Font-ils un tabac ? n°109

par Erwin Van Hove

20/07/20

TAK, VP Plug N° 3

Des virginias, du perique et un soupçon de kentucky pressés en plug. Je me régale d'avance, mais l'ouverture du bocal tempère immédiatement mon enthousiasme : les deux pavés sont complètement desséchés. Quand j'essaie d'en découper des tranches, j'obtiens des filaments et des broken flakes qui ont perdu toute souplesse. Mince alors. C'est d'autant plus remarquable que ces plugs à l'hygrométrie parfaitement acceptable au moment de la livraison n'ont été conservés que pendant six mois et, ce qui plus est, dans un bocal avec un joint en caoutchouc.

D'emblée il s'avère que l'asséchement n'est pas resté sans conséquences. Si je décèle facilement les trois ingrédients sous forme de strates de couleurs différentes, je suis incapable d'en déceler les odeurs. Le nez n'est pas désagréable, mais il est étonnamment plat et sans caractère. Une vague odeur de croûte de pain, un peu d'acidité volatile. C'est tout.

Vu que les tabacs de Tom Darasz ne contiennent pas de produits chimiques pour les protéger des moisissures, je n'ose pas humidifier le contenu du bocal pour le stocker ensuite pendant quelques semaines. Je décide donc de procéder avant chaque fumage à une technique simple et efficace et qui consiste à souffler pendant une minute dans le tuyau de la pipe fraîchement bourrée. Et ça marche comme prévu : je sens le tabac dans le fourneau s'assouplir sous mes doigts.

C'est parti et immédiatement j'ai des sentiments mitigés. D'une part, je note que c'est un tabac bien fait parce que les trois ingrédients collaborent intimement pour former une unité harmonieuse, parce que l'équilibre entre sucres, acides, amertume et salinité est assez irréprochable et parce que la fumée n'a rien d'agressif. En plus, la structure sobre, voire austère et pure nature ne rappelle en rien le style germano-danois, mais pourrait au contraire passer pour celle d'un blend traditionnel made in the UK. D'autre part, les saveurs manquent de toute évidence de relief et de définition. Elles se développent en sourdine, se cantonnent dans un anonymat qui les rend pour ainsi dire indescriptibles, et évoluent à peine. Ce n'est pas un hasard si dès le premier fumage, le VP Plug N° 3 m'a rappelé le Mick McQuaid Plug. (artfontilsuntabac6)

Je tiens à le répéter : ce n'est pas un mauvais tabac puisqu'il a d'indéniables qualités. Mais il fait penser à un bon vin passé son apogée qui commence à fatiguer. Et ça, c'est toujours pénible et frustrant. Bref, en fumant le VP Plug N° 3 à l'âge de six mois, on ne peut s'empêcher de regretter les splendeurs de la jeunesse à jamais perdue.

A ce sujet, j'ai fait une découverte inquiétante que je ne veux pas vous cacher. Connaissez-vous Deniz Beck ? C'est le pipophile allemand qui était le premier à écrire des reviews sur toute une série de tabacs TAK et à en parler dans des termes plus qu'élogieux. Or, voici que depuis quelque temps, ce fan pur et dur s'est mis à se raviser et à dramatiquement baisser les scores de plusieurs mélanges du blender qu'il avait porté aux nues. Au moment où j'écris ces lignes, Il a même rajouté le même addenda à quatre de ses textes sur Tobaccoreviews, y compris à son texte consacré au VP Plug N° 3, pour s'expliquer. Avec amertume, Deniz Beck raconte avoir constaté qu'une bonne partie des tabacs TAK perdent leurs arômes et leurs saveurs au point de devenir méconnaissables quand ils sont conservés au-delà de quatre mois. Et vlan.

Ayant stocké depuis deux ans une bonne quinzaine de bocaux de ropes, de twists, de plugs et de flakes que j'avais dégustés et approuvés au moment de l'achat, je commence légèrement à paniquer. Quant à vous, un homme averti en vaut deux.

Astleys, N° 44 Dark Virginia Flake

Astleys 109 Jermeyn St. London SW1 England. Pipe Specialists since 1862. C'est fièrement marqué sur la boîte et ça ne laisse pas de place au doute : les tabacs Astleys s'inscrivent résolument dans la grande tradition du blending anglais. Or, il n'en est rien. En réalité, ils sont bêtement produits en Allemagne chez K & K. Ce genre d'intox me met toujours mal à l'aise.

Mignons, les flakes nains ! Des mini tranches finement coupées de couleur foncée forment une rangée parfaitement droite. Une odeur extravertie de figues sèches et de pruneaux me saute au nez. Pour un virginia pur, cette odeur de VA/perique fruité est surprenante. Et un tantinet suspecte : ça sent le top dressing. D'ailleurs, après une semaine, cet arôme fruité est nettement moins prononcé. Désormais je sens avant tout du pain fraîchement cuit, mais également les typiques notes grillées de kentucky. Oui, je mettrais ma main au feu : ce mélange contient du kentucky. Or, l'étiquette apposée sur l'arrière de ma boîte et Tobaccoreviews se rejoignent : le N° 44 est un straight virginia. Je refuse de le croire et je consulte donc le site web de l'Arango Cigar Co., le distributeur américain des tabacs Astleys. Et là je lis ceci : A powerful English Flake made of dark Virginia, Perique and Kentucky which has matured in the press for a longer period. Qu'est-ce que je vous disais !

Les petits flakes sont collants et assez humides, ce qui fait qu'il est quasi impossible de dégager des tranches individuelles. Le séchage s'impose donc. Par contre, vu la minceur des flakes, ils se transforment facilement en brins bourrables.

