Le tabac de la Semois

par Cédric Malvetti

24/10/05
semois

un peu d'histoire

Il fut un temps, une époque où le cigare était devenu "roi", où la cigarette avait ses premiers succès et où l’on pensait avoir épuisé la gamme des plaisirs de la tabacomanie, mais c’est à ce moment précis que quelque chose de nouveau allait arriver !!! Les amateurs de pipe privilégiés de la région eurent la révélation d’un tabac "nouveau"… Jamais dans toute l’histoire de la pipe on avait "humé" un pareil bouquet ! Le tabac de la Semois faisait tout doucement son entrée discrète, prudente, mais qui lui promettait une belle revanche…

Tout commença en 1855 quand un ancien instituteur de la région de ALLE, nommé Joseph Pierret allait risquer dans sa commune une plantation de tabac… Timide au départ, mais qui pourtant prenait déjà une certaine importance du fait qu’elle sortait des usages : Il plantait UN ARE de plants de tabac de type Kentucky !!!

Bien sûr, c’était une expérimentation ! Mais pourtant il advint que cette récolte dépassa toutes ses prévisions. Le tabac fut extrêmement beau, d’un rendement exceptionnel et d’une qualité supérieure ! Cette première réussite incita donc Pierret à poursuivre l’année suivante mais aussi à doubler sa culture, et à l’augmenter encore chaque année…

Tout le monde suivait son expérience de très près avec scepticisme et un peu de pitié amusée…D’ailleurs son propre beau-père n’en riait pas du tout mais le critiquait sévèrement, le sermonnait et lui répétait : "Sème plutôt du grain pour tes enfants et cesse de cultiver cette mauvaise plante"…Il avait sans doute raison mais il ignorait que Joseph allait devenir un prophète dans l’histoire de cette culture qui plus tard transformerait la vallée et porterait dans le monde entier le parfum et le renom de SEMOIS.

Le démarrage fut lent, mais comme on dit toujours : "Lentement mais sûrement" ! Il faut dire que malgré le beau père et les concitoyens qui prenaient Pierret pour un doux maniaque, Pierret vendait chaque fois toute sa récolte ! Il est vrai aussi que certains lieutenants tel que Dufort se chargeait de faire sa publicité : il l’avait fait goûter à un de ses amis et les amis en redemandaient, et ils devenaient aussi des amateurs du nouveau tabac ! Tenez vous bien cela durât presque 25 ans, le seul tabac Semois fut le tabac Pierret…

Plus tard, les rieurs et les sceptiques se prirent à réfléchir : "Et si Pierret avait raison ?" Car enfin chaque année il vend sa récolte et encore mieux, chaque année il l’agrandit… Ce qui fait donc penser qu’il trouve des amateurs de plus en plus nombreux… De plus au prix que l’on donne pour un paquet de tabac, cela ne peut pas manquer de lui rapporter un bénéfice ! ils se mirent alors à penser : "Et si l’on essayait aussi ?... Peut-être que…."

Et bien ce "Peut-être que…" va devenir une brillante réussite. La persévérance de Pierret avait enfin eu raison des hésitations de ses compatriotes ; il trouvait enfin des imitateurs, à Alle d’abord où l’on suivait de très près sa tentative, et ensuite dans la plupart des communes voisines…

tabacs de la semois

Et d’un coup ce fut la ruée ! La fièvre du tabac gagna la vallée de la Semois, et ce merveilleux endroit changea donc de visage, nous voici dans le petit Cuba !!! Les champs de colza n’existaient plus depuis que le pétrole d’éclairage permettait d’y voir mieux, le chanvre disparaissait avec les tisserands ; mais non content d’occuper la place ainsi devenue disponible le tabac évinçait les autres cultures et s’imposait sans partage… Envahissant comme une mauvaise herbe, il fait de la Semois la vallée du tabac et prétendait même conquérir les hauteurs si on laisse parler les statistiques…

De 1855 à 1880, l’herbe à Nicot avait conquis quelques ares… Mais dès 1895, elle accuse déjà des hectares…Bohan pris la tête avec 23 hectares, Alle suit avec 11 hectares… Vers 1905 on dénombre sur la Semois près de 7 millions de plants, près de 9 millions en 1910 sur près de 400 hectares… A ce moment, Bohan est toujours en tête de liste avec 65 hectares et 1.500.000 plants de tabac ; Alle atteint les 50 hectares avec 1.250.000 plants, Frahan cette fois est entré dans le jeu et Rochehaut arrache la troisième place en recensant 37 hectares…

Que s’était-il donc passé pour que la culture du tabac devint brusquement à ce point contagieuse ?!

