Bruyère

Toutes les photos de cette page, hormis la première, nous ont été très aimablement fournies par Mimmo



Entendons-nous bien : lorsque dans un magasin, on vous confie avec orgueil que telle pipe a été taillée dans de la bruyère méditerranéenne, c'est une vérité de Lapalisse : la bruyère dont on se sert pour façonner des pipes, l'erica arborea, ne pousse que dans le pourtour du bassin méditerranéen. C'est comme ça. La bruyère est casanière.

Autre chose à préciser : on ne taille pas les ébauchons dans la racine de la bruyère, parce que ça n'aurait aucun intérêt, mais dans une excroissance, entre la racine et le tronc, appelée broussin. Et c'est là que les difficultés commencent.

Pour que le broussin atteigne une belle taille, il faut attendre une quarantaine d'années. Pour le récupérer, il faut d'abord repérer une belle bruyère, couper le tronc, la déraciner - et c'est un sacré travail, donc autant que ça en vaille la peine. Il faut aussi veiller à ce que le broussin reste humide jusqu'à l'arrivée chez le coupeur, on ne se contente donc pas du pied, mais aussi de la terre qui l'entoure.

Arrivés chez le coupeur, ces morceaux sont entassés dans un endroit humide : s'ils venaient à sécher, il se fendraient, et n'auraient dès lors plus aucun intérêt. On les arrose donc tous les jours.

Mimmo, premier coupeur, dit que découper la bruyère est comme tailler un diamant. Car on ne découpe pas le broussin n'importe comment : il faut tenir compte de ce qu'elle peut donner - et de ce que le pipier demande.

C'est au milieu du XIXème siècle qu'on utilisé la bruyère pour en faire des pipes : on utilisait avant diverses essences, mais la bruyère a un atout majeur : sa résistance au feu... et en plus elle est belle !

Mais revenons à nos broussins : une fois taillés en bloc, ou ébauchons, on les laisse tremper dans de l'eau bouillante pendant douze heures... ça peut sembler cruel, mais c'est pour leur bien : ils vont ainsi évacuer tous les jus, tanins, etc... dont il faut les débarrasser. Une fois nos ébauchons propres comme des sous neufs, on les relègue encore une fois dans un endroit humide. Ils vont, dans les trois semaines, se couvrir d'une légère couche de moisissure. Et le coupeur, comme le fromager, va retourner régulièrement ses reblochons, pardon, ses ébauchons, pendant six à huit mois.

le travail de la bruyère
le travail de la bruyère

Ils vont donc exhaler leur humidité, et pendant ce processus de séchage, très lent, perdre du poids : un tiers ou plus. Certains ébauchons ne tiendront pas la route, ils se fendront malgré tout. Comme rien ne doit se perdre, on les met de côté pour alimenter le feu qui fera chauffer l'eau où seront trempés les nouveaux arrivants.

Les ébauchons subissent un dernier examen : la plupart seront envoyés aux grandes maisons pipières, pour la production en série, et les plus beaux d'entre eux, environ dix pour cent, seront livrés aux pipiers - ou ceux-ci viendront les choisir sur place.

le travail de la bruyère
le travail de la bruyère

Les bruits les plus divers courent sur la quantité de bruyère disponible - je ne parle pas de production, la bruyère y est rétive, comme son amie la truffe. On entend aussi parler de bruyère centenaire, alors que rien ne prouve qu'elle devienne meilleure avec l'âge, de bruyère corse, soi-disant la plus fine, etc...

Quel que soit sa provenance, on trouve du très bon, et du moins bon, voilà tout.

le travail de la bruyère
le travail de la bruyère

Il y a aussi deux villes qui réclament l'honneur d'avoir, les premières, utilisé la bruyère pour en faire des pipes : Saint-Claude, dans le Jura, et Cogolin, dans le sud de la France.

La bruyère n'a, heureusement, pas fini de faire parler d'elle...

le travail de la bruyère