Des pipes et de l'homme

par Renzo

20/07/09

Acheter une nouvelle pipe, une vraie, une faite main par un artisan qui mérite ce nom, n’est pas une simple banalité de supermarché. Nos compagnes en bruyère aux courbes prometteuses sont bien plus qu’un simple conteneur dont le seul but est de permettre la combustion plus ou moins rapide d’un tabac dont nous les remplierions à la hâte pressés que nous sommes d’absorber notre dose de nicotine. Loin du geste compulsif du fumeur de cigarettes commandé par une addiction qui impose sa loi au détriment de toute notion de plaisir, le fumeur de pipe prend son temps, choisit son tabac en fonction du moment et sa pipe en fonction du tabac, à moins que ce ne soit l’inverse, ou un peu des deux… certainement un peu des deux.

Acheter une nouvelle pipe, c’est en premier lieu un cheminement intérieur qui à un moment donné vous mène à trouver dans une forme, une combinaison de matériaux, une finition particulière, l’objet qui vous tiendra compagnie pendant longtemps. Après cette maturation intérieure qui vous amène à faire un choix, vient le moment de la " commande ". Je mets ce mot entre guillemets car sa connotation coercitive me déplait. Bien plus que de commande, c’est en effet de dialogue qu’il s’agit, d’échange avec celui qui fera apparaître l’objet dont vous avez rêvé.

Ravi par ma première " Melan ", la Kilimanjaro, j’avais choisi de demander à Thierry une nouvelle pipe, une " droite sablée ". Je ne voulais pas lui donner d’indications précises préférant laisser l’inspiration de l’artisan s’exprimer en fonction des matériaux à sa disposition. Quelques échanges et questions précises de la part de Thierry ont permis de définir les critères dont il avait besoin pour faire son travail. Il ne me restait plus qu’à attendre. Je suppose que tout amateur de belles bruyères doit ressentir ce même plaisir de l’attente. Ces semaines qui passent, chacune nous rapprochant un peu plus du moment où le pipier nous envoie le message tant attendu " elle est prête, tu peux venir la chercher ".

Et cette fois j’avais décidé d’aller prendre livraison de la belle, des mains même du maître. Profiter de l’occasion pour faire connaissance avec Thierry. Mettre un visage, une voix, une présence sur un nom. C’est ainsi qu’un soir après le travail, profitant d’une de mes vacations à la capitale, j’ai mis les pieds dans l’antre du maître. J’ai fait connaissance avec l’homme, sans oublier les 30 grammes de bruyère délicatement emballés dans une petite enveloppe de tissu qui m’attendaient sur la table.

J’ai commencé à me fourvoyer en gravissant un escalier en bois qui m’invitait à monter les étages de l’immeuble pour découvrir la plaque indiquant au visiteur la présence d’un artisan pipier. Il faut toujours se méfier des escaliers en bois. Faussement innocents ils tentent de vous détourner de votre chemin. Demi-tour, descente au rez-de-chaussée où une voix me guide vers l’entrée de ce que j’avais pris pour la loge du concierge. Il faudrait toujours demander conseil au concierge !

En franchissant la porte ouverte je me trouve immédiatement plongé dans un autre univers. Le sourire de Thierry, une poignée de main franche et amicale et 400 pipes qui me font de l’œil. Des pipes et de l’homme. Ajoutez-y quelques sympathiques volatiles qui agrémentent la conversation de sifflements approbateurs, de chuchotements pleins de sous-entendus. Le décor est planté.

L’homme est des plus agréables, franc, direct, avec une vision des choses qui m’a tout de suite plu. Chez Thierry la pipe n’est pas une affaire de technicien qui vous abreuve d’un discours tout en termes savants et en certitudes mathématiques. Chez Thierry la pipe est une chose naturelle, simple, une affaire d’humains et du plaisir qu’ils peuvent prendre à regarder une belle bruyère, à y fumer ce qui leur fait plaisir, à partager ce moment.

Pas de grands discours, mais du concret, du beau et du bon.

L’homme est au service de l’art du bois et des formes. Thierry vous raconte le monde de la pipe et des pipiers et cela prend forme et consistance devant vous. Il vous explique de manière vivante sa recherche pour retrouver des techniques artisanales tombées aux oubliettes, des matériaux qui ne sont plus fabriqués, la rencontre avec le monde des pipiers du Jura. C’est un peu comme le berger qui vous raconte sa montagne, son troupeau, sa façon de faire un bon fromage d’estive. Il y a de l’humain là-dedans et de la place pour l’autre.

Le plaisir de l’échange, de la rencontre est si présent, que j’en oublierai presque la raison première qui m’a menée à rendre visite à Thierry. C’est plutôt bon signe, non ?

Donc voilà la raison. Elle est en bruyère (oh mais quelle surprise), elle pèse 30 grammes et traduit parfaitement ce que j’attendais en demandant à Thierry de bien vouloir me faire une " droite sablée "…

J’ai attendu plusieurs jours avant de l’allumer pour la première fois. Je voulais être vraiment tranquille, pouvoir prendre tout mon temps. Depuis je l’ai allumée plusieurs fois et la conclusion reste toujours la même : un pur plaisir, tant au fumage qu’à l’œil et au toucher.

Merci Thierry pour cette belle Dublin, légère et élégante. Un pur régal.