Le pouvoir de l’Ardenne ? Et oui, comme tout Ardennais le vrai homme de la Semois est très lent à se décider, il prend le temps d’observer et de réfléchir et surtout il n’aime pas les frais négatifs d’une expérience…Par contre dès qu’il a compris qu’il y a des points positifs il est décidé, il sait s’y mettre et employer toute son énergie à rattraper le temps perdu… Voici tout simplement ce qui c’était passé.

L’expérience de la culture du tabac en Semois leur apportait la révélation d’une culture enfin rentable, une culture qui pour le même espace limité leur promettait un revenu bien supérieur à ce qu’il ont connu auparavant… Plus tard, il vint un moment ou l’on s'aperçut que le tabac n’était pas une plante comme les autres mais bien "LA" plante idéale, l’unique, irremplaçable et véritable trésor de la Semois…

En principe dans le secteur agronome (sans engrais ou autre produit) la base d’une bonne culture est la "rotation" des cultures, chaque produit cédant d’année en année la place à un autre pour permettre au sol de se refaire et de récupérer ses éléments cédés à la récolte précédente… En réalité avant l’apparition des engrais chimiques cette règle de mettre une terre au repos pendant des années était une absolue nécessité … Et bien figurez vous que cette herbe à Nicot venait vraiment tout bouleverser ! Pas besoin de rotation, ni de repos ; au contraire le tabac montrait une préférence marquée à revenir sur le même sol, à l’encontre de toutes les règles, le tabac comme le sol ne s’en portait que mieux ! N’est ce dont pas la preuve que la terre de la Semois fut "LA" terre à tabac !?

Et ca n’est pas tout ! Si l’Ardenne est restée un pays pauvre c’est parce que son sol lui-même est pauvre et dépourvu de tout, or le tabac se présentait comme une plante de terre pauvre… C’est à ce moment précis que les agronomes allaient tirer de leur analyses et expériences que le tabac aime un sol acide, léger, suffisamment profond et exempt de calcaire… Seul exigence la pauvreté du sol ! Le sol de la Semois était donc bien fait pour accueillir le tabac !!!

Tabac et Semois étaient faits l’un pour l’autre !

et l'arôme ?

A quoi donc, se sont demandé les fumeurs, est dû ce parfum si caractéristique qui dès les premières bouffées permet de dire : C’est du Semois ? Les techniciens avaient de leur côté étudié le problème et étaient arrivés à faire dépendre l’arôme de la rencontre de quelques conditions bien précises…

Avant tout le climat, le tabac c’est comme le raisin, c’est le soleil et la chaleur qui font un bon cru ! Bon soyons francs, la Vallée de la Semois n’est pas une côté d’Azur mais le tabac y trouve néanmoins une température appréciable et un abri idéal… Le haut plateau largement découvert et balayé par les vents secs et ou froids ne lui convient pas car il aime mûrir à l’aise, douillettement et sans secousses. Par contre le profond sillon creusé par la Semois le met à l’abri des violences atmosphériques du plateau voisin : un véritable rempart de collines et de rochers abrupts se dresse au nord, tandis que les terres s’étalent en plein soleil… Prenons la situation du petit village de Frahan, elle est typique à cet égard, au nord un rocher à pic se prolongeant à l’est et à l’Ouest par des versants abrupts et seul le sud s’ouvre sur le double couloir de la Semois, il est normal que, dans une semblable " cuvette " protégée des trois côtés la chaleur s’accumule et que la température du fond dépasse de plusieurs degrés celle du plateau pour le plus grand bonheur du tabac…

vallee de la semois

Maintenant il ne faut pas que cette chaleur soit sécheresse !!! Le tabac est vraiment un grand buveur et demande aussi une bonne humidité. En Semois il fait très humide et l’humidité du sol est en plus complétée par celle de l’air : les fameux brouillards de la Semois aussi célèbre que ceux de Londres étendent sur la vallée une chape protectrice sous laquelle le tabac jouit d’une tiédeur moelleuse et fraîche qui fait ses délices…Est-ce que ça ne ressemble pas un peu à la douceur idyllique et mystérieuse du matin dans la vallée qui s’exhale d’une bouffée de Semois ???

