le Cadre Noir

03/04/05


Au Cadre Noir, à Epinal
Patrick Cornu : « créer un cocon pour les fumeurs »

Installé depuis une douzaine d’années à Epinal, Patrick Cornu a développé son débit de tabac en travaillant autour de l’univers de la pipe et des tabacs à pipe. Une spécialisation fructueuse pour ce fumeur passionné par cet art de vivre.
En 2018, Patrick a pris une retraite bien méritée, mais reste attentif, et le Cadre Noir a deux nouvelles propriétaires

Boutique : Comment avez-vous découvert l’univers des fumeurs de pipes ?

Patrick Cornu : Je fume la pipe depuis mes 19 ans. Je suis un véritable fumeur, j’aime aussi les cigares. Mais la pipe reste ma passion, je n’ai jamais arrêté de fumer.

Boutique : Quand avez-vous acheté ce magasin et pourquoi ?

P. C. : Cette affaire était une opportunité. A l’époque je tenais un bar et je voulais changer d’activité. J’étais attiré par le tabac. L’ancien propriétaire avait des difficultés financières, l’affaire allait mal, mais avait une bonne réputation. Je l’ai acheté en 1992, il y a douze ans. A l’époque il y avait un stock de 1 200 pipes ! Tout mon entourage me prenait pour fou et pensait qu’avec un tel stock je n’y arriverai pas. Tout cela ne m’a pas déstabilisé, j’adore la pipe, je savais ce que je voulais faire. Si la pipe se vend mal c’est parce que les vendeurs ne la connaissent pas assez. C’est un travail de fond, qui exige patience et curiosité. Dans ce métier il y a un rapport permanent avec l’acheteur qui est primordial. Il faut cerner la personnalité, l’age, les envies et les connaissances des acheteurs afin de bien les conseiller. Il faut deviner ce qu’il désire.

Boutique : Avez-vous fait des travaux ?

P.C. : Non. Le magasin me semblait bien aménagé, car le coin des fumeurs est au fond, c’est un espace tranquille, éloigné des autres clients, qui eux passent moins de temps dans le magasin.

Boutique : Comment rangez-vous cet espace dédié aux articles des fumeurs de pipes ?

P.C. : Au début les pipes étaient devant, près de l’entrée mais les allers-retours de la clientèle gênaient les fumeurs de pipes dans leur choix. C’est pourquoi j’ai créé un « cocon » pour les fumeurs, un espace au calme. J’ai plusieurs vitrines et un meuble rempli de pipes.

Boutique : Comment gérez-vous votre stock ?

P.C. : Il faut penser à tout le monde, à toutes les bourses, connaître les goûts des clients. Je choisis moi-même les articles que j’achète. Il m’arrive de prendre une pièce en pensant à un client en particulier. Parfois ils ne mordent pas à l’hameçon tout de suite, il faut alors faire preuve de patience. Je peux garder des pièces deux ans pour certains clients. Si le client ne vient qu’une ou deux fois par an, je lui mets de côté ces pièces, avec mon stock je peux me le permettre ! La pipe est une activité à part au sein du magasin. Je gère cette activité différemment . Je note tout, les ventes les achats, les rendez-vous avec les fournisseurs, les marques, les suggestions de mes clients…Je fais ma balance comptable, à partir de là j’essaye de viser au plus juste lors de mes achats, sans négliger personne.

Boutique : Combien de pièces avez-vous en stock ?

P.C. : Aujourd’hui environ 350, c’est le minimum que je dois avoir. Je me suis séparé de plus de 800 pièces ! Certains clients me disent parfois que je n’ai plus rien dans mon magasin.

Boutique : Combien de références de tabac à pipes vendez-vous ?

P.C. : Je propose 104 références différentes. Bientôt, j’en aurais 107, car j’ai commandé trois nouveautés, deux tabacs Mac Baren et un Butz-Choquin aux arômes de rhum. Ce chiffre n’est pas stable car certains tabacs vont disparaître dans les mois qui viennent. Je prends toutes les nouveautés. Si les nouveautés ne se vendent pas bien, j’arrête tout de suite. Mais cette politique reste pour moi un bon moyen pour dynamiser les ventes. Il y a aussi un aspect personnel. Si un client venait me voir en me disant qu’il ne trouve pas chez moi une marque achetée chez un concurrent, je serais vexé ! Je connais tous les tabacs car je les aie tous goûté. En ce moment je recommence car nul n’étant parfait, on ne se souvient pas exactement des subtilités de chaque tabac. Je refais mon palais.

Boutique : Avec quels fournisseurs de pipes travaillez-vous ?

