Cuisine au Tabac

par Fred Hanna, traduction de Jean-Daniel Chambaz

17/12/06

Fatigué de toute la saveur, de l'acuité, et de la rudesse dans un nouveau Virginie non vieilli, je propose une manière de la réduire à un niveau significatif, sans aucune prétention que cela puisse remplacer les bons vieux mise en cave et vieillissement.

Étant un admirateur des mélanges anglais depuis plus de 30 ans, je préfère des goûts doux, complexes et peut-être un peu épicés. Aussi, je trouve que la saveur de la plupart des nouveaux Virginie est trop souvent piquante, irritante et gênante. Bien que la saveur se corrige souvent et s'adoucisse à mi-parcours du fourneau, je manque parfois de la patience nécessaire pour tenir aussi longtemps. Pour moi, certains des prétendus Virginie "mûris" sont tout sauf mûris, montrant toutes les manières d'un adolescent mal dégrossi et agressif. Mais le tabac de Virginie complètement et suffisamment maturé fournit une des expériences gustatives les plus fines sur terre.

Mon but a été de découvrir des Virginie avec cette grande saveur, mais sans cette rudesse, cette grossièreté et cette brutalité de ceux auxquels il manque cette vraie maturité qui ne vient qu’avec l'âge. Ainsi j'ai mis en cave une modeste collection de Virginie âgés pour me procurer cette incomparable saveur à chaque fois que ma passion pour ce grand tabac serait titillée. Le fumage d'un grand Virginie bien mûri est une expérience magique, et tout à fait remarquable, semblable à un excellent Bourgogne rouge des Côtes de Nuits.

Malheureusement, les boîtes de Virginie de 10 ans et plus peuvent être chères, et bien que pas aussi chères que certaines de leurs consoeurs anglaises, elles peuvent néanmoins être coûteuses. Aussi ai-je pas mal réfléchi ces dernières années, essayant de trouver un moyen de réduire cette saveur piquante et acide, tout en sachant que je ne cesserais pas d'acheter des boîtes anciennes. Plus exactement, je recherchais une manière de réaliser un effet d’"étuvage", qui adoucirait et enrichirait la saveur du tabac avec peu d'efforts de ma part. Je crois que j'ai trouvé un moyen.

Au cours des cinq derniers mois, j'ai expérimenté un autre traitement du tabac, pour améliorer la saveur du Virginie jeune, piquant, et excessivement acide. C'est une solution simple, qui n'exige pas des pots en terre, des seaux de maçon, ou des mélanges. Cela peut ne pas être nouveau, car il est fort probable que quelqu'un ait essayé ceci à un moment ou à un autre, mais je n'ai encore jamais parlé à quelqu’un qui l’aurait déjà essayé. Ainsi, j'ai d’abord fait l'expérimentation tout seul et j’ai ensuite consulté d'autres personnes pour leurs avis. J'appelle cette technique "cuisson des boîtes au four" ou "traitement au four du tabac" ou simplement "cuisson".

Les résultats jusqu'ici ont été passionnants, mais j'expérimente encore. En ce moment, je peux rapporter trois changements très clairs du tabac. Généralement, le processus rend le tabac :

  1. plus doux, plus riche, et plus mûr au goût,
  2. plus foncé en couleurs, et
  3. plus intense en termes d'arôme, avec une touche supplémentaire de "fruit cuit".

Si le tabac que vous passez au four s'avère justement être votre favori, le processus ne peut pas le rendre "meilleur", mais, de ce que j'ai entendu de mes amis et camarades expérimentateurs, il aura encore un excellent goût, mais différent. Voici ce que j'ai fait. C’est tout à fait simple, vraiment. Mais essayez ceci à vos propres risques.