Après l'allumage, la fumée véhicule des saveurs douces de fruits secs, mais immédiatement après je décèle un goût que je qualifierais de chimique. Et ce goût dénature le fruité et pollue la sensation en bouche : la fumée devient rugueuse et bientôt mon palais se tapisse d'un fond désagréablement acide et amer et d'un arrière-goût déplaisant et incisif. J'en ai l'appétit coupé.

Je remarque que dans certaines pipes, le N° 44 se montre moins chimique et moins déséquilibré, mais même dans ces pipes indulgentes le tabac reste loin de la bienfaisante opulence qu'on est en droit d'attendre d'un dark virginia bien né.

Sur Tobaccoreviews, le Dark Virginia Flake obtient un score plus que respectable de 3,3. Je n'y peux rien, mais pour moi, c'est un mélange franchement décevant fait à partir de virginias de qualité douteuse et en utilisant des fioles de chimistes. D'accord, les producteurs de tabac allemands ne disposent pas de virginias époustouflants, mais ce n'est pas une excuse pour nous livrer un mélange qui manque à ce point d'équilibre et de naturel.

Paul Olsen, My Own Blend 55

Les accomplissements de la marque danoise My Own Blend sont tels qu'ils méritent qu'on s'y attarde un instant. Je vous invite donc à lire les premiers paragraphes de l'article consacré à un autre tabac My Own Blend : artfontilsuntabac82.

La boîte porte la mention imprimée Individuel suivie du numéro 55 écrit au feutre. Ça signifie qu'il ne s'agit pas d'un mélange standard largement distribué, mais d'un blend composé à la demande d'un client et disponible uniquement dans quelques civettes danoises, ce qui est une mauvaise nouvelle puisque récemment l'Etat danois a interdit la vente par internet à quiconque ne réside pas au Danemark.

A l'époque où il était encore possible de passer commande sur le site web du Danish Pipe Shop, choisir à bon escient parmi la bonne centaine de tabacs My Own Blend avec pour seul guide un numéro et une description rudimentaire, n'était pas une sinécure. Il fallait donc consulter Tobaccoreviews afin de limiter le risque de se tromper. Pour le 55, il m'a suffi de lire les deux premiers mots sur la page qui lui est consacrée, pour me jeter à l'eau : Edgeworth style. Pour sûr qu'il me le fallait, celui-là ! D'autant plus que le producteur spécifiait qu'ils avaient eu vraiment de la chance de tomber sur du burley d'une telle qualité.

J'attends trois ans pour ouvrir la boîte. Impatiemment. Arrive enfin le jour J et c'est la douche froide. Les arômes ne rappellent en rien le légendaire Edgeworth Sliced. Je ne sens même pas du burley, mais quelque chose qui s'avoisine aux typiques odeurs des virginias de McClelland. D'ailleurs si je distingue du fauve et du brun clair, les broken flakes arborent surtout une couleur très foncée qui n'est pas celle d'un burley. Ah bon.

En bourrant une pipe pour un premier essai, je me sens déjà déçu pour ne pas dire arnaqué. C'est donc de mauvais poil que j'allume. Et là, dès les toutes premières bouffées, je suis bluffé. Sur le cul. A l'instant même où le goût se met à déferler sur ma langue, il me rappelle mon Edgeworth adoré. Certes, ce goût n'est pas parfaitement identique, mais il est très, très proche de la saveur complexe, fascinante, un tantinet médicamenteuse du modèle. Incontestablement c'est le seul et l'unique tabac que je connais qui peut passer pour un clone du roi des burley blends. Ça alors !

Après quelques minutes les saveurs changent, s'éloignent de celles du flake qu'elles imitent et finissent par s'approcher des arômes perçus à l'ouverture de la boîte. Le résultat est loin d'être mauvais, mais, après ces débuts si époustouflants, je ne peux m'empêcher de regretter cette transformation.

Deux semaines après l'ouverture, les arômes du mélange ont sérieusement évolué. Désormais je sens du pain pumpernickel, du café moulu, une odeur sombre et profonde sur laquelle je n'arrive pas à mettre le doigt, et puis à l'instant où j'approche mon nez du tabac, un flash d'Edgeworth qui se dissipe aussitôt.

Cette évolution est bénéfique. Désormais, le 55 ne part plus dans une autre direction, mais s'inscrit du début à la fin dans la lignée de son célèbre modèle. Ceci dit, je note quand même des différences : le 55 me paraît à la fois un tantinet plus sucré et plus acide et surtout il n'a pas la même intensité ni la même constance, ce qui fait qu'après les premières minutes il perd un peu de ses plumes. Ni constamment ni définitivement, mais par intermittence. N'empêche que malgré ces dissimilitudes l'univers Edgeworth reste parfaitement reconnaissable.

Pas de doute, l'Edgeworth Sliced était meilleur. Ça ne doit pas étonner : après tout, l'Edgeworth Sliced était aux burley blends ce qu'était le Balkan Sobranie aux balkan blends. N'empêche que je considère le 55 comme un véritable tour de force. Grâce à l'impressionnante qualité des burleys employés et à l'admirable savoir-faire du blender, le 55 est le seul et l'unique tabac qu'il m'ait été donné de déguster, qui arrive avec succès et même avec une certaine précision à ressusciter les saveurs du regretté Edgeworth. Chapeau bas. Mais quel drame que cette conclusion excitante est en même temps source d'une terrible frustration vu que désormais la législation européenne nous rend ce tabac aussi inaccessible que le défunt Edgeworth.