P.C. : Par principe je n’achète pas aux grossistes pipiers car je veux avoir un interlocuteur qui connaisse son métier et qui puisse répondre à mes questions. Je vends des Butz-Choquin, des Chacom, des Savinelli, des Peterson, des Larsen, des Stanwell, des Mastro De Paja, des Nording, Piazzola. Aujourd’hui je veux me tourner vers des artisans Italiens comme l’Anatra , Moretti, Morelli, des Brebbia et d’autres encore . Les fabricants français sont plus chers de part leurs structures, et personnellement j’admire le design des italiens. Il est vrai que j’ai du mal à vendre les très belles pièces en magasin, elles partent grâce aux ventes par internet. Malheureusement "nul n’est prophète en son pays" et la concurrence sur Internet me pénalise beaucoup. Je veux proposer autre chose à mes clients, leurs montrer que l’on trouve de bons artisans pipiers hors de nos frontières et peut être tirer une sonnette d’alarme du côté de notre capitale pipière qui nous est chère.

Boutique : Avec quels fournisseurs de tabacs travaillez-vous ?

P.C. : Avec tous.

Boutique : Quel est votre panier moyen en tabacs et en pipes ?

P.C. : Environ 70 euros, mais ce n’est qu’une moyenne pour les pipes. Je me souviens avoir vendu à un client parisien une pipe en morta que je m’étais fait faire sur mesure par Sebilo. Il a tellement insisté que je lui ai vendu pour 300 euros, j’ai fait une marge d’à peine 10 % ! Cela montre que chaque vente est différente. La régularité du client est un autre facteur à prendre en compte, certains achètent beaucoup d’un seul coup car ils habitent dans la campagne dans des endroits isolés. J’envisage de reparler des prix en francs pour vendre les pipes, le consommateur n’a pas bien assimilé les prix en euros. Souvent ils pensent qu’il suffit de rajouter un zéro derrière le prix indiqué (50E, 500F) bien sûr les sommes atteintes sont erronées ! En tabac à pipe, le panier moyen est d’environ 8 euros.

Boutique : Comment faire augmenter ce panier moyen ?

P.C. : Il ne faut jamais agresser un client, il doit se sentir à l’aise dans le magasin. Je commence par demander s’il est connaisseur, depuis combien de temps il fume etc. Je sors tous les modèles qui peuvent lui correspondre. A la différence des femmes qui ont le coup d’œil et qui choisissent toujours les plus beaux articles, donc les plus chers ; les hommes me demandent toujours conseil. Je reste toujours honnête, et explique mon choix final au client si j’étais à sa place. C’est la sincérité qui fidélise les clients !

Boutique : Quelle est la pipe la plus vendue dans votre établissement ?

P.C. : Les Butz-Choquin, peut être parce que j’ai plus d’affinités. Elles ont un très bon rapport qualité prix. Ils cirent leurs pipes et les vernissent moins que d’autres marques. Leurs pipes chauffent moins et la bruyère respire plus. Il est plus facile de vendre ce que l’on apprécie. Un jour un client qui regardait ma vitrine depuis quelques minutes est entré dans le magasin, m’a vu la pipe à la bouche et m’a dit : « Je comprends tout maintenant. » Pour ma part je ne comprenais rien ! Puis il m’a expliqué en riant : « vous fumez des pipes droites, c’est pour ça que vous n’avez pas beaucoup de courbes et de demi-courbes ! ». Il avait raison. Depuis j’essaye de faire attention et de ne pas influencer mes clients avec mes goûts.

Boutique : Quel est le tabac le plus vendu ?

P.C. : Le Kentucky Bird, proposé par Butz-Choquin, est le plus commercialisé chez moi, parce qu’il sent bon pour l’entourage et est très léger. En général, ce sont les fumeurs de pipes occasionnels qui le choisissent. Les inconditionnels comme moi faisons nos propres mélanges et préférons des tabacs plus purs avec un minimum d’agents de textures.

Boutique : Comment vend-on une pipe ?

P.C. : Pour bien vendre une pipe il faut connaître l’objet. Un non-fumeur ne pourra pas donner certaines astuces à son client. Lorsque l’acheteur n’est pas fumeur, c’est différent. La vente est plus rapide, le client se repose sur moi. Avec un fumeur la vente peut durer plusieurs heures ! Il m’est arrivé de passer trois heures un samedi après-midi, puis trois heures un dimanche matin avec le même client ! Le vrai connaisseur aime prendre son temps et avoir de l’espace pour choisir sa pipe.

Boutique : Comment motiver et conseiller un débutant ?

P.C. : Un débutant ne doit pas dépenser trop d’argent. Il pourrait ne pas aimer la pipe et en garder un mauvais souvenir. Il faut lui transmettre la passion et la curiosité pour cet art. Pour un premier achat il faut avoir un bon rapport qualité prix, aujourd’hui c’est environ 45 euros. Je conseille aux néophytes les pipes droites qui sont plus faciles à fumer, car elles ont une meilleure prise ne bouche et la salive ne tombe pas dans le fourneau, ce qui risquerait de dégoutter le débutant. Vient ensuite le choix du tabac. Etaient-ils fumeurs auparavant ? Si oui, quels étaient leurs goûts ? Puis, je leur apprends à bourrer une pipe, geste par geste. Je les invite à revenir me voir pour discuter de cette expérience. Je leur trouve d’autres tabacs. Beaucoup restent mes clients et deviennent des amis parce qu’on se transmet une passion.

