Lorsque la porte est entrouverte

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

19/04/10

Ouvrir des mélanges en maturation

La question qui suit est la paraphrase d'une qui a été posée aujourd'hui sur l'un des forums. Je soupçonne qu'elle doit être posée assez souvent, et je me suis dit qu'elle avait sa place dans ces Chroniques, avec ma réponse.

Est-ce qu'ouvrir une boîte une fois, pour goûter, arrête le vieillissement ?
Ne devrais-je ouvrir la boîte que lorsque je vais en fumer tout le contenu ?

Arrêter le vieillissement? Non. Le modifier? Absolument.

Les réactions biologiques et organiques qui se font dans la boîte/dans le bocal modifient ce petit environnement scellé. Les gaz sont consommés (spécialement l'oxygène) et produits (CO2) par des processus biologiques, et d'autres réactions organiques se passent alors, plus lentement, en fonction de ce qui est présent dans cet environnement. Au moment où l'étanchéité est rompue, il y a un rapide échange d'air avec l'environnement qui l'entoure, et tout – absolument tout – ce qui était en cours jusque-là va changer. Des réactions différentes vont commencer – pas forcément mauvaises, mais différentes.

Ca ne sera plus jamais la même chose. Cela ne se peut pas. Si vous prenez deux bocaux, que vous les laissez vieillir une année, en ouvrez un et le refermez, puis revenez une année plus tard, vous trouverez deux tabacs différents. Ils ne seront probablement pas très différents, mais ils le seront certainement de façon très notable, et si vous allongez ces temps, cinq ans et cinq ans, par exemple, la divergence entre les deux échantillons sera beaucoup plus frappante.

Pour compliquer encore les choses, la taille du contenant, la densité du bourrage, les cycles de température pendant le stockage, et d'autres facteurs similaires, vont aussi jouer un rôle. Le tabac que je stocke dans ma cave aura de fortes chances, après quelques années, d'avoir mûri très différemment de celui stocké dans la maison de quelqu'un en plein désert, ou dans le garage de quelqu'un d'autre dans le Nord du Montana. Et aussi, les boîtes de 2 et de 8 onces vont vieillir différemment à cause de leurs densités d'emballage respectives (pas très différent, d'une certaine façon, de la manière dont vieillit un jéroboam de vin, relativement à une bouteille).

Une fois que le bocal/la boîte est ouvert(e), les effets de la modification soudaine de l'environnement sont irréversibles. Les vieux tabacs commencent à changer de différentes façons aussitôt qu'ils sont exposés à l'air. L'essentiel de l'oxygène a été utilisé pendant la phase aérobie du processus initial de vieillissement, et les microorganismes alors actifs ne le sont plus depuis longtemps. Et, maintenant qu'il y a de l'air frais à disposition, l'oxydation et une nouvelle vie peuvent recommencer, mais ce à quoi l'oxygène a affaire est très différent de ce qu'il y avait lors de la fermeture du contenant. Je le redis, ce n'est pas forcément une mauvaise chose; je n'ai pas encore testé un tabac qui aurait été "ruiné" par l'écoulement du temps, à moins qu'il n'ait été cuit trop chaud, ou congelé, ou maltraité d'une autre manière.

Une des raisons pour lesquelles je n'aime pas les sachets en plastique, pour la conservation du tabac, et la plupart des contenants en plastique, pour cet usage, est qu'ils sont assez efficaces pour maintenir l'humidité, mais plutôt mauvais pour empêcher quelques unes des plus intéressantes molécules non polaires, y compris l'oxygène, de s'échapper de leurs parois. Le verre est impeccable. Les boîtes aussi. Les sachets épais, à plusieurs couches, le sont aussi, mais vous ne les trouverez pas au supermarché du coin. Les sachets de congélation, les ziplocs, et ainsi de suite, ne sont simplement pas à la hauteur de la tâche. Mais j'ai déjà écrit à ce sujet.

Pour compliquer encore les choses – les boîtes n'ont pas toutes exactement le même équilibre de microflore et de microfaune, lorsqu'elles sont produites. Il y a des levures sauvages et des bactéries présentes à différents niveaux dans différents lots, et cela dépend de quand ils ont été produits, d'où vient le tabac, d'où il a séjourné, et de divers autres facteurs. Tous les tabacs vont mûrir, mais les résultats, bien qu'habituellement semblables, sont rarement identiques. Ceci est-il vraiment important ?

Probablement pas. La bonne nouvelle, c'est que même quand les choses sont différentes, la plupart du temps, elles sont quand même bonnes. Bien que ce bocal d'herbes en maturation, ouvert et refermé, va certainement être différent d'autres qui seront restés fermés, il y a des chances pour que, si le tabac de départ était bon, il continue à l'être, et peut-être même devienne meilleur.

Et ça, c'est la réponse courte.

Encore une chose. Je garde à ma disposition quelques bocaux des mélanges que je fume le plus souvent. Ce sont des bocaux de type pharmaceutique, avec un excellent joint en caoutchouc au silicone, ce qui fait que l'humidité du tabac reste assez stable dans le temps. Le contenu de ces bocaux évolue définitivement avec le temps, et souvent j'aime vraiment le résultat. Un mélange relativement jeune, stocké dans ces bocaux avec assez d'espace au-dessus, et dans lequel je prélève un peu chaque jour ou semaine pendant quelques mois, prend de superbes arômes qui sont absents du même tabac gardé fermé pendant la même période. Ce n'est pas meilleur ou moins bon, c'est juste différent. Ca me rappelle les arômes magiques dans les bocaux chez Drucquer's, la première fois que je me suis mis sérieusement à la pipe.

Je n'oublierai jamais la fois où j'ai ouvert un de mes bocaux de Picadilly qui était resté là depuis un moment, et que j'en ai reniflé un bon coup, pour me retrouver instantanément en 1980, lorsque j'avais pour la première fois soulevé les couvercles et planté mon nez dans les bocaux de Red Lion and Devil’s Own, sur le comptoir de Drucquer's. Ah, les délicieux souvenirs !