Beauté fatale

par G.L. Pease, traduction de Monsieur X

20/09/10

Il y a des pipes dans ma collection qui ne sont pas les meilleures fumeuses du monde mais, en quelque sorte, elles continuent de m'attirer à elles.
Quelque-chose à leur sujet me susurre dans l'oreille "Allez, juste un bol de plus, et je serai exactement ce que tu voudrais que je sois". Ces pipes réussissent à me séduire à les fumer encore et encore et encore, entonnant leur chant de sirène depuis le râtelier chaque fois que je passe devant jusqu'à ce que je plie, succombant à la douce mélodie. C'est chaque fois la même chose. Je prends la pipe, admire sa forme, sa beauté, son bois, sa construction. Je choisis un tabac et me prépare pour le rituel.

"Sûr. Ce bol sera celui qui donnera raison à ma rêverie. C'est le bol qui mettra cette pipe sur la voie d'un fumage extraordinaire. C'est juste que je n'ai pas encore essayé le bon tabac dans celle-ci. Encore une chance. Une de plus."

Une fois de plus, la relation tumultueuse entre la bruyère et le tabac commence. Bourrer la pipe tendrement avec des doigts affectueux ou fourrer le tabac dans le fourneau dans une folle frénésie ne fait pas de différence. C'est toujours la même chose. Les premières bouffées sont somptueuses; le vrai goût du tabac est clairement transmis. Mais, trop tôt, les défauts de la pipe commencent à se faire jour. Finie, la séduction, la pipe et moi sommes maintenant en plein dans la partie dure de la relation. Trop tôt, je me souviens pourquoi j'ai maudit cette beauté la dernière fois que nous avons passé du temps ensemble, puis je me maudis moi-même, sachant que, selon toute probabilité, je referai la même chose, encore et encore.

Il y a des pipes à l'aspect horrible dans ma collection, peu il est vrai, mais qui fument divinement, et cependant elles ne sont pas aussi souvent dans ma bouche que ces séduisantes beautés. Il y a de magnifiques pipes, aussi, qui ne manquent jamais de délivrer une excellente fumée. Mais à quel point sont-elles fascinantes ? Elles sont les vieilles amies fiables et magnifiques dont nous apprécions la compagnie, à l'aise et en toute simplicité – celles que nous tenons trop souvent comme dues. C'est la pin-up, la pipe coûteuse à l'entretien, qui fascine.

Et pour fasciner, elle le fait, tout comme le serpent fascine sa proie. Aucun espoir d'y résister. Je sais que je vais succomber, toujours avec l'idée d'une fin heureuse.

Parfois, heureusement, peut-être même souvent, la fin heureuse est écrite par le temps et les émotions passées avec la pipe-serpent, et elle finit par fumer merveilleusement. Cette première fumée douce et riche peut avoir un prix élevé, mais le plaisir en est en quelque sorte rendu plus doux pour la peine. Est-ce que cela le vaut ? Difficile de répondre. Ce qui est certain, c'est que je suis sûr de le refaire, encore et encore.

12 septembre 2010 - décès de Claude Chabrol