Font-ils un tabac ? n°65

par Erwin Van Hove

16/01/17

Mac Baren, HH Acadian Perique

Commençons par un conseil. En matière de tabac, ne vous fiez jamais aux avis d’autrui. Les miens inclus. Tenez, récemment j’étais sur le point de commander du HH Acadian Perique quand je tombe dans le forum sur plusieurs commentaires négatifs : ce serait un mélange nettement trop humide et, ce qui plus est, fort décevant parce qu’insipide et ennuyeux. J’ai failli renoncer. Heureusement j’ai tout de même fini par m’offrir une boîte. Heureusement, parce qu’il s’avère que l’hygrométrie est parfaite et qu’en outre je trouve ce Mac Baren vraiment très réussi.

Ceci dit, je comprends que ce blend puisse décevoir et je crois en connaître les raisons. Avec un tabac baptisé Acadian Perique, on s’attend bien évidemment à ce que l’herbe louisianaise joue le premier violon. Or, il n’en est rien. D’une part le mélange n’en contient que 5% et d’autre part il ne s’agit pas d’un simple VA/perique dans lequel la saveur prononcée du perique l’emporte aisément sur le virginia au goût nettement moins marqué. La recette est autrement plus élaborée : virginia, burley, kentucky, orientaux, cavendish et perique. L’objectif de Mac Baren n’est donc pas de mettre en exergue le perique, mais de l’intégrer de façon harmonieuse dans une composition complexe. Et puis, n’oublions pas que même les fanas purs et durs de tabacs dit naturels sont en vérité habitués à fumer des virginias dopés au sucre, voire traités avec de flatteurs top dressings et infusions. Mais voilà que Mac Baren a voulu son Acadian Perique le plus naturel possible et s’est par conséquent abstenu de tout sucrage ou sauçage. De là, me semble-t-il, cette impression d’insipidité que certains lui reprochent.

Une symphonie de bruns et très peu de noir. D’emblée il est clair que le perique et le cavendish ont été employés avec parcimonie. C’est un ribbon cut avec pas mal de brins en grosse coupe, ce qui me plaît toujours. Le nez confirme l’impression visuelle : on sent à peine le perique. Les arômes sont discrets et harmonieux et il est difficile de définir par association des odeurs individuelles. Pour moi, ça sent le tabac. Le bon.

L’allumage terminé, ce qui frappe immédiatement, c’est l’équilibre entre la délicate douceur naturelle des virginias et les burleys secs. Tout au long du fumage ce couple uni forme une base solide, à la fois agréable sans être doucereuse et stricte sans être sévère, sur laquelle les autres ingrédients s’appuient pour s’exprimer. Et ces ingrédients, plutôt que de chercher à se démarquer, collaborent intimement pour nous livrer un feuilleté de saveurs superposées tout en nuances. Et c’est vrai, loin d’être la vedette, le perique lui aussi se met au service du bien commun. Par conséquent, les goûts me rappellent davantage le cigare que le typique VA/perique. Le résultat peut donc paraître surprenant, mais personnellement je déborde d’admiration pour la maîtrise avec laquelle l’Acadian Perique a été composé. Même quand dans le dernier tiers, les saveurs se concentrent, l’harmonie reste au rendez-vous. Par ailleurs, on retrouve le même dosage parfait côté force : ce n’est point un tabac léger, mais à aucun moment la vitamine N ne se fait pesante. Le blend a d’autres atouts encore : la combustion est très facile et régulière, alors que la fumée se montre sèche et fraîche sans aucune agressivité.

Mac Baren a voulu nous proposer un mélange pure nature et c’est exactement cela que l’entreprise danoise nous livre : un tabac qui goûte le tabac sans pour autant tomber dans le piège de la rustique simplicité. Au contraire, le HH Acadian Perique brille par son caractère nuancé grâce à sa composition élaborée et parfaitement dosée. D’accord, le nom du mélange crée des attentes que le fumage ne remplit pas, ce qui fait que les periquophiles risquent d’être déçus. Mais pour quiconque apprécie des goûts naturels et subtils, ce tabac est incontournable. Pour moi, c’est un petit chef-d’œuvre.

The Standard Tobacco Company, War Horse Green

Oserais-je ? J’ai vraiment envie de m’acquitter de ma tâche en une seule phrase assassine et basta. Mais comme j’ai fait des recherches sur ce…euh…tabac – oui, soyons indulgents et appelons ça du tabac – ce serait dommage de ne pas vous en faire profiter.

Le War Horse était confectionné en Irlande par la renommée maison Gallaher mais dans les années 80 la production a été définitivement arrêtée. Récemment la marque a été rachetée par la Standard Tobacco Company of Pennsylvania qui à son tour a vendu les droits de production et de distribution à Meier & Dutch, une filiale du Scandinavian Tobacco Group qui s’occupe effectivement de la distribution du War Horse, mais qui a confié la composition des mélanges à Russ Ouellette et la production à Lane Ltd, autre filiale du STG.

D’après ce que j’ai compris, la gamme de War Horse qui se décline en trois variantes, se pose pour objectif de produire aux Etats-Unis des tabacs qui s’inspirent des grands classiques de Gallaher comme le Condor. Et il est vrai que le beau plug carré, foncé et luisant rappelle les traditionnels plugs britanniques. Le nez fort parfumé s’inscrit lui aussi dans la lignée du St. Bruno, de l’Erinmore ou des scented Lakeland. J’y sens du massepain, des fleurs de mimosa, de la fève de tonka, une touche chocolatée et avant tout de l’anis. En découpant le bloc de tabac, on se rend compte qu’il est moins pressé qu’un authentique plug. En vérité, il se situe entre le plug et le cake et il est par conséquent facile à trancher et à transformer en brins.

