Font-ils un tabac ? n°12

par Erwin Van Hove

01/10/12

4 Noggins, Bald Headed Teacher

Me voilà en train de me gratter la tête et pas à cause du nom de ce tabac. Selon la description de Rich Gottlieb qui est l’auteur de cette recette, le Professeur Chauve serait un mélange naturel, alors qu’à chaque fois que je le hume, mon nez détecte de légères traces d’aromatisation. Ce n’est pas tout. Il s’agirait d’un burley blend rehaussé de virginia et d’un soupçon de latakia à peine perceptible. Or, je vois pas mal de brins noirs qui détonnent dans la profusion de tons bruns. Je les sens même. Bref, plutôt qu’un authentique burley blend, le Bald Headed Teacher s’avère ce que les Américains appellent un crossover blend, c’est-à-dire un mélange qui franchit la frontière entre le blending à l’anglaise et l’engouement américain pour les tabacs aromatisés. Or, moi, je n’ai jamais bien compris l’intérêt de ce genre de bâtard.

Livré en bulk, le tabac est trop humide, même après quelques mois de conservation. N’empêche que ni l’allumage ni le fumage n’en souffrent. D’emblée, le palais confirme l’impression du nez : ni chair ni poisson, ce mélange traverse une crise d’identité : certes, le burley est présent mais sa saveur se voit dénaturée par les autres ingrédients. Si la contenance en latakia est trop faible pour occuper le devant de la scène, elle suffit pour tapisser le palais d’un fond vaguement fumé et boisé. Quant à la sauce, elle confère à la fumée un goût de sirop d’érable et de sucre brûlé qui, sans pour autant devenir vraiment écœurant, est trop marqué et trop constant pour mon goût.

Remarquez que le résultat n’est pas mauvais. La douceur étant contrebalancée par une acidité claire et nette, la structure est même passablement équilibrée. Seulement voilà, mes papilles décèlent des saveurs que je qualifierais d’artificielles et qui me déplaisent. Et puis, quand j’achète un burley blend, je veux retrouver une certaine austérité et surtout les accents tantôt terreux, tantôt sur la noisette ou le chocolat qui sont si typiques du burley. Moi, je reste donc sur ma faim.

D.T.M., Holly’s Discovery

Le Bengal Slices fait partie des mythes du passé et le Penzance est quasi perpétuellement en rupture de stock. Frustrant pour l’amateur de cette denrée rare qu’est le latakia flake. Voilà qu’en Allemagne Dan Pipe vous propose une alternative. Valable en plus.

En ouvrant ma boîte de Holly’s Discovery datant de 2006, je découvre des tranches peu compactes qui hésitent entre le flake authentique et le broken flake. Le brun foncé et le noir dominent et d’emblée le nez confirme cette première impression visuelle : c’est une bombe à latakia qui fait soupirer d’aise le latakiophile confirmé. Le virginia a du mal à signaler sa présence, par contre, en humant profondément, on découvre tout au fond des orientaux.

Bourrage et allumage faciles et voilà que les premières bouffées titillent le palais. Une explosion de latakia intense, riche et crémeux à la fois. Un bel équilibre entre douceur et acidité. Un peu de sel. Une touche d’amertume. Intense et extraverti, ce tabac ne fait pas dans la dentelle et, sans vergogne, parade sa carrure de monolithe chypriote.

Mes goûts personnels ont évolué et désormais ce genre d’overdose de latakia me fait languir après des herbes plus nuancées et subtiles, mais je suis sûr et certain que le Holly’s Discovery comblera tout amateur de sensations fortes dans le genre de Penzance ou de Pirate Kake.

Gawith Hoggarth & Co, Louisiana Flake

Quel tabac bizarre ! Il va de soi que tout mélange dont le nom se réfère à la Louisiane, est supposé mettre l’accent sur le perique. Or, quand je hume les flakes longs, épais et assez secs, ce n’est que dans le fond que je détecte les notes de moisi du perique. Pas de fruits secs, pas de poivre. D’ailleurs pas non plus d’odeur invitante de virginia bien fruité. En vérité, les arômes frappent par leur caractère discret et introverti. C’est pour cette raison qu’on n’en croit pas ses papilles une fois les brins allumés. D’emblée éclate un feu d’artifice de saveurs intenses et concentrées. Déroutantes en plus parce que, malgré le nez fade, me voilà tout d’un coup submergé dans l’univers parfumé et savonneux de la famille Gawith. Louisiane ? Mon œil. Plus Lakeland que ça, on meurt.

Certes, de temps à autre la langue est titillée par une pincée de poivre, mais plutôt que le perique, c’est un autre ingrédient qui domine et qui me rappelle à n’en pas douter le légendaire 1792 de chez Samuel Gawith, mais dans une version light. Vérification faite, je ne me trompe pas : tout comme son cousin adulé et honni, le Louisiana Flake contient en effet de la fève de tonka.

