Le fumeur de pipe élégant

par Julien Debord

12/03/12

Le fumeur de pipe, du moins celui qui mérite ici notre attention, est une personne de goût, et pas de celui que l’on dit multiple et dont toutes les facettes seraient sensées se trouver dans la nature. Non. Il sait que le goût s’expérimente, s’apprivoise et même, qu’il s’apprend ; que celui-ci n’est pas inné et que ceux qui n’ont pas la chance d’être avertis, ou n’en ont parfois pas le désir, peuvent commettre des fautes.

Il sait, de plus, que si sa passion souffre d’une image souvent calamiteuse, ce n’est pas tant la cause de la pratique que des pratiquants. Pour défendre son rang, il tente, donc, de soigner son attitude, ses gestes et ses choix, en parfait gentleman, s’imposant quelques règles qu’il ne transgresse qu’en complète connaissance de cause et dont voici un aperçu.

De l’usage de la courbe et de la droite

La pipe étant, de fait, un artefact phallique, le fumeur sait qu’il doit composer avec cette réalité. Il se doit, certes, de s’offusquer de la chose, et notamment des problèmes que cela pose, comme celui d’en rendre la pratique quasi-exclusivement masculine. Mais, un gentleman ne pouvant nier l’importance de son image, il sait s’en accommoder.

En société, que ce soit dans la rue, en voiture ou lors de rencontres fortuites et/ou organisées, le fumeur bien élevé sait que la pipe droite est d’une rigueur absolue. Elle ne doit être ni courte et fine, ce qui serait dévalorisant, ni longue et grosse, ce qui le ferait basculer dans le fétichisme. La taille moyenne étant un bon compromis, mais une courte rondouillarde ou une longue effilée pouvant tout aussi bien faire l’affaire.

Bien évidemment, propreté, qualité, beauté du grain et classicisme conduisent le choix de la pipe que le pétuneur va choisir de présenter aux autres.

Les pipes courbes, les veilles etates jaunâtres et les réalisations fantaisistes d’artisans se prenants pour des artistes (donc la quasi-totalité des pipes scandinaves) sont à réserver pour des moments durant lesquels pendouillage, exposition d’une disgrâce ou d’un trop forte originalité ne seront pas reprochés au fumeur. Le cadre familial, où exposer une droite pourrait d’ailleurs être mal perçu, mais aussi les périodes de stricte solitude sont bien adaptés. Tout aussi propice : le cadre très formel d’un travail non productif, comme une longue nuit de recherches universitaires ou une séance de mécanique sur une veille automobile anglaise.

la courbe, symbole de mollesse

Ceci pourrait être très mal interprété

De la mise en scène de la pipe

Il est à noter que la place la plus élégante d’une pipe, du moins pour un gentleman, n’est pas entre ses dents, mais bien dans le creux de sa main. Pour fumer avec style, il ne porte le bec à ses lèvres que pour tirer une bouffé et ne garde la pipe en bouche que lorsque ses mains se trouvent momentanément occupées ailleurs.

Le bras qui lui sert à soutenir sa pipe se doit d’être plié, à minima, à angle droit. Si il se tient debout, sa pipe est au moins au niveau du dessus de son ventre, sans le toucher. Assis, elle se trouve au niveau de son menton, si le fumeur se tient droit avec un coude appuyé, ou plus bas si tel n’est pas le cas. Dans tout les cas, il ne laisse jamais descendre sa pipe au niveau de sa ceinture, la potacherie des profanes empruntant déjà suffisamment ce terrain pour qu’il n’y ait besoin d’en rajouter.

Le fait d’utiliser le tuyau de sa pipe au même titre que ses doigts pour appuyer ses paroles de gestes est une attitude des plus élégante.

Lorsque vient le moment d’aspirer un peu de fumée, le pétuneur porte le bec a ses lèvres de ses doigts légèrement repliés sur le fourneau, sans pour autant donner l’impression qu’il tient une pipe en cristal, et il le porte toujours sur un coté de la bouche, jamais au milieu.

