La Billiard par Werner Mummert

par David Enrique

01/03/21

Photos : Werner Mummert, David Enrique, Guillaume Laffly

Après plusieurs années sans m’être intéressé à la pipe pour des raisons diverses et variées, l’attrait pour les ronds de fumée m’est soudain revenue, s’alimentant d’une curiosité renouvelée et d’envies de découvrir des choses nouvelles (pour moi). Aussi, ai-je décidé de vendre quelques pipes pour lesquelles j’ai perdu de l’intérêt afin de me permettre quelques folies…

Parmi les pipiers qui m’intriguent et éveillent particulièrement ma curiosité, il y a Werner Mummert. Il n’est pas ce que l’on pourrait appeler un jeune pipier puisqu’il a commencé à fabriquer des pipes en 1986. Pourtant, aujourd’hui encore, il est capable d’étonner avec son style expérimental.

werner mummert pipe

Pipe Lego

Malgré tout, lorsque je visite sa page personnelle sur Facebook, je suis immédiatement attiré par deux pipes assez classiques, si on les compare aux pipes présentées plus haut.

La première est une billiard un peu trapue avec un sablage impressionnant et une belle couleur tan, résultant de l’application de shellack sans teinture. Son tuyau en ébonite de chez SEM possède des couleurs du plus bel effet.

La deuxième est une autre billiard dont la ligne et les proportions me semblent parfaites, avec une jolie teinte acajou et un tuyau en ébonite noire décoré d’une discrète bague en fordite.

J’hésite entre ces deux interprétations classiques… et j’hésite encore plus lorsque je me dis que je devrais plutôt jeter mon dévolu sur une pipe exubérante, plus caractéristique du style de Werner Mummert, comme ces quelques exemples :

Il faut avouer qu’elles ont du chien ces pipes, n’est-ce pas ?

Après avoir pris contact avec le pipier pour connaitre quelques détails tels que la longueur, le poids et le prix de ces pipes, je finis par me décider pour la deuxième billiard montrée plus haut. Je pense que ses proportions et son poids conviendront mieux à ma façon de fumer. Mais je ne m’interdis pas de craquer plus tard sur une pipe plus tape-à-l’œil.

Une dizaine de jours plus tard, me voilà avec la pipe entre les mains.

1. Extérieur de la pipe

A l’ouverture du colis, lorsque je sors la pipe de sa pochette en tissu, je découvre un sablage impressionnant au ring grain régulier et surtout bien détaillé, presque minéral, et très agréable en main. Une belle teinture acajou relève légèrement le grain en dessous, ce qui permet d’écarter l’hypothèse qu’il s’agirait d’un rusticage imitant un sablage, comme il m’est déjà arrivé de le lire.

werner mummert pipe

Ce que j’apprécie particulièrement c’est que les lignes sont parfaitement lisibles malgré la profondeur du sablage et que la jonction tige / tuyau ne casse pas ces lignes. S’il y a bien une chose qui me perturbe, c’est quand le sablage créé un décrochage des lignes au niveau de cette jonction. Rien de tout cela ici et c’est tant mieux.

werner mummert pipe

En main, la bruyère semble assez dense, si j’en juge le poids de la pipe par rapport à sa taille. Les finitions sont soignées et le tuyau est brillant, bien qu’il reste quelques micro-rayures et que je repère un tout petit point blanc dans l’ébonite. Visuellement le bec est perfectible : il semble assez épais si je le compare à ce que j’ai l’habitude de voir chez les pipiers allemands. D’ailleurs, la finition du bec est assez loin de ce que j’ai pu observer chez d’autres pipiers dans le créneau high grade.

Mais passons… la belle ligne, le magnifique sablage et cette petite bague en fordite, ajoutant juste ce qu’il faut de fantaisie, tout en restant discrète et élégante me comblent.

fordite

Morceau de Fordite

Pour information : la « fordite, aussi appelée agate de Détroit, est un résidu de peinture automobile qui a séché afin qu'il soit découpé et poli. Une fordite est formée de couches de peinture. Elle est désormais surtout utilisée pour de la décoration ou de la joaillerie. » (source : Wikipédia)

2. Intérieur de la pipe

Passons maintenant à une inspection plus poussée de l’intérieur de la pipe.
Je dévisse le tuyau sans difficulté et je mesure un tenon plus court que la mortaise d’un millimètre, ce qui est correct. Il y a un léger entonnoir au bout du tenon, pas très profond mais probablement suffisant, surtout pour une pipe droite. Le passage d’air est bien centré au fond de la mortaise et il arrive bien au fond et au centre dans le foyer.