C’est vraiment saugrenu comme idée que de combiner le perique et la fève de tonka, deux condiments au notoire caractère impérieux. C’est même très risqué. Alors, est-ce que ça marche ? Oui et non. Oui, parce que la cacophonie et le piège du caricatural sont évités. Les saveurs ne détonnent pas et sont clairement moins envahissantes que celles du 1792. Non, parce que celui qui salive à l’idée de fumer un bon virginia/perique, risque de se sentir arnaqué par ce mélange qui se contrefiche des conventions du genre.

Même si je dois admettre que le Louisiana Flake est un tabac original et pittoresque qui ne mord nullement, qui a de bonnes propriétés de combustion et un taux de nicotine civilisé, personnellement, je ne suis pas vraiment fan. D’une part, j’avoue être assez allergique à tout mélange pollué par le goût pénétrant de la fève de tonka et d’autre part, cette recette si particulière ne pourra jamais combler mes envies de perique.

Pas mauvais, mais à côté de la plaque.

G.L. Pease, Union Square

Voilà un tabac qui me rappelle le champagne. Ca mérite une explication. Chaque fois qu’on interroge le consommateur, il affirme préférer un champagne vraiment brut. Or, chaque fois que ce consommateur participe à une dégustation à l’aveugle, il apparaît qu’en vérité, il préfère les champagnes qui contiennent du sucre ajouté. Clairement notre engouement pour le sucre est plus fort que nous ne pensons.

La description sur la boîte nous promet du virginia et rien que du virginia. Pas d’autres tabacs et, ce qui plus est, pas non plus de sucre. Selon Pease, contrairement aux virginia flakes traditionnels qui aiment passer pour des tabacs naturels alors qu’ils contiennent une bonne dose de sucre, le Union Square, c’est du pur nature. Et le marketing fonctionne, puisqu’à l’idée de fumer un tabac d’exception, on commence à saliver.

L’ouverture de la boîte est un vrai plaisir : de beaux flakes épais qui vont du blond au brun clair et qui dégagent une odeur complexe de virginias de qualité : il y a du foin, de la noix, du vinaigre de cidre, voire du cube de bouillon. C’est appétissant comme tout.

L’hygrométrie de ma boîte âgée de trois ans est parfaite. Après triturage des flakes, on obtient un mélange de brins de longueur et d’épaisseur différentes. Il est impératif de les émietter longuement, sinon ils posent systématiquement des problèmes d’allumage et de combustion.

Vu le nez fort prometteur, je m’attends à une symphonie de saveurs de virginias blonds et rouges. En vain. Dès les premières bouffées, je sens mes muqueuses s’assécher alors que la fumée me rappelle celle d’une cigarette. Ca jette un froid ! Petit à petit et en me concentrant, je décèle de vagues notes fruitées de virginia, mais fondamentalement c’est un tabac passablement insipide. Certes, on goûte clairement la structure dominée par l’acidité et l’amertume qui n’est pas sans rappeler le Three Nuns, mais il manque de la douceur pour arrondir le tout et de la matière pour étoffer la structure. Dans ce désert gustatif, la nicotine me pèse et, en plus, la sensation en bouche n’est pas exactement agréable. La combustion est lente, ce qui en l’occurrence n’est pas exactement un avantage, d’autant plus que l’évolution des saveurs est minimale.

Du fumage de cette herbe austère, je tire une leçon importante : si, à l’instar des maisons champenoises qui ajoutent à leurs bouteilles la fameuse liqueur d’expédition, les blenders ont l’habitude de doper au sucre leurs virginias blends soi-disant naturels, ils le font pour la meilleure des raisons : pour rendre leurs mélanges plus savoureux.

Voilà mon jugement après avoir testé le Union Square dans trois pipes différentes. D’habitude ça suffit. Mais pas cette fois-ci. L’objectivité m’oblige d’ajouter que mes fumages ultérieurs m’ont troublé : d’une pipe à l’autre, pourtant toutes réservées au virginia, mes impressions variaient sérieusement. Dans certaines, ce mélange s’avérait réellement sans intérêt, pour ne pas dire déplaisant. Dans d’autres, il était nettement plus accommodant parce que plus rond et plus évolutif, sans pour autant me combler sans réserves. Dans d’autres encore, le Union Square me rappelait par certains aspects le Three Nuns et, ma foi, me plaisait bien. Cela étant, force m’est de mentionner que Beer, mon critique favori sur Tobaccoreviews, aime bien le Union Square. Il y décèle des saveurs qui m’échappent. Peut-être que ce flake nécessite à la fois la pipe qui lui convient et un palais plus sensible que le mien.