Première pipe

Veux-tu être heureux trois jours, tue un cochon
Veux-tu être heureux huit jours, marie-toi
Veux-tu être heureux toute ta vie, apprends à fumer et ne quitte pas la pipe

Pour les novices, il y a toujours un premier pas : le choix de sa première pipe. Des questions reviennent souvent : Quelle pipe acheter ? Quel tabac ? et comment dois-je faire ?

Autant le dire tout de suite : tout le monde n'est pas fait pour fumer la pipe.

Et il y a des gens très bien qui ne fument pas la pipe, si si !

Il faut donc prévoir un petit temps d'adaptation à cet étrange objet, parfois sous le regard étonné des amis qui trouvent ça bizarre, curieux, pour ne pas dire ridicule, puisque la pipe ça fait "pépé".

Pour limiter les dégâts, il convient donc de commencer par une pipe peu onéreuse : généralement, nous conseillons les pipes en maïs, assez faciles à trouver, et à des prix très abordables. Si vous avez la chance de connaître un débitant passionné, il vous orientera plutôt vers des modèles ne dépassant pas 45 euros : de la sorte, si l'on finit par jeter l'éponge, on n'essuiera pas en plus des reproches de son banquier.

Ceux-ci viendront plus tard...

Penser aussi à choisir plutôt une pipe droite, moins sensible à la condensation, et s'assurer que l'air passe bien lorsqu'on aspire et souffle dans le tuyau.

Pour le tabac ensuite : les nouveaux fumeurs sont attirés généralement par des mélanges aromatiques, d'abord parce qu'ils plaisent aux palais peu exercés, et surtout parce que ça plaît à l'entourage. Et oui, la pipe ça sent bon !

Quelque soit le mélange que vous choisirez, ou trouverez chez nos débitants, attendez-vous à entendre : "Oh ça sent bon, c'est de l'Amsterdamer ?" ou "Ca sent le pain d'épices".

A savoir que ces mélanges sont généralement assez humides, il y a donc fort à parier que votre pipe va avoir tendance à s'éteindre assez souvent. Il n'est pas ridicule de rallumer souvent sa pipe, cela arrive même à des fumeurs confirmés.

Pour en finir avec l'Amsterdamer, nous nous contenterons de dire qu'il est si fortement "saucé" qu'il finit par piquer la langue. L'Amsterdamer est délicieux pour ceux qui ne le fument pas, et profitent, eux, de la délicieuse odeur qu'il dégage.

Munissez-vous également de l'indispensable bourre pipe "tchèque", c'est-à-dire le modèle que l'on trouve partout, en métal, et en trois parties : la pointe, le tasse braise, et la cuillère.

A ce sujet, il faut savoir que le bourre pipe est un être vivant, qui a tendance à prendre la fuite dès qu'on a le dos tourné : prévoyez d'en acheter trois ou quatre, histoire d'en avoir toujours un sous la main ou dans la poche.

Egalement, une boîte d'allumettes de cuisine, elles sont plus longues, il y en a plus, ou alors un simple briquet.

Et bien sûr, des chenillettes.

Bien. Vous avez maintenant toutes les pièces en main, et c'est à vous de jouer. Comme vous sentez confusément que vous n'avez pas encore toute la maîtrise nécessaire, vous vous êtes enfermé chez vous, et vous passez à l'acte.

La pipe est au départ un plaisir solitaire.

La pipe que vous avez achetée, si elle n'est pas en maïs, est certainement une marque française. Nous allons commencer par la démonter. En dévissant doucement le tuyau, vous allez vous rendre compte qu' il est prolongé par une pièce métallique, de forme allongée et bizarre, qui fait une liaison entre le tuyau, et cette partie du fourneau qu'on appelle la tige. C'est un "système". On l'appelle aussi "régulateur de tirage", "refroidisseur", ou encore "zigouigoui". Pour simplifier, nous continuerons à l'appeler "système". Les fabricants français sont les seuls, avec quelques marques anglaises, à fournir leurs pipes avec un "système". Ils en sont très fiers : exemple vivant du Concours Lépine et du Système "D", le truc en question est censé bloquer la nicotine et les goudrons, et par là, assurer au fumeur une fumée "propre".

Nous allons donc commencer par l'enlever.

La nicotine, au cours de la combustion, se transforme en gaz : inutile donc d'espérer la stopper.

Quant aux goudrons, effectivement, ils s'accrochent au système, finissent par boucher la pipe et gêner l'aspiration. En cours de fumage, les goudrons se réchauffent, redeviennent liquides, et finissent par arriver dans la bouche du fumeur qui n'en demandait pas tant. C'est dégoûtant, ça s'appelle "le jus de pipe".

A ce sujet, ne pas confondre le "système" avec le "inner tube", dont le brevet avait été déposé par Dunhill. On peut en trouver aussi notamment dans les pipes BBB : rien de tarabiscoté dans le "inner tube", c'est un simple tube de métal passé dans le perçage de la tige. Il permettait aux fumeurs pressés, ne voulant pas perdre de temps à nettoyer leur pipe, d'éviter de se servir de chenillettes : on se contentait d'ôter le tube, et on le remplaçait par un autre tout simplement.

