Font-ils un tabac ? n°84

par Erwin Van Hove

30/04/18

Planta, Empire Aromatic

Jamais il ne me viendrait à l’idée de me procurer un aro de chez Planta. Jamais. Il se fait que j’ai trouvé cette boîte dans un colis de tabacs commandés en Allemagne. Était-ce une erreur ? Était-ce un cadeau ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, me voilà confronté à une boîte qui me hérisse le poil. Vous comprendrez donc que ce n’est pas de gaieté de cœur que je l’ouvre pour vous. C’est dans des moments pareils que je me demande pourquoi un vieux cynique dans mon genre continue à croire au sens du devoir.

Commençons par une parenthèse. La série Empire a été lancée il y a quelques années seulement et voilà que, déjà, l’Aromatic est mort en enterré. Pas la peine de partir à sa recherche. Ce n’est pas que Planta ait arrêté la production. Non, ils ont dû changer le nom afin d’être en règle avec la nouvelle législation européenne. Tout terme qui donne une indication du goût d’un tabac est désormais banni des emballages. Donc plus de smooth, de spicy ou d’aromatic. Les rigolos de chez Planta n’ont rien trouvé de mieux que de le rebaptiser Virginia. Virginia ??? Seriously ? Bref, grâce aux grands esprits qui légifèrent sur le territoire de l’Union Européenne et grâce aux Plantagénies, une ribambelle d’amateurs de virginia risque d’avoir une mauvaise surprise. Chapeau.

L’Empire Aromatic est un flake composé de virginia et de black cavendish aromatisé avec ce que Planta appelle un potpourri de fruits. En triturant les tranches de tabac, je retrouve davantage de noir que de teintes brunes. C’est dire que ce Virginia est dominé par le black cav. Le nez est fort fruité et correspond en effet à un potpourri. Il m’est impossible de distinguer les différents fruits qui sont entrés dans le mélange. S’il y a une odeur que j’arrive à définir, ce serait celle de la fraise des bois.

Heureusement, le tabac n’est pas sirupeux, ce qui permet un allumage sans encombres. Les premières bouffées sont à la fois très fruitées (tutti frutti) et toastées, vraiment crémeuses et fort sucrées mais tenues en équilibre par des acides d’agrumes,. Ma foi, c’est loin d’être mauvais, d’autant plus qu’on n’a pas l’impression de fumer des produits chimiques. Ces bouffées-là font même que je peux comprendre les amateurs d’aros. Seulement voilà, comme si souvent avec les tabacs aromatisés, le plaisir s’arrête après quelques minutes. Petit à petit une amertume désagréable pousse le fruité vers la sortie. Ne restent alors que des saveurs déséquilibrées, manquant de naturel et foncièrement barbantes. Bref, l’Aromatic est un typique aro : flatteur au début, il finit par polluer le palais d’un amateur de tabacs naturels.

J’admets que dans le genre il y a pire. Je peux donc imaginer que ce Planta plaira aux fanas purs et durs de bonbons aux fruits sous forme de fumée. Pour les autres, ce tabac n’a aucun intérêt. Et de grâce, amis du noble virginia, ne vous faites pas avoir en vous fiant au nouveau nom de ce typique black cav saucé.

Synjeco, Greenodd Rope

Je me méfie. Je n’ai pas du tout apprécié le Kentmere Sliced Twist qui est fait en ajoutant 7% de perique à l’Oxenfisl Twist, un pur Lakeland VA qui, lui, obtient un excellent score de 3,7 sur Tobaccoreviews. Or, le Greenodd Rope a une composition tout à fait similaire : c’est du Clegir Rope, c’est-à-dire un rope VA en provenance du Lakeland qui a reçu exactement la même note, plus 7% de perique. Et pourtant, cette fois-ci il s’avère que je suis assez fan. Allez comprendre.

Le tabac se présente sous forme de corde enroulée d’un diamètre d’un bon centimètre. Le rouleau est assez foncé, plus que sur la photo, et quand on regarde la coupe, on décèle du roux, du brun foncé et du noir. Après quatre ans d’encavement, le tabac est toujours fort humide, trop même. Par conséquent il ne faut exercer aucune force pour couper la corde en rondelles. Au moindre toucher, elles se défont et se transforment en ribbons. Le nez est dominé par les arômes de fruits secs du perique et je décèle également des accents vineux et une odeur volatile qui me rappelle l’acétone.

