Le pourquoi du comment je fume ?

par ChrisHarps

23/02/15

Deux récents échanges sur le forum, l’un concernant une demande d’avis sur un tabac que j’avais formulé, et l’autre posant la question de vos habitudes de fumage lorsque le temps vous est compté, m’ont inspiré cet article, m’ont donné envie de pousser plus loin la réflexion sur ma vie et ma « condition » de fumeur de pipe.

A la question « Comment certains d’entre nous s’organisent pour fumer, pour profiter, un tant (temps) soit peu, d’une pipe et d’un tabac lorsque les plages horaires s’amenuisent pour ne plus vous laisser que 10, 15 ou 20 minutes » ; à cette question je m’attendais indubitablement à cette réponse : « Lorsque je n’ai pas le temps, pas le temps d’apprécier mon tabac, je ne fume pas ». Réponse à laquelle je répondais, entre autres, que c’est une manière de voir les choses. Un avis auquel je ne peux donner tort. Une certaine sagesse, probablement, le fin du fin, l’idéal.

Mais voilà, nous sommes tous différents, nous avons tous des emplois du temps différents, des habitations différentes, des familles différentes, des métiers différents, des vies différentes…

I have a dream.

Un idéal de vie que je me plais à choyer dans un coin de mon esprit, même si je sais que c’est un métier difficile que celui d’écrivain ! Je me rêve, isolé dans un bureau qui serait le mien, mon antre ! Des boiseries foncées, des fauteuils capitonnés de velours ou de cuir rouge sombre, un bureau recouvert de cuir, une bibliothèque bien remplie …des râteliers bien remplis, quelques boîtes de tabacs, un ou deux single malt…une vieille machine à écrire Remington et quelques volutes de fumée dans lesquelles me perdre en réflexion. Un jour peut-être.

Et si personne n’a le droit de m’interdire de rêver, il y en a d’autres pour m’empêcher de fumer !

C’est aussi une question de respect, évidemment. Mais le fait est que j’apprécierai beaucoup de pouvoir fumer, déguster mon tabac, installer, lover au creux de mon fauteuil, bien au chaud le soir au coin du feu. Situation idéale pour analyser et ressentir toutes les fragrances, toutes les subtilités des différents blends. Un moment de calme et de volupté. Tel n’est pas le cas. Il faut donc s’adapter, en attendant qu’un jour l’on force le destin, je force le destin ! Ou à défaut, attendre les beaux jours en terrasse, lézarder au soleil, en simple réflexion ou méditation, parfois avec un bon livre ou un bon breuvage et enfin profiter autrement. Mais, quid de la room-note ? Quel dommage.

Alors, cette manière de m’adapter, et je ne suis pas le seul dans ce cas, c’est de fumer différemment. D’en profiter autrement, d’y prendre quand même du plaisir et le plus souvent possible. C’est en marchant au quotidien, déambulant dans les rues, me promenant dans la nature ou quelques fois lorsque je suis seul au volant de ma voiture.

Fumer différemment c’est peut-être aussi avoir un autre rapport avec ses pipes et son tabac ?

En ces moments de vagabondage, ma pipe devient une escorte, une compagne qui me tient la main, quelque chose de rassurant, un peu comme un enfant avec son doudou, son ours en peluche. Mon tabac est alors un nuage dans lequel je me déplace, un peu de chaleur et d’effluves rassurantes que je transporte. Et lorsque le monde extérieur n’est que stress et excitation, lorsque l’Homme donne l’impression de ne plus savoir prendre du temps pour lui-même, ne plus savoir s’accorder ne serait-ce que quelques minutes « d’égoïste » plaisir, ces minutes-là, moi, je me les prends dans cette bulle qui est la mienne. Mon esprit divague, je réfléchis, je pense, j’analyse, je suis là et ailleurs à la fois. Il y aurait même quelques fois un peu de Jules Maigret en moi…et je m’en amuse.

En cette saison hivernale et comme à l’accoutumée lorsque le mercure dégringole, mon choix se porte sur du tabac brun ; et j’en reviens, pas toujours mais plutôt souvent, au Caporal Export. Du rustique, sans fioriture. Il a pour moi cette capacité à maintenir ses saveurs à l'épreuve du froid et à se fumer sans trop réfléchir, en se laissant porter, dorloter. Lorsque je le fume, je suis en terrain connu, serein, tranquillisé par son parfum, rassuré, calmé. Ni trop, ni trop peu de nicotine. Au chaud. Un juste-au-corps.

Et puis, lorsque les températures commenceront à remonter au-dessus des 18°, je sais aussi que ce juste-au-corps m'étouffera peu à peu et que le dernier paquet ouvert finira par se dessécher avant d'être fini. C’est à ce moment-là, vers le printemps, que me reviendra cette envie irrépressible de papillonner, de butiner, d’ouvrir boîtes après boîtes, de m’enivrer d’autres effluves. A partir de ce moment-là, je ne fumerai jamais deux fois de suite le même mélange, la même pipe. L’ours sortira de sa tanière, il aura faim, il aura soif de plaisirs gustatifs, de découvertes et de redécouvertes. Son garde-manger se transformera en buffet garni, à volonté. Ma cave à tabacs deviendra un bar à dégustations où il y aura plus de mélanges ouverts que de raison. Les jours rallongeront, je pourrai enfin et à nouveau, paisiblement fumer ma dernière pipe le soir en terrasse, en regardant se coucher le soleil ou parfois sous un ciel étoilé. Des moments rares. Les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas, alors je m’adapte, j’apprécie. Je profite des talents de blenders doués et passionnés comme Hans Wiedeman et Greg Pease par exemple, tout autant que des classiques Dunhill, avec un Elizabethan mixture ou un Deluxe Navy Rolls qui ne manquent pas de poivrer mes divagations estivales.

A l’arrivée de l’automne et de ses couleurs chaudes, lorsque les vendanges seront achevées, avant de retourner me pelotonner dans mes brunes volutes, je m’enivrerai de tabacs suaves et aromatisés aux fragrances de vanille, d’amande, de noix, de noisette, de cannelle… un Peterson Deluxe mixture, un Danish Truffles Mix, La réserve du Patron au Boa Fumant… , un avant-goût de Noël !

Dans le brouillard du Ried alsacien, loin du Smog londonien, quand l’automne est bien installé par chez moi, c’est l’encens, le cuir, le feu de bois qui ont ma prédilection avec quelques mélanges latakiés… Dunhill Apéritif, Peterson Old Dublin…

Sans oublier qu’avant que l’hiver ne reprenne ses quartiers, lors de mes longues promenades champêtres, il y a un mariage que je savoure particulièrement, c’est celui des odeurs de feuilles mortes, de champignons, d’humus et d’un gros foyer débordant de Semois.

Voilà en quelques mots, « comment » je fume. Vous l’aurez compris, pour moi, fumeur « d’extérieur », c’est la ronde des saisons qui fait tourner les saveurs . Et vous ?

Et « pourquoi » je fume, me direz-vous ?

Parce que !!!

Parce que fumer est avant tout un plaisir et c’est aussi devenu pour moi un art de vivre…

Bonne pipe
Christophe WOLFF (ChrisHarps)