Font-ils un tabac ? n°106

par Erwin Van Hove

18/05/20

Samuel Gawith, Kendal Cream Deluxe Flake (KC Flake)

Cream ! Deluxe ! Quels mots vilains ! Heureusement que depuis quelques années le législateur européen vient à notre secours pour nous protéger du malsain péril. Ces dangereux vocables ont donc été verboten. Nous sommes sauvés parce que désormais le tabac s'appelle KC Flake. Ça fait toute la différence. N'empêche que le KC Flake est toujours aromatisé à la crème. Et à une essence florale. Lakeland oblige.

Ma relation avec les Lakeland aromatisés est complexe. Il y en a que j'adore, il y en a d'autres que je supporte. Il y en a aussi qui m'horripilent. D'après ce que j'ai pu lire, le Kendal Cream Deluxe Flake ne devrait pas faire partie de cette dernière catégorie puisqu'on le définit comme un Lakeland aromatisé qui s'adresse à ceux qui n'aiment pas les Lakeland aromatisés. Voyons ça.

Les arômes qui sortent de la boîte confirment que ce n'est pas un typique Lakeland aux odeurs de géranium, de rose, de tonka ou de musc. Du tout. Au contraire, les odeurs sont légères, subtiles, discrètes. Je sens quelque chose de crémeux et une touche de pain d'épices ou de spéculoos. Rien de floral. Ce sont des odeurs qui ne peuvent importuner personne, même pas le plus féroce adversaire des tabacs en provenance de Kendal. Jusqu'ici la promesse est tenue.

Faits avec des virginias et des burleys, les flakes affichent des tons aubergine, bruns, orange et fauves. Les tranches sont fort épaisses. Ni humides ni collantes, elles se désagrègent pourtant facilement en brins bourrables. Il est clair que le tabac n'a pas subi de forte pression.

D'emblée je suis sous le charme de la remarquable unité des saveurs. Plutôt que des saveurs individuelles, je perçois un tout harmonieux. Et délicat. Cela étant, il n'est pas facile de mettre le doigt sur tel ou tel goût. Ce qui est sûr, c'est qu'on n'est absolument pas dans l'univers savonneux des Lakeland habituels. La structure est aigre-douce avec des sucres discrets mais efficaces et avec une présence acide noble et civilisée. Il y a des épices dosées avec finesse, un goût citronné, des touches de mélasse, ici et là un subtil accent de tonka et un fond d'herbe sèche et de terre. A ma surprise, je ne retrouve aucunement le pain d'épices et le spéculoos du nez.

Pour un tabac en provenance du Lakeland, le Kendal Cream est léger et produit une fumée peu dense quoique assez crémeuse. Malgré l'épaisseur des brins, le tabac couve sans problèmes. En dépit de l'acidité toujours présente, ma langue se sent parfaitement à l'aise. Le tabac n'est pas exactement évolutif, mais tout à la fin, les saveurs jusque-là peu intenses gagnent en puissance mais sans aucunement nous livrer un feu d'artifice.

Comme promis, le Kendal Cream Deluxe Flake est effectivement un Lakeland aromatisé que même ceux qui abhorrent ce genre de tabac peuvent apprécier pleinement. C'est un tabac serein, discret, raffiné. Sa nature presque aérienne, sa subtilité et son parfait équilibre sont des atouts qui le rendent attachant. Si je peux objectivement louer ses incontestables qualités, je dois cependant admettre que le KC n'est pas un tabac pour moi. Mon vieux palais a besoin de sensations plus fortes.

John Aylesbury, Sir John's Flake Virginia

Pas la peine de lancer votre moteur de recherche pour savoir qui est ou était John Aylesbury. Il s'agit tout bêtement d'un nom fictif. La SARL qui porte ce nom anglo-saxon est une association d'une cinquantaine de civettes allemandes qui ont uni leurs forces afin de pouvoir fonctionner comme grossiste. Le groupe possède sa propre ligne de tabacs produits chez Planta, ce qui, je vous l'avoue, ne me met pas exactement en confiance.

La boîte porte la mention Danish Classic. Je ne dois donc même pas l'ouvrir pour savoir que mon virginia flake sera aromatisé. Il l'est effectivement, mais sans excès. Les arômes sont même franchement plaisantes avec un joli fruité bien intégré qui s'exprime sur l'abricot, avec des notes mielleuses et avec une petit côté discrètement floral. Le lendemain l'odeur d'abricot et la touche florale ont disparu. Je sens désormais du citron et de la bergamote, du triple sec, du miel, de l'herbe sèche. On dirait que le Sir John a pour vocation de jouer dans la même cour que l'Orlik Golden Sliced ou le Reiner Long Golden Flake. D'ailleurs, tout comme ces deux tabacs, le Flake Virginia se présente sous forme de tranches d'une vingtaine de centimètres repliées sur elles-mêmes. De toute évidence, Planta a employé divers virginias puisque les flakes arborent des bruns, des oranges, des fauves et des blonds. Jusqu'ici tout baigne.

