Qu'est-ce qu'une pipe ? n°4

par Bernard Mathieu

11/09/17

Quelques réponses simples aux questions complexes que pose l'habitude de fumer la pipe

4ème partie

Toujours là, ami lecteur ?
L'œil clair, le palais dispos, les papilles affutées ?
Parfait !
Nickel chrome !
Note que d'un fidèle de Fdp, ça ne m'étonne guère.
Avant de te lancer dans la lecture de ma prose échevelée, prends le temps, je te prie, de bourrer une pipe de ton tabac favori et de l'allumer.
Tu peux user d'autant d'allumettes que tu le souhaites, ou que ta maladresse l'exige, nous ne sommes pas dans un concours. (Je déteste l'esprit de concours ! Les mauvaise langues, (je les entends de chez moi, à condition de me pencher par la fenêtre), diront que c'est parce que je n'aime pas perdre. Possible… Je préfère penser que je n'aime pas qu'il y ait des perdants, à moins qu'ils ne se foutent de perdre, qu'ils ne s'en foutent éperdument. Comme moi !)…(Et puis les concours de fumeurs de pipe, je n'en ai jamais fait et je n'en ferai jamais. En vérité, j'ignore comment ça se passe, ce qui me permet d'en dire tout le mal que je veux (selon le principe élémentaire de la calomnie, principe symétrique à celui de la calomnie élémentaire). Quoi qu'il en soit, si ça consiste à regarder les autres dans le blanc des yeux sans parler parce que ça déconcentre, merci bien, c'est pas pour ma pomme. Je ne consens à garder le silence que lorsque je pêche la truite.

truite

Truite fario. Dessin d'un employé du U.S. Fish and Wildlife Service
La mâchoire inférieure en crochet laisse penser que le spécimen représenté est un mâle en période de fraie.

Et encore… pendant que je pêche, il m'arrive de leur fredonner des chansons.
Laquelle ?
Ben : “la truite”, tiens !
Je vais pas leur fredonner “La Traviata.”

Elle était jeune fille,
Sortait tout droit de son couvent,
Innocente et gentille,
Qui n'avait pas seize ans.
Le jeudi, jour de visite,
Ell' venait chez ma mère,
Et ell' nous chantait la Truite,
La Truite de Schubert.

Paroles de Francis Blanche sur une musique de Franz Schubert :

ventura blanche

Francis Blanche dans “Les Tontons Flingueurs” films de Georges Lautner 1963.
Scénario Albert Simonin, dialogues Michel Audiard

Parenthèse terminée ! Je t'entends soupirer : "Pas trop tôt !”
Poursuivons !
Ta pipe tire comme tu aimes ?
Veinard !
Une fois sur deux je bourre trop, ou pas assez, ou j'ai oublié de vérifier le tirage et, comme par hasard, une bûche est coincée dans la tige… Retiens-bien cette vérité essentielle ami fumeur, écris-la sur le mur au-dessus du fauteuil où tu aimes à pétuner en paix : on n'est pas le fumeur qu'on veut, on est le fumeur qu'on peut ! (tu peux apposer au-dessous ma signature !)
Maintenant sers-toi un ou deux doigts de ta meilleure gnôle. (J'ai cassé tous mes verres à gnôle : les gros ventrus, ceux qu'on cale dans le creux de sa main en faisant tourner lentement, maintenant je me la sers dans un verre à dents, ou dans un bon vieux Duralex. C'est snob au possible, je sais, mais comme je suis snob, me faire traiter de snob ne me décoiffe pas un seul cheveu !)
Attention ami lecteur, ne confond pas Duralex et Durex, l'usage n'est pas tout à fait le même (Encore qu'on ne sache pas ce qui se passe réellement dans les chambres à coucher.)

duralex

Duralex Gigogne en verre trempé, édité en 1946
Cultissime !

Installe-toi confortablement devant ton clavier ou enfonce-toi dans ton cher fauteuil : celui sur lequel le chat a essayé de faire ses griffes avant que les innombrables pantoufles que tu lui as balancées à la tête en criant : “fous le camp d'ici, sale chat !” ne le dissuadent définitivement d'approcher ce meuble sacré qui ne connaît que ton derrière (et celui de tes gosses qui se font un plaisir de se vautrer dedans lorsque tu n'es pas là, mais ça, ami lecteur, t'es pas sensé le savoir ! Et ne compte pas sur moi pour dénoncer des gosses ! Peut-être même font-ils semblant de fumer une de tes pipes en jouant à : “Je fume comme papa ! Pouf, pouf, pouf… Je pète comme papa ! Pour, pouf, pouf !)

Fauteuil club (avant qu'un chat ne s'en soit occupé).

Pose maintenant ta tablette ou ton ordi portable sur tes genoux et clique sur Fdp.
Tu y es ?
Eh bien en voiture Simone !
Tu ne t'appelles pas Simone, je sais. A part Delphine et Catt, je ne vois guère de femme parmi nous, et crois bien, ami fumeur, que je le regrette amèrement. (Delphine nous bat un peu froid mais l’été est fini Delphine, on entre en automne, c’est plus la saison du fâché !)