On peut donc conclure que les meilleurs conditions de base pour la culture du tabac en Semois s’y trouvaient !!! Les planteurs mirent du tabac partout, tabac sur tabac s’imposait sans discussion… Et sans le savoir les planteurs faisaient très bien car le tabac aussi à ses vices, son plus grand vice est d’aimer et d’absorber le chlore qui lui est un grand destructeur de deux qualités essentielles à un bon tabac : L’arôme et la combustibilité ! Il advint donc que plus le tabac revenait sur lui-même et plus il éliminait donc le chlore et les autres éléments nuisibles et plus il nettoyait le sol et plus le goût du tabac s’affinait donc…

vallée de la semois

Maintenant quand on parle d’arômes il ne faut pas oublier la nicotine !!! Et oui, elle aussi elle joue un rôle malgré ce que certains pensent… Le tabac sans nicotine ne serait d’ailleurs plus l’herbe à Nicot… En somme la nicotine ne constitue pas l’arôme mais elle en est pourtant un élément essentiel. C’est elle qui donne la force au tabac, au lieu d’être noyer, marronnier, tilleul, c’est elle qui fait prendre corps aux constituants de l’arôme et qui va faire ressortir les qualités propres de chaque cru. Mais comme dans tout, l’excès serait un défaut : La nicotine en trop forte proportion en arrive à étouffer les éléments proprement aromatiques pour ne donner qu’en final un tabac trop fort et âcre. Les techniciens ont à nouveau admis à l’expérience que les tabacs doux, tels les orientaux, devaient leur succès à leur douceur en nicotine, que les tabacs de la Havane eux donnaient d’excellents cigares pour la même raison, et que le Semois le plus aromatiques du pays était aussi le moins nicotinique.

de la nature à la chimie :

Le tabac, c’est comme le vin ! Une récolte n’est pas l’autre… Mais si le fumeur est habitué à une bonne récolte comment alors un fabricant pourrait-il maintenir une qualité uniforme en partant de produits nettement différents sinon parce qu’il peut à volonté, modifier le goût et la qualité du produit ??

Je pense que dans notre groupe de fumeurs où nous discutons souvent de tout cela, tout le monde le sait : un tabac exécrable peut devenir "fumable" si j’ose dire… grâce aux mélanges et au sauçages de laboratoires… On en est pourtant plus au apothicaires de l’Empire qui parfumaient le tabac à la rose ou à la violette…Non non !!! Chaque grande manufacture possède ses spécialistes pour amalgamer les plus fins tabacs de façon à satisfaire le fumeur le plus exigeant… Bon je sais qu’il existe des amateurs de ces types de tabacs donc il n’est certes pas question de critiquer ses mélanges mais je dirais que ça forme un "cocktail", un "mariage" de tabac qui est un art et qui demande de véritables experts, et jusqu’ici le tabac est donc toujours du tabac… Mais nos chimistes vont pourtant beaucoup plus loin et dans des proportions que l’on ne soupçonne pas habituellement… Le grand spécialiste Louis Delmé citait déjà autrefois une liste impressionnante de produits n’ayant plus rien de commun avec la nicotiane et destinés uniquement à donner au tabac un arôme caractéristique tel que : des feuilles de reine des prés, des fèves de Tonka (on en retrouve dans le Semois de chez Windels), ou graines de coumarie ainsi que les feuilles elles-mêmes, le suc résineux du liquidambar et bien d’autres aromates comme le miel, la cannelle, le laurier…et j’en passe !!!

Alors tabac ou pas tabac ??? A vous de voir…

Maintenant je crois qu’il n’y à plus besoin d’en dire plus ? On devine aisément les possibilités qu’offrent de tels procédés et le tabac de la Semois en à fait une bien triste expérience : " On a fumé infiniment plus de Semois qu’on n’en à jamais produit " répètent les vieux planteurs !

Soyons vigilant car un tabac offert sous le nom de Semois n’est pas complètement originaire de cette région, l’appellation n’a jamais été protégée, d’où n’importe qui sur n’importe quel tabac pourrait inscrire le nom Semois. D’ailleurs les statistiques le disent : on aurait consommé en Belgique ± 4 millions de Kg de Semois en 1935, alors que la production de 1934 n’était que de 1 million de Kg et celle de 1935 1,2 million. Bon ça dit tout !