S’il est possible de fumer le tabac tel quel, je conseille de le faire sécher pour éviter les rallumages fréquents. D’emblée, je suis sous le charme d’un VA/perique tel que je l’aime : des virginias doux et crémeux, sombres et terreux mais avec une note aigüe citronnée et du perique qui s’exprime davantage sur les fruits secs que sur le poivre. Les sucres sont tenus en équilibre par une acidité marquée du genre noble et revigorant plutôt que du genre acerbe et incisif. Le tabac se met à évoluer rapidement : le fruité quitte le devant de la scène pour faire place aux épices. Avec la combinaison des acides et du piquant, le Greenodd Rope devient donc moins flatteur et plus viril. Maintenant que les saveurs de fruits se sont retirés, on découvre le virginia tel qu’il s’exprime dans les ropes de Kendal : sans fioritures, bien campé dans la terre, primitif et un tantinet sauvage. Par contre, côté puissance, le Greenodd montre une retenue que beaucoup de ropes n’ont pas. La finale est intense et complexe : la nicotine gagne enfin en ampleur pendant que des flashs de saveurs de noisette et de fruité complémentent le goût de rope.

La combustion étant très lente, je déconseille les fourneaux XL, d’autant plus qu’à la longue l’acidité épicée risque de peser.

Le Greenodd Rope n’est pas un chef-d’œuvre. Il s’adresse davantage aux fans de ropes qu’aux amateurs de mélanges VA/perique flatteurs.

G.L. Pease, Embarcadero

Quand j’ouvre la boîte âgée de cinq ans, je suis immédiatement frappé par une odeur déroutante. Cette odeur, je la connais mais sans la reconnaître. Je sais qu’elle ne fait pas partie de l’univers des tabacs et qu’il faut que je cherche ailleurs. Soudain, c’est la révélation et je suis le premier à en être surpris : c’est l’arôme d’un vin de muscat. Dans les jours suivants, cette impression bizarre se voit confirmée. Puisque l’Embarcadero est composé de virginias rouges et de tabac d’Izmir, il semble logique de conclure que cet arôme si particulier est dû au tabac turc. Or, l’izmir, ça ne me dit pas grand-chose. Comme je sais qu’à l’époque où Istanbul se nommait encore Constantinople, la ville d’Izmir s’appelait Smyrna, je présume qu’izmir et smyrna sont synonymes.

Mais revenons au nez du broken flake. Après que l’arôme de vin de muscat se dissipe, je retrouve des odeurs complexes à la fois fruitées, terreuses, maltées et moisies. Si je devais le déguster à l’aveugle, il ne me viendrait jamais à l’idée de classer l’Embarcadero dans les VA/orientaux. Je suis à peu près sûr que je me croirais en la présence d’un VA/perique. Ce n’est qu’à l’allumage que je comprendrais mon erreur. On est loin de l’étouffante atmosphère marécageuse des bayous ; ici c’est le premier soleil printanier en montagne, l’air frais et pur, le son cristallin d’un ruisseau limpide.

Sur Tobaccoreviews, un dégustateur a décrit l’Embarcadero comme an exceptionally « CLEAN » tasting tobacco blend. Il est en plein dans le mille. Contre toute attente, le red virginia ne tire ni la carte de l’opulence, ni celle des fruits étuvés. Il est discrètement sucré et légèrement acide, et il s’exprime sur des notes aigües d’agrumes sur un fond de saveur de noisette. L’izmir apporte une touche d’amertume et un épicé fin et agréable. Le tout est frétillant et gai et frais. Pas de basses, pas de tonalités sombres. Du vif, du lumineux, de la pureté. C’est racé et raffiné.

Il est cependant à noter que l’Embarcadero est sensible et tatillon : dans certaines pipes, pourtant excellentes et dédiées aux mélanges VA, il a accentué l’amertume de sorte que la magie s’est perdue.

Féminin, l’Embarcadero est tout sauf un poids lourd. Il n’a d’ailleurs rien d’impressionnant ou de spectaculaire. C’est au contraire un mélange finement ciselé qui joue sur les nuances et les variations et qui sait capter l’attention du début à la fin malgré un manque de réelle évolutivité.

Je n’ai jamais considéré Greg Pease comme un maître ès virginias. Là il prouve que j’ai été injuste. Chaudement recommandé à ceux qui apprécient des herbes subtiles et policées.