Il éviter, toujours, de porter à la vue de personnes aptes à l’observer l’odieux foyer incandescent de sa pipe.

l n’allume et ne rallume sa pipe que lorsque celui-ci n’est pas le centre d’attention d’autrui, ou si, au contraire, il est le centre de toutes les attentions et souhaite créer un effet de suspens.

Lors du bourrage, il prévoit, au minimum, un petit millimètre entre le bord du foyer et le tabac, pour éviter d’avoir à se battre avec les brins qui chercheraient à échapper au feu lors de l’allumage. Il tasse à tout moment, si tant est que sa pipe ne soit pas en bouche et qu’il sache manier le bourre pipe avec élégance. Il n’hésite pas à détourner l’attention de ses convives, ou de ses hôtes, pour pouvoir essuyer les cendres collées à son bourre pipe, de préférence sur le tissu d’un fauteuil ou sur du papier peint.

En voiture, le fumeur de pipe ne pratique que s’il se trouve seul. Il le fait avec une fenêtre ouverte de chaque coté de la voiture car il sait que n’en n’ouvrir qu’une seule créerait un appel d’air dommageable pour sa bouffarde. Pour rallumer et tasser, il pose un genou sous son volant afin de le maintenir, ou, si la présence de la maréchaussée est soupçonnée, il attend de se trouver à un feu rouge. A l’arrêt, justement, il doit feindre de ne pas ressentir les regards étonnés des autres automobilistes. Idéalement, il conduit une automobile digne de ce nom, et donc âgée d’au moins 30 ans.

Les poses des années 50-60, une référence absolue

Les deux bras au service de la pipe

L'allumage et le tassage, des gestes sérieux

De la dignité au moment de prendre une bouffée

Du savoir vivre

Au cas où, mais personne ne doute que ce soit nécessaire, rappelons que le fumeur de pipe se doit d’être courtois. Lorsqu’il se retrouve au milieu d’autres personnes acceptant la fumée, il choisit un tabac qui doit être agréable pour le nez de ceux-ci au moment même où le fumeur s’exerce, mais aussi après son départ. D’évidence, il ne fume pas dans les lieux trop exigus ou déjà saturés par d’autres fumeurs.

En extérieur, lors d’une marche, le fumeur expire à l’opposé des personnes qui le croisent, le suivent ou l’accompagnent ; sauf dans le cas où ces personnes sembleraient prêter une attention malveillante envers lui, ainsi que dans le cas des joggers et des enfants.

Le fumeur de pipe vit sa vie avec panache, il attend l’inéluctable en s’enivrant de plaisirs et est prêt à défendre courageusement sa position. Aux contempteurs moralisants que sont les anti-fumeurs, il sait opposer quelques bons mots aussi pédagogiques qu’ironiques. Il fume partout, tant qu’il en a l’envie, tant qu’on ne vient pas lui signaler que cela importune et tant qu’aucun képi ou gros bras ne vienne le déloger. Pour s’amuser, il pratique le « reversed ghost smoking », pratique consistant à feindre que la pipe est éteinte dans une zone non-fumeur.

De l’entretien du fumeur

Le fumeur de pipe qui a du goût présente bien car, comme pour ses bouffardes et ses tabacs, il est tout aussi exigent envers lui-même et envers les produits qu’il achète. C’est pourquoi propreté, qualité, beauté des matières et classicisme conduisent le choix de ses mises. En la matière, il n’est d’ailleurs pas contre les estates.

Le fumeur de pipe averti dispose d’une pilosité faciale importante. Du moins, pour la partie basse de son visage. Il sait que seule, la pipe, comme la barbe, donnent l’image d’un fou ou d’un sage mais que, par un phénomène encore inexpliqué, l’association des deux ne laisse de place qu’à la sagesse. Il sait aussi qu’une moustache peut, à l’abris des regards, être un bon moyen de prolonger les saveurs du tabac par le biais de la langue.

Enfin, un gentleman de la pipe soigne sa santé. Il ne pratique délibérément aucune activité physique transpirante, en dehors de tout ce qui est charnel. Il se lave les dents régulièrement et pratique le bain de bouche avec gargarismes pour retarder cancers, infections, dents jaunes et divorce.

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