Je prends la boîte entière, non-ouverte et toujours scellée, d'un tabac de Virginie, enlève l’éventuel couvercle en plastique, et place, je le répète, la boîte scellée, dans le four, à une température de 93° C pendant quatre à six heures. N'enlevez pas l'étiquette en papier, car cette température n'est pas assez chaude pour mettre le feu au papier. J'ai une notation spécifique pour ce processus, que j'écris sur le boîte après la cuisson, décrivant la température et le temps, et en les séparant avec une barre oblique. Par exemple, si je fais une boîte à 93° pendant 5 heures, j'écris sur la boîte 93/300. Ceci indique que la boîte a été cuite à 93° pendant 300 minutes, ou cinq heures. La température est le premier nombre, suivi du nombre du temps de cuisson.

Pendant la cuisson au four les les plus grandes boîtes (par exemple, Rattray ou McClelland de 100g) gonfleront et augmenteront au niveau du couvercle et, à un certain point, au fond, mais elles semblent revenir à leur taille normale, ou presque, après refroidissement. En faisant cuire à une température qui excède le point d'ébullition, disons à 104°/140, la boîte parfois peut tellement augmenter et gonfler qu'elle ne revient jamais complètement à la taille normale.

Faites attention avec des les boîtes de McClelland, si vous les faites cuire à 104° ou plus (c'est-à-dire, au-dessus du point d'ébullition). Certaines vont sauter avec une sorte de fort bruit dans le genre "plonk-/woush", et éparpilleront leur contenu partout dans le four, remplissant la maison d'une odeur de tabac torréfié. J'ai constaté que, alors que ce résultat m’amusait plutôt, mon épouse ne voyait pas les choses avec le même humour. Après avoir eu plusieurs expériences avec des boîtes éclatées, je fais maintenant cuire les boîtes de McClelland à environ 93/300, en-dessous du point d'ébullition. Avec certaines boîtes de Rattray, les boîtes de Pease, ou les petites boîtes de McClelland, 104/140 semble fonctionner très bien. De manière générale, cependant, je recommande 93/300 comme point de départ pour expérimenter avec tous les tabacs.

On m’a demandé quelle était le temps de refroidissement approprié pour les les boîtes ainsi cuites, avant de les ouvrir. Greg Pease a dit une fois qu'un tabac continuera à changer pendant plusieurs jours après étuvage. Ceci pourrait bien être vrai, et Greg, sans aucun doute, sait de quoi qu'il parle. Cependant, avec ma connaissance et mon expérience limitées, je ne peux pas le dire à coup sûr. Mon peu d'expérience démontre que les saveurs sont très bien, indépendamment du temps que j'attends pour les ouvrir. Par exemple, j'ai ouvert la dernière version du Red Ribbon de McCranie une heure après et une semaine après cuisson. Tous deux étaient fameux. Avant de fumer le tabac, cependant, j'attends habituellement un jour ou deux après l’ouverture de la boîte.

Les boîtes plates de Virginie sont une autre histoire. Les boîtes tels que l'Escudo et le 633 de Solani font sauter leur joint pendant la cuisson, mais le résultat est toujours positif. Étonnamment, l'intérieur du tabac ne se dessèche pas et ne devient pas " rôti " ou brûlé, et son humidité semble être en grande partie maintenue. Ici encore, je recommande de faire cuire ces dernières aussi à 93/300. Après refroidissement pendant quelques heures, je sors le tabac de la boîte plate cuite au four et le place dans un autre récipient.

Les résultats ? Comme je l’ai dit plus tôt, ce processus semble changer le tabac et, comme l'étuvage, rend le tabac plus foncé. La cuisson rend également le tabac plus mûr, lisse, et parfois plus doux. Si vous l'essayez vous-même, vous verrez également comment l'arôme du tabac est fortement affecté, positivement à mon avis, mais pas toujours en mieux. De nombreux fumeurs de pipe qui ont fumé des boîtes ainsi traitées conviennent que cela améliore beaucoup de jeunes Virginie et produit des variations intéressantes, de toute façon. Vous ne serez pas étonné d'apprendre que ce traitement des boîtes au four, ou cuisson, est maintenant un fréquent sujet de conversation parmi les membres de notre club de pipe de Chesapeake.