Les premiers fumages sont parfaitement dégoûtants. Mais alors là, dégueu de chez dégueu. L’image mentale suscitée par ce tabac est infernale : je vois un camping où des beaufs en marcel-short-chaussettes-sandales jouent à la pétanque sur une piste improvisée, pendant que leurs écarlates caboches en sueur exhalent des mistrals de Ricard à vous assommer sur le champ un mammouth majeur et vacciné. Plus lourd et grossier que ça tu meurs.

Tenez, je vais essayer de vous donner une idée de ce qu’on perçoit comme goût. Vous me découpez un pied de fenouil que vous me mettez dans un saladier. Vous me saupoudrez ça, royalement, de graines d’anis concassées et ensuite vous me marinez le tout dans un mélange de raki, d’arak, d’ouzo, d’anisette et de pastis. N’oubliez pas d’y ajouter une bonne douzaine d’anis étoilés. Et voilà le travail. Bref, le War Horse Green réussit avec brio un spectaculaire tour de magie : abracadabra et le virginia, le burley et le kentucky ont disparu. Vous fumez donc de l’anis pur. C’est tout simplement insoutenable et il m’est donc physiquement impossible de finir ne fût-ce qu’une seule pipée. Et pourtant, je m’obstine à le faire, mais alors en étapes de moins de cinq minutes. Après deux longues soirées de torture, je laisse tomber.

Une semaine plus tard, je fais un nouvel essai. Sait-on jamais ? Surprise : c’est moins insupportable. Je décèle maintenant l’influence du kentucky sous forme de sirop d’érable et de notes grillées et je dois admettre que l’équilibre entre sucres et acides est correct. Ceci dit, fondamentalement, ça reste un mélange qui ne s’adresse qu’aux fanatiques de saveurs anisées.

Le Condor, le St Bruno ou les blends parfumés de Kendal sont certes lourdement aromatisés. N’empêche que ces arômes ajoutés n’écrasent pas les tabacs, mais au contraire les complémentent. Ce sont par conséquent des mélanges passablement complexes. Le War Horse Green de son côté est lourdaud, monochrome et très vite écœurant. Or, Ouellette et Lane ont voulu leur composition un hommage aux classiques britanniques. A leur place, je rougirais de honte. Cet hommage est une mauvaise caricature.

Gawith, Hoggarth & Co, Bright CR Flake

Question : pourquoi, nom d’une pipe, tombons-nous si souvent sur d’incompréhensibles divergences quand nous comparons les descriptifs de mélanges proposés par les pages web dédiées au tabac à pipe ? Moi, ça me dépasse. Démonstration.

Sur le site de Gawith & Hoggarth, le Bright CR Flake est tout simplement présenté comme un 100% bright virginia sans aucune aromatisation. Pas de mention de l’origine des tabacs. Par contre le texte souligne à deux reprises qu’il s’agit de saveurs de virginia naturel. Tobaccoreviews et la plupart des civettes en ligne confirment qu’il s’agit d’un tabac non aromatisé et spécifient que les bright virginias proviennent du Brésil, du Zimbabwe et du Malawi. Ce serait désormais clair et net si je ne m’étais pas demandé à quoi se réfère l’abréviation CR. Parce que soudain je trouve des infos tout autres. Smokingpipes explique que, comme le nom le suggère, le Bright CR Flake est fait avec des bright virginias non aromatisés en provenance de la Caroline, alors que Pipes&Cigars confirme cette origine mais nous réserve une surprise : le tabac est légèrement aromatisé au moyen d’un topping floral typique pour le producteur de Kendal.

Mon nez et mon palais donnent raison à Pipes&Cigars. Cela m’amène à une deuxième question : à quoi sert à Gawith & Hoggarth de diviser sa production en deux catégories, à savoir scented et unscented (parfumé ou pas), s’il arrive régulièrement que des mélanges unscented indéniablement dégagent des senteurs savonneuses ? Ça aussi, ça me dépasse.

Les flakes bruns sont étroits et très longs. Bien qu’ils ne soient pas particulièrement épais, il n’est pas facile de les réduire en brins fumables. Il faudra donc rallumer plusieurs fois pour que la combustion se mette en marche. Le nez est introverti, léger et difficile à décrire. Je l’associe à une image de fraîcheur plutôt végétale, peut-être parce que je reconnais dans le fond une touche du typique parfum Lakeland.

Les premières bouffées ne laissent plus de place au doute : le Bright CR Flake est bel et bien aromatisé. Je décèle de la sauce Kendal, mais je dois dire que cette saveur n’écrase nullement le goût des virginias particulièrement harmonieux avec une belle douceur contrebalancée par une acidité noble et avec des épices et des notes de citron agréables et bien dosées. Au cours du fumage l’aspect floral s’efface petit à petit pour donner libre cours aux épices et à une note plus boisée.

Le Bright CR Flake est un mélange velouté et plutôt léger, du moins pour un Lakeland. Il ne risque donc pas de vous assommer. Quoiqu’il soit en finesse, il ne pèche jamais par un manque de saveur. A condition de ne pas être hypersensible au parfum Lakeland, c’est un pur VA qui doit plaire aux amateurs de virginia à l’ancienne. Il prouve que les blenders de Kendal sont capables de subtilité et que leurs parfums floraux peuvent constituer un plus appréciable.