Mais calmez-vous, je vous rassure ; il reste des vrais Semois auxquels vous pouvez faire confiance, nous en reparlerons plus bas…

de la graine à la pipe :

La graine : la graine de tabac qui fait partie de la famille des solanacées est vraiment minuscule ça représente ± 10.000 graines dans un seul gramme… Début Mars on mélange donc la graine avec un peu de terreau et les graines sont mises à germer pendant quelques jours dans un endroit chaud et humide, un dé à coudre suffira pour couvrir 4 mètres carrés de couche…

La couche : Le tabac est vraiment une plante fragile. Le terreau en couche est soigneusement désinfecté et stérilisé sur des tôles chauffées à feu vif ensuite les graines sont alors semées en couche aux environs du 19 mars…

Les plants : Pendant 50 à 70 jours bien arrosés et protégés du froid les petits plants ont poussé, ils ont atteint une dizaine de centimètres et sont forts de ± 6 feuilles, il sont ensuite enlevés avec grande précautions pour être transplantés. Le champ à été soigneusement préparé : fumé, labouré, hersé…

La plantation : Nous sommes ici à la mi-mai, le champ est donc quadrillé d’un grand râteau en bois, un plant est repiqué manuellement à chaque intersection des sillons. L’écartement correspond à la densité voulue à l’hectare…

Les soins : Le tabac est une plante très fragile a laquelle il faut porter beaucoup d’attention car la croissance du tabac exige des soins incessants. Dès le mois de Juin, il faut biner, sarcler, lutter contre les parasites et maladies… Vers le mi où fin Juillet on arrête la croissance en supprimant le bouton floral de la plante (écimage) et à plusieurs reprises il faudra djétounner, c'est-à-dire supprimer les jets naissant entre feuilles et tige (ébourgeonnage)… Tous ces travaux pénibles se font manuellement sous le soleil du plein été et dans l’odeur âcre du tabac vert …

La récolte : Cette manœuvre s’effectue soit fin août soit début septembre tout dépend l’avancement de la plante… Après cent jours de croissance le tabac est donc bien mûr, il est coupé à ras du sol au moyen d’un fragment de faux très effilé montée sur un manche très court, d’abord posé sur place puis réunis en petits tas, les tabacs seront alors apportés vers le séchoir…

La mise en pente : nous somme à peu près début septembre, autrefois un crochet en forme de " S " ou une cheville était piqué à la base du plant de tabac suspendu à des baguettes. Dans la suite les plants eux-mêmes étaient piqués à des clous sans tête enfoncés dans les lattes qui étaient ensuite placées dans les séchoirs…

La dessiccation : De septembre à novembre, le tabac vit dans les séchoirs… Un séchoir bien ventilé assurera une dessiccation parfaite qui elle-même garantira une bonne conservation et donnera au tabac la plus belle coloration apprécié des fumeurs de Semois…Les feuilles du bas, à maturation précoce avaient été enlevées, comme celles qui se sont détachées pendant les travaux, eux elles sont enfilées en guirlandes…

Le manoquage : Cette opération peut aussi être appelée marottage : les tabacs secs sont ramenés du séchoir et leur effeuillage va occuper les longues soirées d’hiver… Les feuilles sont réunies en manoques selon leur qualité. Cette opération s’étale sur les mois de novembre - décembre…

Le bottelage : Nous somme en janvier – février et les manoques sont soigneusement disposés et entassées dans un encadrement en vois spécialement conçu, d’où la botte sortira solidement ficelée… Une botte moyenne de 20Kg représente ± 300 plants de tabacs…

La livraison : Au printemps suivant le planteur avait trouvé un acheteur pour acheter sa précieuse récolte gardée bien au sec, les bottes sont descendues des greniers et chargées pour être livrées au fabricant

La fabrication : Le fabricant est ensuite chargé de fabriquer le tabac, le hacher en différentes coupe… il va donc ensuite lui faire subir un torréfaction pour le préparer, l’empaqueter manuellement pour qu’il soit prêt à la vendre…

Voici donc en quelques mots comment ce précieux nectar peut arriver dans votre pipe ;-)

Pour en savoir plus un petit rendez-vous chez :

Vincent Manil (Planteur – Fabricant)
Rue du Tambour, 10
6838 Corbion S/ semois
061/46.81.29

musée du tabac manil

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