L' essentiel de l'argumentation à la base des mesures proposées pour lutter contre le tabagisme passif repose sur l'importance du nombre de décès qui lui sont attribués, et à la nocivité particulière de la fumée environnementale.
Il est bien d'autres arguments tout aussi valables, qui justifieraient à eux seuls les politiques envisagées. Je crains qu'à vouloir trop prouver avec des arguments mal étayés on s'expose à discréditer les actions, en donnant des armes à ceux qui voudraient les voir échouer.
Il y a une quinzaine d'année, Catherine Hill, épidémiologiste de l'Institut Gustave Roussy à Villejuif, spécialiste du tabagisme et des cancers, me disait: "On peut estimer à peu près correctement le risque attribuable au tabagisme actif, quand il s'agit de 65.000 morts annuelles. Mais avec les petits nombres, quelques centaines, la marge d'incertitude est énorme et la tâche statistiquement quasi-impossible". Elle estimait vraisemblable 100 à 300 cancers du poumon chez les non-fumeurs causés par la fumée des autres. En ajoutant les autres risques, elle jugeait 1000 décès comme un grand maximum. Je me suis fait alors agresser parce que j'avais repris ces chiffres sur le plateau de FR3 en disant qu'à ce niveau, c'était certes un problème, mais pas un
En 1997, le Pr. Tubiana dans un rapport à l'Académie de Médecine chiffrait à 105 le nombre de cancers du poumon liés au tabagisme passif, tout à fait compatible avec l'estimation de Catherine Hill. Mais il évaluait le nombre total de décès entre 2500 et 3000. Cela ne résultait pas d'une enquête. C'était l'extrapolation à la France de l'énorme inflation de l'estimation des décès d'origine cardiovasculaire dans les statistiques des USA. Ces estimations posent cependant un sérieux problème, car il n'y a aucun rapport entre le risque et le degré d'exposition. Ainsi, un non-fumeur exposé risque pratiquement autant qu'un fumeur actif d'un paquet par jour ! Il faudrait expliquer un tel paradoxe, avant de conclure que ce risque est la conséquence de l'exposition directe à la fumée du conjoint. Des facteurs indirects pourraient toucher le non-fumeur. Ainsi, les fumeurs adorent les viandes, riches en graisses saturées qui bouchent les artères. Comme dans un ménage on consomme en général la même cuisine, le conjoint d'un fumeur aurait donc un régime dangereux pour ses propres artères.
Dans leur rapport du 14 Juin 2005 à l'Académie de Médecine, les Pr Dubois et Nordman, tout comme le rapport de l'IGAS, ont ainsi repris le même nombre, entre 2500 et 3000, sans que la moindre étude épidémiologique ait précédé. Mais "Libération" du 4 avril 2006 citait le député Yves Bur : «Éviter les 5 000 morts annuels dus au tabagisme passif est un objectif de santé publique qui n'est ni de droite ni de gauche. Je ne me renierai pas». Nous en étions donc à 5000. Maintes fois répété, ce nombre devient une réalité.
Était-ce la fin de cette résistible inflation ? Non. Dans un élan d'enthousiasme, le Pr Dubois pervertit les conclusions du récent rapport européen "Lifting the smokescreen, 10 reasons for a smokefree Europe". Pour ne citer que la France, ce rapport calcule
Là, on croît rêver. D'abord, ce rapport calcule "au décès près", sans donner une fourchette statistique! Mais surtout, il incorpore dans le risque de tabagisme passif le risque encouru par les fumeurs actifs ! Calculer la part "passive" dans la mortalité du fumeur actif est une acrobatie statistique assez contestable. Le rapport y arrive en appliquant aux fumeurs le pourcentage d'augmentation de risque d'un non-fumeur exposé. Pour se faire l'avocat du diable, il faut déjà faire remarquer que ce procédé sous-estime d'ailleurs certainement le coefficient à appliquer, car le fumeur est évidemment beaucoup plus exposé que le non-fumeur. Comme il lui est difficile de s'éloigner de lui-même pour fumer, il s'expose donc déjà toujours à sa propre fumée passive. De plus, il ne fuit pas la compagnie de ses amis ou collègues fumeurs.
Dans quel esprit tordu a pu germer l'idée de cette dichotomie entre la partie active et passive du tabagisme d'un fumeur, et quel peut en être l'intérêt pratique? Il serait sage de ne pas s'éloigner de la définition retenue jusqu'ici des victimes du tabagisme passif, à savoir les non-fumeurs exposés à la fumée des autres. Autrement, on plonge dans l'irrationnel. Dans ces conditions, c'est
Plus une combustion est lente, plus la fumée est épaisse, acre, riche en goudrons et en oxyde de carbone. C'est le cas entre les bouffées d'une cigarette, ou quand elle se consume lentement dans un cendrier. Nul besoin d'analyse compliquée, ça se sent et l'on se précipite pour écraser le mégot encore fumant. En comparaison avec celle qu'inhale le fumeur, qui active la combustion en aspirant, cette fumée dite "secondaire" est beaucoup plus riche en substances toxiques. Mais c'est lorsqu'elle est émise! Dès qu'elle est diluée dans le grand volume d'une pièce, cette comparaison n'a plus aucun sens. Il n'y a pas le fumeur qui inhale une fumée moins toxique, et le non-fumeur qui met son nez sur le cendrier pour capter au lieu de production celle de la cigarette qui s'y consume passivement! On en rajoute pour faire scientifique et impressionner les foules. C'est une distorsion de la vérité. L'un et l'autre inhalent la fumée diluée de l'environnement, et le fumeur de surcroît celle qu'il tire de sa cigarette, point. Le seul problème est celui de la concentration des toxiques dans l'environnement que l'on respire. Elle dépend beaucoup plus du volume et de la ventilation de l'espace que de la composition de la fumée émise.
1000 morts sont 1000 de trop. La vérité est déjà lourde. Elle justifie pleinement qu'on se préoccupe de diminuer le tabagisme passif, ne serait-ce que par ses autres effets nocifs
À vouloir trop prouver, on ne prouve plus rien. A se laisser entraîner dans une surenchère sans un support scientifique solide, on ne peut que décrédibiliser toute action, armer une résistance, susciter des conflits. A accumuler les interdictions et les contraintes, on se prépare une société morte.