Le meilleur moyen d'avoir une fumée "propre", une fumée sèche, est d'entretenir correctement sa pipe. Nous verrons plus bas comment.

Une fois le tuyau remonté sur sa tige, toujours en tournant doucement dans le sens des aiguilles d'une montre, nous allons bourrer la pipe.

Et pour commencer, nous allons nous en tenir à la règle du "tiers par tiers", recommandée par certains pour le culottage. Elle prend ici un intérêt certain puisqu'elle va nous permettre de ne pas rassasier le fumeur dès sa première pipe.

Donc, prendre une pincée de tabac, la déposer dans le fond du fourneau, et recommencer, en appuyant plus fortement pour les dernières. c'est un coup à prendre qui dépend de la coupe du mélange, donc c'est à vous de vous faire votre idée. Vous pouvez vous aider en aspirant : il doit y avoir une légère résistance, je dis bien légère : si l'air passe trop facilement, tassez un peu plus. S'il ne passe pas du tout, ou mal, vous avez trop tassé votre tabac. Vous pouvez vous aider de la partie "pique" de votre bourre pipe : introduisez-la entre le tabac et le fourneau, du côté du percement d'aspiration, et faites-la aller et venir : aspirez un coup, l'air devrait bien passer, puis tassez légèrement.

Enfin, nous y sommes : ça a l'air long, mais ça n'est pas si terrible que ça, et bientôt vous le ferez sans y penser. Allumez votre pipe, et surtout bien sûr, n'aspirez pas la fumée !

Après le premier passage de la flamme, les brins de tabac vont avoir tendance à s' éparpiller : un petit coup de tasse braise pour les remettre à leur place, puis un nouveau passage de flamme, et dégustez...

Prenez l'habitude de ne pas approcher la flamme du bord du fourneau, laissez-la au-dessus du fourneau.

Et tant que nous en sommes à l'allumage, utilisez ce que vous voulez : allumettes, briquet... il n'y a pas de règle là non plus, la seule étant la facilité d'emploi. Les fumeurs de cigares, qui aiment bien les complications, avaient été stupéfaits de voir Zino Davidoff, dont on s'attendait à un laborieux exposé sur le sujet, répondre à un journaliste : "on fait comme ça", prendre un briquet jetable et allumer son cigare... tout simplement.

Seule petite chose : évitez la braise récupérée dans la cheminée, ça en jette, bien sûr, mais ça brûle le fourneau...

Si votre tabac s'éteint, vous pouvez le tasser un peu, puis rallumer.

N'ayez aucune honte à rallumer plusieurs fois votre pipe.

N'aspirez pas trop : le bois de la pipe pourrait avoir tendance à chauffer, ce qui nuit au goût du tabac. Si vous voyez que votre pipe "transpire", que le fourneau est trop chaud, cessez de suite, laissez reposer, et reprenez après.

Utilisez votre main : vous devez sentir un fourneau légèrement chaud, bien sûr, mais si le serrer en main est difficile, marquez le pas.

Ne gardez pas en tête les durées de fumage dont vous avez pu entendre parler : il n'y a aucune règle, la durée du fumage dépendant bien sûr d'un bon bourrage, mais aussi de la coupe du tabac, et de la taille du fourneau !

Ouf ! vous avez fini votre pipe, vous vous êtes rendu compte que ça n'est pas si difficile que ça, pas désagréable du tout, et vous remettriez bien le couvert. Attendez toujours que votre pipe soit bien refroidie pour la vider, avec douceur, pas en la cognant pour en extraire les cendres, mais en vous servant de la cuillère de votre bourre pipe. Il reste peut-être quelques brins de tabac dans le fond, extirpez-les aussi : vous fumerez plus tard votre pipe jusqu'au bout, et autant vous débarrasser des restes.

Puis passez une chenillette dans le tuyau, en espérant qu'elle entrera sans soucis dans la tige, ce qui vous évitera d'avoir à démonter votre pipe. Retirez la chenillette, jetez-la à la poubelle avec le système. Si elle ressort noircie par les goudrons, cela peut avoir plusieurs causes : vous fumez "humide", c'est-à-dire que vous avez tendance à saliver, et que la salive descend dans le tuyau, puis dans la tige et le fourneau. Vous avez fumé un tabac "saucé". Une condensation se forme à la liaison du tuyau et de la tige, parce qu' elle est de fabrication courante, et que le tuyau ne s'adapte pas parfaitement à la tige.

Cela n'a pour l'instant pas une grande importance, vous pouvez repasser une seconde chenillette, et même d'autres, jusqu'à ce qu'elle ressorte blanche et sans tache, puis laisser reposer votre pipe. Autant que possible, ne fumez votre pipe qu'une fois par jour. Eh oui ! Dans l'idéal, il est même bon de la laisser reposer une semaine, mais vous n'en êtes pas encore là, c'est votre première pipe...

N'essayez jamais de démonter votre pipe si elle n'est pas refroidie, c'est comme ça qu'on casse la tige.

D'autre part, vous aurez peut-être, au début, la langue irritée : cela disparaîtra après quelques fumages, et cela ne doit pas vous décourager. Tous ceux qui pratiquent l'équitation se rappellent fort bien avoir eu du mal à s'asseoir pendant quelques jours : c'est, comme on dit, le métier qui rentre...