Le tuyau se revisse avec aisance. Le tenon et la mortaise étant parfaitement centrés, le tuyau est bien ajusté quel que soit le sens. Le tirage est correct, sans être celui d’une Roush ou d’une Talbert. L’air arrive néanmoins, à mon goût, de manière trop concentrée à un endroit sur la langue. J’ai une nette préférence pour les passages d’air avec un V profond qui permet à l’air d’être diffusé sur une zone plus large. Cela évite notamment d’avoir la langue qui pique.

Le foyer est malheureusement préculotté mais je le savais avant l’achat, puisque c’était bien visible sur les photos.

En bouche, le tuyau est un peu épais et ne tient pas naturellement entre mes dents. Je pense que je devrai faire quelques modifications sur ce dernier afin d’apprécier pleinement cette pipe.

3. Werner Mummert dans son atelier

Avant de passer à l’épreuve du feu, je vous propose de regarder quelques étapes de la fabrication d’une pipe que Werner Mummert a eu la gentillesse de m’envoyer lorsque je le lui ai demandé.

werner mummert atelier

Lecture du grain de la bruyère en blanchissant le plateau

Tournage d’un tuyau sur le tour à métaux

werner mummert cumberland

Fabrication d’un tuyau en cumberland

werner mummert sablage

Micro-sablage au stylo

4. L’épreuve du feu

Passons maintenant à l’heure de vérité et récapitulons plusieurs semaines de fumage.

Dans un premier temps, j’ai essayé d’y fumer des mélanges à base de Virginia ou de Virginia/Perique (McClelland Blackwoods Flake, Peterson DeLuxe Navy Rolls ou Dan Tobacco Salty Dogs) mais les saveurs manquent de profondeur et de subtilité, et je ne retiens finalement que l’acidité puis l’âcreté en fin de bol, ce qui est fort dommage.

Puis j’ai essayé d’y fumer des mélanges anglais (Peterson Early Morning Pipe et GL Pease Samarra) mais là encore, ça manque de rondeur, c’est trop « sec » à mon goût. Rarement, il arrive même qu’elle se mette à glouglouter légèrement, ce qui m’étonne car seulement deux autres de mes pipes droites ont ce défaut : une Butz-Choquin et une Chacom avec un montage type « army » qui laisse une petite chambre de condensation. Ce n’est pas bien grave, puisque je passe alors une chenillette dans le tuyau et le problème est réglé.

Pendant l’écriture de cet article, je décide de l’essayer avec un mélange aromatisé que j’apprécie, le Davidoff Danish Mixture. Je me dis que la douceur de ce tabac saura dompter le caractère trop droit de cette pipe. Je fume très doucement mais, là encore, je me rends compte que ça ne prend pas et une âcreté s’installe rapidement en s’intensifiant. Et j’abandonne le fumage avant la fin du bol, sans avoir pris grand plaisir.

Je ne serais pas étonné que le fait que cette pipe soit si difficile à dompter soit dû à la présence d’un préculottage. J’ai le même problème avec une Tom Eltang pourtant somptueuse et que je ne fume jamais… C’est triste.

Vais-je alors me décider à retirer ce préculottage ? Je ne l’ai jamais fait sur la Tom Eltang, de peur de l’abimer. Mais sur cette pipe, je crois que n’aurai pas le choix si je veux pouvoir pleinement en profiter. Affaire à suivre…

Épilogue

J’ai finalement décidé de retirer le préculottage de cette belle pipe : j’ai enroulé de la toile émeri autour d’un tube au diamètre légèrement plus petit que celui du foyer de la pipe et j’ai retiré le préculottage en pivotant le tube sur lui-même. Le préculottage est parti plutôt facilement et jusqu’au fond, à ma grande surprise. Je pensais que j’aurais du mal à le retirer au fond, à cause de l’arrondi. Cette action a révélé quelques sandpits sans importance dans le foyer.

werner mummert pipe

Muni de quelques limes, j’en ai profité pour retravailler un peu le tuyau. J’ai affiné le bec passant de 4mm à 3,8mm, et j’ai ouvert le passage d’air en V plus profond. A vide, je sens tout de suite la différence : l’air arrive sur une zone bien plus large sur ma langue et le tuyau tient mieux en bouche. Là, on rentre dans des préférences personnelles.

werner mummert pipe

Et donc ? Eh bien j’ai fumé la pipe plusieurs fois et j’ai senti la différence dès le deuxième fumage :


Tout est bien qui finit bien et je vais donc pouvoir fumer cette pipe avec plaisir puisqu’elle est toujours aussi belle et qu’elle se révèle être désormais une bonne fumeuse. Mais au prix de quelques efforts.

A notre époque, le prix moyen des pipes d’artisan dépasse souvent les 500€. Si, à cette somme, il faut que je prévoie des efforts pour rendre la pipe agréable à fumer, j’y réfléchirai à deux fois avant d’acheter une nouvelle pipe. C’est dit.

werner mummert pipe du nord

Werner Mummert à la Pipe du Nord à Paris, 2019