Je déchire un morceau de flake, le triture, l'enfourne et c'est parti. D'emblée, c'est confirmé : on est bel et bien dans le style danois avec un léger sauçage mielleux et citronné. On commence avec le trio citron/bergamote, miel, herbe sèche. S'ajoutent ensuite des acides et des épices qui sont tenus en équilibre par des sucres bien dosés. Dorénavant, le Flake Virginia verse sans complexes dans un aigre-doux épicé qui le rapprocherait d'un VA/perique poivré s'il n'y avait pas cette insistante et omniprésente saveur d'agrume qui occupe le devant de la scène.

Même si le goût de citron finit par me peser, je ne peux pas dire que le Sir John soit un typique aro de chez Planta. Certes, il a un vague arrière-goût que je qualifierais de chimique et je lui reproche un manque de velouté, mais il a aussi d'incontestables qualités : il ne devient pas amer et fiche la paix à ma langue, il est de puissance moyenne et il se consume facilement. En outre, vers la fin il gagne en profondeur et en harmonie.

Ceci dit, la note de 3,8 sur Tobaccoreviews m'étonne franchement. Qu'est-ce qui m'échappe ? Pour moi, le Sir John's Flake Virginia se laisse fumer, mais ne joue absolument pas dans la cour des grands virginias. Fondamentalement, ça reste un produit de chez Planta, donc un mélange fait avec des tabacs qui ne brillent ni par leur personnalité ni par leur exceptionnelle qualité et qui ont subi un traitement qui sort des fioles de chimistes. N'empêche que le Flake Virginia est de toute évidence moins mauvais que la production habituelle de Planta. Cela ne veut pas dire que je le recommande. Comme alternative autrement plus réussie, je vous propose le Reiner Long Golden Flake.

TAK, Winter 2019

Vous vous rappelez le bon vieux temps où à l'occasion de Noël, McClelland nous sortait année après année un VA pur de derrière les fagots ? Ce Christmas Cheer se contrefichait royalement de la règle non écrite qui stipule qu'un mélange de Noël doit nécessairement être dominé par une myriade d'arômes artificiels. Or, vu que je suis allergique à la fois aux aros et à Noël, vous pouvez aisément imaginer quel effet me fait un typique Christmas blend.

Je vous lis la description que donne Tom Darasz du Winter 2019 : Eine tolle Weihnachtsmischung duftend nach Orange und Vanille, bestehend aus 90% Virginias, 5% Black Cavendish und 5% Burley. Un fucking mélange de Noël ! Aromatisé à l'orange et à la vanille ! Je vous rassure tout de suite : non, je n'ai pas acheté ce tabac dans un moment d'égarement. Il s'agit d'un échantillon que monsieur Darasz a inclus dans une récente commande. De quoi me bourrer deux pipées.

Avec sa très grosse coupe et ses frappantes couleurs jaunes-blondes-fauves, le tabac est visuellement attractif. Son nez me surprend : si je sens une note vanillée, je ne décèle pas d'odeurs d'orange. En revanche, l'arôme dominant me fait immédiatement penser à des caramels au beurre. Une odeur affriolante quand il s'agit de bonbons ou de pâtisserie, mais qui, dans un tabac, me met mal à l'aise.

En regardant la surface de ma pipe bourrée, je me rends compte à quel point la coupe est XXL. Je m'inquiète pour la combustion. A tort parce qu'après mes habituels deux allumages successifs, le feu couve gentiment et régulièrement.

L'entrée en matière est assez agréable. Le Winter 2019 débute sur des goûts qui rejoignent le nez : caramel et un soupçon de vanille. D'emblée, il est évident que ce n'est pas un de ces aros vulgaires et tape à l'œil, mais un tabac aromatisé avec doigté. Les sucres ne sont pas écœurants, les additifs aromatiques ne tyrannisent pas les tabacs et après les premières bouffées, des acides épicés, un goût salin et une note grillée produite par le cavendish donnent au mélange un certain sérieux.

Pourtant, arrivé en milieu de bol, je commence sérieusement à fatiguer. L'épicé est désormais piquant et l'acidité assez caustique. En conséquence, si les sucres sont toujours perceptibles, les agréables saveurs du début s'essoufflent et tombent à plat. Mes muqueuses picotent et ma langue devient rugueuse. Bref, même un blender au talent incontestable n'arrive pas à éviter le piège que nous tendent systématiquement les aros germano-danois : les arômes s'estompent en cours de route et à partir de ce moment, la fumée devient amère ou caustique.

Je vous avoue que je ne me suis même pas bourré une deuxième pipe. Le reste de l'échantillon a fini à la poubelle. Ce n'est pas ce genre de friandise qui vous garantira un joyeux Noël.