tabac de qualité qui plaira aux amateurs de virginias épicés et virils.

TAK, Burley’s Best (Friend)

La dégustation précédente d’un burley blend de Thomas Darasz m’a vraiment déçu. (artfontilsuntabac72.htm). Il me semblait que les ingrédients n’étaient pas exactement de la meilleure qualité, ce qui se comprend vu le prix tout doux du Ralf’s Burley Cup proposé à 12,50 euros les 100g. Pour le Burley’s Best (Friend) Darasz demande 17 euros. Ça fait une sacrée différence. Dès lors, j’espère découvrir un burley d’un autre niveau.

J’attends d’un tabac baptisé Burley’s Best (Friend) qu’il mette en exergue le burley. Or, quand j’ouvre le sachet en plastique, je trouve à ma surprise une composition complexe de diverses couleurs et surtout de coupes différentes. A part des ribbons et du ready rubbed de taille standard, je vois également de grands fragments de tabac blond et des morceaux de feuille brune. Il y a même du broken flake et des curlies partiellement défaits. Bizarre pour un burley blend. Tout s’explique quand je lis que Darasz a intégré dans la recette des virginias, du kentucky et du perique.

Le nez est extrêmement fermé. L’odeur qui sort du sachet est fluette et fine. Agréable aussi. Mais je suis incapable de vous la décrire. Ce qui est certain, c’est que je ne retrouve ni le côté terreux ni les arômes de noisette et de chocolat que j’associe au burley.

Cependant, à l’allumage, mon palais repère immédiatement du burley, mais pas du genre bon enfant et chocolaté. Non, ce burley-ci affiche ouvertement sa faible conteneur en sucre et son caractère raide et austère qui en découle. Et il ne faut pas croire que les virginias se sentent appelés à amadouer ce burley spartiate. Que nenni. Quant au perique, il se borne à donner un coup de moulin à poivre et à arroser le tout d’un filet de vinaigre, plutôt que de dérider d’une corbeille de fruits secs le puritain américain. Et si vous pensez que ce sera alors au kentucky d’égayer le tout, vous oubliez sûrement sa nature amère et incisive.

Bon, ben, que ce soit clair : ici on ne rit pas. A moins qu’il ne s’agisse d’un rire caustique vu les acides et l’amertume corrosifs. Pourtant, je ne peux pas dire que Thomas Darasz se soit planté. En fait, les ingrédients sont bien dosés, ce qui fait qu’aucun élément ne détonne. Je suppose donc que ce caractère monacal du Burley’s Best (Friend) est un choix conscient. Seulement voilà, qui a envie de fumer un mélange dont la structure acerbe écrase toute saveur engageante ? Moi pas en tout cas.

Excusez-moi, pourriez-vous me passer le sucrier, s’il vous plaît.
Merci.

PS : Un mois plus tard, le tabac se présente nettement mieux : ça reste un burley blend fort rigoriste, mais le côté corrosif a disparu. Darasz ferait mieux de reposer ses tabacs avant de les lâcher sur le public.