La cuisson en boîte est-elle identique à l'étuvage ? Diantre, je ne sais pas, mais je le suppose. En fait, je n’ai absolument aucune idée de ce que je fais. Mais je sais que je ferai le traitement au four des boîtes régulièrement pour certains tabacs. Essayez 93/300 avec un piquant et acide McClelland Christmas Cheer de 2003 ou de 2004, et observez comment il s'adoucit, fonce, et se comporte plutôt en Virginia mûri. J'ai constaté que 93/300 fait que la version actuelle du McCranie Red Ribbon fume absolument merveilleusement - lisse, riche, douce, et crémeuse. J'aime le tabac Red Ribbon âgé, dans l’ancienne version, mais la méthode de traitement au four donne à la nouvelle version une dimension entièrement nouvelle, que j'aime tout autant. Et avec les Virginie de McClelland, l’arôme vin/vinaigre que quelques-uns n'aiment pas diminue de manière significative, juste comme il fait avec le vieillissement. Cette méthode à 104/140 a donné à une boîte de Rattray Marlin Flake une odeur de biscuits à la farine d’avoine et aux raisins secs (ça doit être une sauce qu’ils y mettent), mais la sauce a semblé se fondre dans le tabac, qui a pris une saveur différente, bien que pas nécessairement meilleure.

L'Escudo est nettement amélioré par cette méthode, à mon avis. Selon l'opinion de quelques autres amateurs d'Escudo, 93/300 en produit simplement une excellente variation. Les "rouleaux" ou les "boucles" réduisent en taille, foncent, et, à mon goût, la fumée devient plus substantielle, riche, et savoureuse. Un ami, qui est amateur d'Escudo, en a cuit au four à 82/360 et était ravi de l'amélioration, le qualifiant de "le meilleur" et de "merveilleux". Dans le cas du Solani 633, le tabac prend une saveur sensiblement crémeuse à 104/140 et est beaucoup plus lisse. Plusieurs fumeurs de pipe ont essayé ceci avec le GLP Haddo’s Delight et ont rapporté des résultats positifs. J'ai constaté qu'à 104/140, le Haddo’s prend une douceur très plaisante et subtile, qui n'était pas précédemment présente dans le mélange.

La douceur supplémentaire pourrait être due à la chaleur décomposant les amidons normaux dans la feuille de tabac, libérant les molécules de glucose qui composent l'amidon lui-même. Juste comme la cuisson adoucit les carottes, les oignons et l’ail, il se peut qu'un processus semblable se produise avec ce traitement au four du tabac. Ayant dit cela, comprenez svp que ce n'est qu’une spéculation, car en réalité, je n’en sais rien.

Je n'ai pas essayé cette méthode avec des aromatiques et je ne le ferai probablement pas. Quant aux tabacs anglais, j'en ai traité quelques-uns au four, mais je ne suis pas prêt à en rendre compte actuellement. En attendant, mon expérimentation, et mon amusement, continuent. Permettez-moi de répéter que le traitement au four n'est pas censé remplacer le processus de vieillissement, mais pour sûr, il semble rendre certains Virginias beaucoup plus fumables à court terme. Comme je le disais avant, essayez ceci à vos propres risques. Je serais intéressé à avoir des nouvelles de quiconque essaierait le traitement au four des boîtes et voudrait partager ses expériences et impressions.




Cet article a été à l'origine édité en février 2005 dans the Pipe Collector, le bulletin de la North American Society of Pipe Collectors. Vous pourrez trouver plus d'informations sur la NASPC sur leur site Web
Pipelore.net remercie la NASPC de lui avoir autorisé la reproduction de cet article, et fumeursdepipe.net exprime toute sa gratitude pour en avoir autorisé la traduction.
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