Locution verbale familière : Se soucier de quelqu'un comme d'une vieille pipe. Ne pas s'en soucier du tout, s'en moquer éperdument.

Je suis peu sentimental de ma nature, et (...) je me soucie de la vie humaine comme d'une vieille pipe (Ponson du Terrail dans Rocambole tome 3 La résurrection de Rocambole, édité en 1859, p 435).

Ponson du Terrail est connu pour avoir créé Rocambole, un personnage éminemment romanesque qui aura une nombreuse descendance dans le roman populaire français. Il est également un proche parent des personnages des comic strips américains.
Fils littéraire, (littéraire, c'est vite dit) de Rodolphe, le héros d'Eugène Sue dans “les Mystères de Paris”, Rocambole est un super héros avant l'heure. Il commence une carrière criminelle à Paris sous les ordres de Sir Williams : un bandit grand format qui usurpe les identités, vole, zigouille, trousse et détrousse etc…. Comme il était prévisible, Rocambole finit par atterrir au bagne. (C'était prévisible parce que Rocambole est un héros de papier et que les héros de papier doivent suivre les règles inflexibles de la morale dominante sous peine de se retrouver en Enfer (L'enfer de la Bibliothèque Nationale, bien sûr, pas celui de Dante). Les héros en viande de la vraie vie ne sont pas tenus de respecter la morale, ils sont tenus de ne pas se faire prendre, ce qui, tu en conviendras ami lecteur, change considérablement la perspective sous laquelle leurs exploits doivent être appréciés.)
Au bagne, Rocambole change du tout au tout, (comme si le bagne pouvait transformer un arsouille endurci en ange du paradis !) Il devient un justicier en marge de la société.

rocambole

édition originale des “Drames de Paris” publiée en 1857

CÉRAMIQUE. Terre de pipe. Faïence blanche, poreuse. Synonyme : faïence fine.

La terre de pipe est une argile siliceuse blanche, très plastique, donc facile à travailler. Comme son nom l'indique, on s'en servait pour fabriquer des pipes à tabac, (Pour en savoir davantage se reporter au Piperron, piperron.htm qui sait tout ce qu'on peut savoir sur les pipes en terre.) On en faisait également de la vaisselle, des statuettes religieuses et des têtes de poupées.

poupée en terre

Tête de poupée en terre de pipe

Ma cousine Baby (prononcer à la Française : Ba Bi, et pas bêêêbiiiieeee à l'américaine, d'ailleurs, si tu avais croisé ma cousine, ami lecteur, tu n'aurais certainement pas été tenté de lui lancer : “hey bêêêbiiii…” Elle t'aurait fusillé de ses yeux électriques ou elle t'aurait allongé un coup de pelle à charbon qui t'aurait rétamé suffisamment longtemps pour que tu réfléchisses en profondeur à la puérilité des amours de jeunesse !) que ma frangine et moi surnommions Baby Neuneu, ou Baby la Neuneu, ou Neuneu ! C'est dire le charme puissant qu'elle exerçait sur nous !
(La dernière fois que je l'ai croisée, elle avait l'air d'être un empilement assez hétéroclite de marmites, de pots à tabac, de soupières, et, j'ose à peine l'écrire, le tout couronné d'un pot chambre coiffé d'un chapeau cloche.)
Ma Cousine Baby, donc, avait une poupée à tête de porcelaine qui était son unique trésor. Mais quel trésor !
Pour qu'elle consente à nous la montrer, il fallait la supplier des heures… “Allez Baby, montre-nous ta poupée ! S'te plaît, Baby !…” Autant lui demander de nous montrer les boutons qui lui tenaient lieu de nichons ou son petit étui de rangement !
Tu comprends ce que c'est que de la porcelaine ami lecteur ? Tu sais son prix, sa valeur ?
La terre à pipe c'est commun, c'est même vulgaire, si tu vois ce que je veux dire, (A ce propos, je crois utile de préciser que je doute que ma cousine Baby se soit un jour livrée aux fantaisies auxquelles tu penses, cochon d'ami fumeur. Je suis même persuadé que ses deux enfants lui sont venus comme le Christ est venu à la Vierge Marie, autrement dit, sans qu'elle sache comment parce que son mari, le Dédé Rouflaquettes, ne devait pas s'en approcher souvent et, l'aurait-il fait, qu'il en serait resté gros Jean comme devant parce que je doute qu'il ait eu un robinet à marmaille là où il fallait !
Quoi que…
Avec tout le pinard qu'il s'envoyait, il fallait bien que ça sorte d'une manière ou d'une autre…
Ceci n'est que ma version de la vie de famille. Mon honnêteté me force à te prévenir, ami fumeur, que ma cousine Baby en aurait une autre (version)… Depuis le temps que tu me lis tu sais bien que dans ce que je raconte, il faut en prendre et en laisser ! P'tête que ma cousine Baby était une bombe au plumard ? Va savoir… P'tête qu'avec son Dédé Rouflaquettes c'était Kamasoutra du lundi au lundi ?… Quoi qu'il en soit, ami lecteur, sois charitable, si tu rencontres ma cousine Baby, ne vas pas lui raconter toutes les horreurs que j'ai écrites : elle m'arracherait un bras ! Je peux compter sur toi Guillaume ? Tu ne me trahiras pas ? Jure-le sur la tête de la meilleure de tes pipes !
)