Boutique : Vendez-vous plus de pipes françaises ou étrangères ?

P.C. : Je vends plus de pipes françaises.

Boutique : Quels sont les prix de vos pipes ?

P.C. : Les premiers prix sont à environ 35 euros, jusqu’à 500 euros.

Boutique : Les ventes des pipes augmentent-elles ?

P.C. : Je suis dans une région particulière car proche des frontières, nos ventes ont un peu baissé. Il y a trois types d’acheteurs : les néophytes, qui se laissent guider ; les connaisseurs qui ne regardent pas les prix. Ils sont capables de dépenser des centaines d’euros ; enfin, les intermédiaires qui peuvent craquer pour une belle pièce, sans avoir les moyens de dépenser autant d’argent.

Boutique : Y a t’il un profil type de fumeur de pipe ?

P.C. : Non. Ce qui est regrettable c’est que les gens assimilent la pipe à la cigarette. Fumer la pipe est beaucoup moins nocif que la cigarette, et moins chère. Cela n’a pas été assez dit et expliqué à nos clients. Malheureusement les consommateurs n’entendent pas assez parler des pipes en dehors des magazines spécialisés. C’est regrettable car la pipe est un art, les maîtres pipiers des artisans et des artistes. Il faut provoquer la demande et éveiller la curiosité chez le public. Il y a quelques années j’avais demandé à Chacom de me prêter leur collection de pipes anciennes afin de faire une petite exposition dans mon magasin. L’est Républicain y a consacré une page entière, trois jours plus tard France 3 Régions faisait un reportage qui a été diffusé plusieurs fois pendant la semaine. Le week-end d’après il fallait faire la queue pour pouvoir entrer dans le magasin ! Les gens venaient de partout pour voir ces objets insolites. Saviez-vous que la doyenne de l’humanité fume encore la pipe à plus de 126 ans ? Il faut rappeler que la pipe existe et qu’elle est destinée à tous. Il y a quelques femmes qui fument la pipe, certaines achètent même des modèles purement masculins.

Boutique : Réparez-vous les pipes ?

P.C. : Oui. J’ai un petit atelier où je polis et lustre les tuyaux à la cire de Carnauba, que je ramène de Paris. Pour les pipes en ébonite cela évite que le souffre ressorte en bouche et donne un goût acide. Un de mes clients m’apporte régulièrement ses pipes par quatre ou cinq pour que je les remette en état.

Boutique : Qu’est-ce qu’une pipe de luxe ?

P. C. : Je pense qu’une pipe qui coûte plus de 150 euros est déjà dans la gamme du luxe. On repère une pipe d’excellente qualité par sa bruyère, par son tuyau, par sa flamme qui ne doit pas être écaillée, mais doit être bien placée sur le fourneau et la tige.

Boutique : Quelle est votre politique tarifaire ?

P.C. : A une époque je faisais des promotions : pour une pipe achetée, j’offre une pipe en maïs. Dans les prochains mois je voudrais refaire des promotions. Organiser une démarque importante sur les pipes qui sont depuis longtemps en stock, pour pouvoir le rajeunir.

Boutique : Proposez-vous des conditions de paiement ?

P.C. : J’arrive toujours à des arrangements avec mes clients. J’encaisse les chèques sur deux ou trois mois ou leur réserve des pièces jusqu’à ce qu’ils puissent les payer.

Boutique : Vous avez créé deux sites internet. Pourquoi ? Et êtes-vous satisfait ?

P.C. : Je suis un fou d’informatique. J’ai créé mon premier site pour m’amuser, mais j’ai vite compris qu’il y avait une réelle demande. Je recevais beaucoup de questions sur les pipes, les tabacs, mais aussi sur les endroits où trouver de belles pièces. L’année dernière j’ai mis en place un deuxième site à vocation marchande. J’en suis très satisfait. Cette année, 20% de mes ventes ont été réalisées par internet. Le problème c’est que l’on ne peut pas vendre de tabac à pipe en raison de la législation des douanes, c’est regrettable, car cette activité marcherait très fort. J’ai fidélisé une vingtaine de clients qui achètent régulièrement sur mon site.

Boutique : Quels sont vos projets ?

P.C. : Continuer à faire ce que j’aime et faire découvrir la pipe aux gens.




Jacqueline Rose




Le Cadre noir
10 rue Georges de la Tour
88000 Epinal
du lundi au vendredi de 6h à 19h30
le dimanche de 7h à 12h.

Les conseils de Patrick Cornu

  1. Bien nettoyer sa pipe après l’avoir utilisée
  2. Laisser reposer la pipe au moins 24 heures avant de la réutiliser
  3. Goûter plein de tabacs différents, même si on ne se sent pas attiré par un arôme
  4. Ne jamais culotter une pipe à l’alcool ni à rien d’autre d’ailleurs
  5. Fumer sa pipe tranquillement, sans la faire trop chauffer
  6. Ne jamais taper une pipe sur le talon de la chaussure en la tenant par le tuyau ! La majorité des casses surviennent de cette manière