Des vessies pour des lanternes

par Gilles Calmes

01/04/13

Depuis 10 ans que je collectionne des pipes artisanales, je n'ai jamais critiqué, ou songé à critiquer, les tarifs d'un pipier. Non pas que je dispose de moyens considérables, et que je puisse me permettre de dépenser sans compter, mais tout simplement parce que les prix demandés me semblaient jusqu'à présent cohérents. Avec la qualité des matériaux utilisés d'une part, avec l'intérêt du travail présenté d'autre part et avec le statut du pipier pour finir, c'est à dire son talent certain, son style reconnu et son expérience du métier. Les tarifs avaient certes déjà significativement augmentés durant ces dernières années mais, au regard de l'inflation, pas de décalage véritablement significatif.

Sauf qu'au cours de l'année passée, et plus encore durant ces derniers mois, toute cohérence semble s'être envolée. Non seulement l'augmentation des prix s'est accélérée, et apparaît maintenant en complet décalage avec toute notion d'inflation, mais de plus des pipes au grain moyen, au sablage ordinaire et aux lignes floues nous sont proposées à des tarifs jusque-là réservés à des artisans confirmés, inspirés, nous présentant un travail digne d'un intérêt particulier. C'est non seulement consternant mais même stupide de mon point de vue.

Certains pipiers, une minorité, trouveront leur place sur ce créneau restreint et réservé à quelques collectionneurs argentés qui cherchent, non seulement une pièce d'exception, mais également un placement intéressant. Que feront les autres, ceux dont le travail ne sera pas jugé susceptible de prendre une valeur significative dans l'avenir ?
Ils jetteront l'éponge ou tenteront de nous séduire à nouveau avec des prix plus réalistes et plus adaptés à leur savoir-faire ? Je suis curieux de voir la manœuvre, je m'en lèche les babines d'avance parce que ce sera sans moi. Cocu peut-être mais pas totalement idiot. Quand un pipier, sous le simple prétexte qu'il sait faire une pipe, tourne le dos aux amateurs pour aller jouer sur le terrain des investisseurs, qu'il ne compte pas sur moi pour se relancer en cas d'échec.

Je ne parle pas ici d'artisans ayant acquis au fil du temps, au vu d'une maîtrise éclatante et d'un style bien défini, un statut de pipier reconnu et, pour reprendre un terme très actuel, bancable.
Non, je parle bien de la déferlante de nouveaux pipiers, se découvrant une passion subite et opportune, qui après quelques mois d'apprentissage, un ou deux ans de pratique pour les plus patients, prétendent nous vendre des pipes soi-disant haut de gamme.

Pour justifier ces prétentions financières, je note deux façons de procéder.
La première consiste à imiter, plus ou moins adroitement et généralement moins que plus, le style de plus illustres prédécesseurs. Reprise grosso modo des lignes, copie des finitions, des teintes et ajout de coquetteries en vogue, du genre plateau notamment, utilisées à toutes les sauces, et le plus souvent à mauvais escient.
La seconde fait dans le spectaculaire. Grain quelconque, lignes imprécises, fluidité lointaine, finition banale, le tout noyé dans une forme spectaculaire censé justifier, à elle seule, un tarif hors norme.
Bien entendu, pour protéger leurs chefs-d’œuvre, ces nouveaux venus pré-carbonisent quasi systématiquement le foyer de leurs créations. Déjà que ça ne faisait pas toujours envie, surtout à des prix pareils, là ça ferait presque pitié. Je veux bien admettre que l'on puisse craindre pour une production unique mais, pour une pâle copie, je ne saisis pas bien l'intérêt.

Point de salut sur le marché de l'occasion. Là aussi les prix s'envolent de manière déraisonnable et des pratiques parfois douteuses, voire malhonnêtes, sont régulièrement pointées du doigt. Surenchères suspectes, pipes prétendument non fumées, copieusement poncées et lustrées puis à nouveau pré-carbonisées... En ce qui me concerne, j'évite comme la peste les sites d'enchères dont le but est clairement de vous faire payer le plus cher possible et non le juste prix. Privilégiez les revendeurs classiques proposant des tarifs corrects et fixes.
Je ne prétends pas que le travail des novices évoqués ne soit pas digne d'intérêt, s'il manque encore le plus souvent de maturité, il est parfois prometteur. Par contre, je dis que l'on tente de nous faire payer, pour le moins prématurément, un supposé talent et que certains revendeurs, dans un but purement mercantile, essaient de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.