poupée allemande

Poupée Allemande du XIX ° siècle : tête de porcelaine cheveux naturels

La porcelaine, c'est noble, c'est royal. Si tu ne me crois pas, ami lecteur, consulte le site de la manufacture nationale de Sèvres.
sevresciteceramique.fr
La poupée de ma cousine Baby était coiffée de cheveux naturels. Lorsque je lui demandais si elle ne trouvait pas un peu dégueu d'avoir fauché les cheveux de quelqu'un pour les coller sur un crâne de poupée, fut-il en porcelaine, elle ouvrait des yeux ronds. “Dégueu ?… pourquoi dégueu ?…” Elle n'était pas au courant qu'on avait tondu à la libération et même si elle l'avait su, je suis sûr qu'elle s'en serait foutue ! Du moment qu'on lui tondait pas sa poupée ! Laquelle avait également des cils naturels, (qu'on avait du prélever un par un, j'imagine, sur quelque malheureuse) Lorsque ma cousine Baby couchait sa poupée, elle fermait les yeux. Elle voulait nous faire croire que c'était la pointe de la technique, une chose dans le genre du “Turc Mécanique”, mais, ma frangine et moi, on ne se laissait pas impressionner. Ma frangine avait un baigneur en celluloïd qui s'appelait Toto et qui fermait les yeux aussi docilement que cette foutue poupée !
Ah, j'allais oublier : Baby appelait sa poupée Bella. Moi je l'aurais appelée "Chat Crevé !” C'est joli “Chat Crevé,” non ? Je lui aurais également collé une barbe et une moustache.

La table (...) n'avait rien qui sentît le luxe. La vaisselle était en terre de pipe (Balzac, le Médecin de campagne publié en 1833, p. 63).

Une assiette en terre de pipe émaillée, fabriquées à Lunéville ou sa région vers 1775.
Diamètre : 25 cm

Il faut lire et relire Balzac qui est l'un des inventeurs du roman moderne français. Les peintures qu'il dresse d'un milieu, d'une classe sociale ou d'individus sont toujours aussi vivantes, plus de cent cinquante ans après. Beaucoup assurent qu'il est l'inventeur du roman tout court. Je reconnais bien là le chauvinisme de certains de mes compatriotes. (Pas les plus chers, rassure-toi ami lecteur) Une telle affirmation oublie les grands Amerloques comme Melville, Hawthorne, ou Poe qui écrivaient peu ou prou à la même époque, c'est oublier Cervantès, l'immense Cervantès, les grands italiens de la Renaissance… Bref c'est oublier tellement de monde que c'en est risible.

Mon goûter passa en un instant de la cheminée sur la table. Avec quel plaisir je retrouvai mon assiette de terre de pipe ! (Georges Sand, Histoire de ma vie, tome 2 publié en 1855, p. 309).

george sand

George Sand travestie en Georges Sand

Tout le monde connaît George Sand et la vie de patachon qui a été la sienne. C'était la copine de Chopin (et non pas la chopine de Copain, comme certains malveillants l'insinuent).

On croit qu'on a inventé les peoples mais on n'a rien inventé du tout. Depuis le néolithique des gens font les pieds au mur et montrent leur derrière, chantent faux et à tue-tête pour se faire remarquer.
George était de ces gens-là. Elle a laissé quelques romans sans intérêt ce qui leur vaut d'être lus dans les écoles.
Sois sûr, ami lecteur, qu'aucune œuvre romanesque de valeur n'est lue dans les écoles. La prétendue littérature qu'on présente aux enfants c'est de l'eau tiède, de la pisse d'âne, c'est ce qu'on veut mais en aucun cas de la littérature.
Une preuve ? Personne ne baise dans les livres de l'école ! On y soupire, on y éprouve des transes amoureuses, on écrit des sonnets mais on n'enfile jamais son machin dans le truc de la dame.
Jamais !
On laisse cette éducation-là à Internet ! Et tu connais comme moi, ami fumeur, l'intensité et la qualité des dialogues qui s'échangent dans le genre de films que nos enfants dévorent ? On s'étonne après ça que nos morveux ne sachent ni lire, ni écrire, ni parler, et encore moins se taire.
J'ai pas épuisé les différents usages qu'on a fait de la terre de pipe, mais j'ai épuisé ton attention, je le sens bien.
Allez Ciao, ami lecteur, arriverdeci !
Rendez-vous une prochaine fois !






Copyright Bernard Mathieu.