Font-ils un tabac ? n°70

par Erwin Van Hove

22/05/17

James J. Fox, Provost

Il n’y a pas si longtemps, chaque mélange Fox avait sa propre étiquette bien individuelle. Désormais toutes les boîtes portent le même autocollant neutre et tristounet. Avant, elles arboraient fièrement leur nom : James J. Fox. Maintenant, il ne reste plus que les trois lettres qui constituent le patronyme. Tout ce minimalisme jette un froid qui me fait regretter le charme des boîtes d’antan. Ce que le producteur a religieusement conservé par contre, c’est la mention London – Dublin. Or ça, c’est de la poudre aux yeux puisque depuis belle lurette James J. Fox est aussi anglais ou irlandais que Mutti Merkel. Fox, c’est Planta. Ce n’est pas exactement une bonne nouvelle, vu que personnellement, j’estime que le nom Planté siérait mieux à la manufacture berlinoise.

Voici le descriptif officiel : A sweet American Cavendish tobacco which gives fullness and body has been mellowed by the addition of choice bright Virginias to give a cool and satisfying blend. Bref, c’est du cavendish américain et du virginia blond. Et pourtant, à l’ouverture de la boîte mon pif jurerait qu’il sent également des orientaux et une pincée de latakia. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Sur Tobaccoreviews ça discute ferme : il est évident que le Provost contient des herbes orientales et celui qui a rédigé le descriptif a écrit n’importe quoi ; du tout, les virginias ont subi un traitement tel qu’on pourrait les prendre pour des orientaux ; le descriptif est correct et ceux qui distinguent du latakia confondent l’effet toasté du cavendish avec le caractère empyreumatique de l’herbe chypriote. D’ailleurs un blender renommé a disséqué le mélange et n’a trouvé aucune trace de latakia ; la présence du latakia est indéniable et d’ailleurs dans le magasin de James J. Fox, on l’a confirmé. Bref, beaucoup de théories, aucune certitude.

Et ce n’est pas fini. Le typique cavendish américain est sucré et aromatisé et fait à base de burley. Or, plusieurs dégustateurs constatent qu’il n’y a aucune trace d’arômes ajoutés et qu’en plus le Provost n’est pas particulièrement sucré. Ce serait donc du cavendish anglais, c’est-à-dire non aromatisé et fait avec du virginia. Moi, j’oscille entre les deux thèses : je serais surpris d’apprendre qu’il s’agit de burley, mais je suis certain que le cavendish est dopé au sucre.

La rondelle de papier qui couvre le tabac est trempé et je découvre donc une mixture fauve-brun-anthracite trop humide à mon goût. N’empêche que même sans séchage le tabac se consume sans problèmes. Dès les premières bouffées, le doute s’installe : se pourrait-il que mon nez se soit trompé ? Mon palais est nettement moins sûr que le mélange contienne du latakia et des orientaux. Il y a une saveur toastée plutôt que fumée et je ne suis pas en mesure de reconnaître avec certitude l’apport de tabacs turcs. En fin de compte, je n’ai plus de raisons de contredire le descriptif de Planta.

La combinaison cavendish/VA n’est pas désagréable et plutôt bien faite, mais ce n’est pas un tabac pour moi. C’est le genre de mélange qui ne peut offusquer personne, mais qui ne suscite pas non plus l’enthousiasme. L’aigre-doux et le toasté n’évoluent pas et forment un bloc gustatif monolithique qui finit par m’ennuyer. A chaque pipée, je suis content quand enfin il ne reste plus que des cendres.

Ceci dit – une fois n’est pas coutume – Planta a créé un blend respectable qui ne surchauffe pas, qui n’agresse nullement la langue, qui permet un fumage tranquille sans rallumages et qui présente un équilibre certain.

Bien fait, mais superficiel et un tantinet soporifique.

Newminster, N° 400 Superior Navy Flake

Non, il ne faut pas rougir de honte si la marque Newminster vous est inconnue. Elle n’existe que depuis quelques années et elle n’est disponible qu’outre-Atlantique. Composée de deux douzaines de tabacs à pipe, elle fait partie de l’écurie Villiger qui fait appel à Mac Baren pour la production.

Un authentique navy flake est aromatisé au rhum. Or, dans le descriptif de Villiger on lit qu’il s’agit de virginias américains, brésiliens et africains naturels, sans aromatisation. J’ai du mal à le croire parce que dès que j’ouvre l’échantillon qui m’a été envoyé, je sens une vague odeur de pralines à la liqueur. Par contre, après avoir défait un flake, je ne perçois plus qu’une odeur de bottes de foin.

Un océan de bruns parsemé de points blonds. Hygrométrie correcte. Triturage facile. C’est donc parti et d’emblée je sais que la rédaction de cet article sera une corvée : chanter les louanges d’un excellent blend, ça se fait avec enthousiasme ; sabrer impitoyablement un mélange affreux, c’est un plaisir pervers. Par contre, vous entretenir d’un tabac qui me laisse complètement indifférent, c’est vraiment pénible.

Je perçois du sirop d’érable, une note torréfiée qui me rappelle le cavendish, du poivre, du citron, du terreau dans un amalgame qui manque de franchise, de pureté et d’harmonie. Bien que le sucre se fasse sentir, des acides se mettent à assécher mes muqueuses alors qu’une fumée rêche rend ma langue rugueuse. Il me semble donc que les virginias sont trop jeunes. En cours de route rien ne change. En plus, tout ça manque de punch. Je m’ennuie à mort.

Soyons clair : il existe quantité de tabacs moins bons que le N° 400. Mais il y en a également tellement qui sont meilleurs qu’on peut qualifier ce Navy Flake de superflu. Bref, vous ne ratez rien s’il ne figure pas sur votre liste d’achats. Vendu en vrac, le N° 400 est bon marché. A raison : il fait cheap. L’emploi de l’adjectif superior me fait donc sourire. Ou plutôt rire jaune.

PS : après avoir envoyé mon article à Guillaume, je rallume une Will Purdy abandonnée la veille dans laquelle il reste une moitié de bol. Et là, soudain tout change : l’harmonie est au rendez-vous et me voilà en train de fumer un VA tout à fait respectable dans lequel les angles ont été gommés. Cela confirme ma thèse que le tabac est trop jeune. Le résultat probant de la DGT semble indiquer qu’un encavement de quelques années finira par équilibrer le mélange.

Sutliff Tobacco Company, Virginia Slices #507-C

Quoique Mac Baren ait racheté en 2013 l’entière division Tabacs à pipe d’Altadis USA, l’entreprise danoise a jugé bon de respecter la spécificité de la production américaine. La manufacture d’Altadis établie à Richmond en Virginie a donc reçu le feu vert pour continuer à élaborer sa large gamme de tabacs. Seul changement : Mac Baren a réintroduit le nom du propriétaire d’origine de la manufacture virginienne : Sutliff. A part des mélanges commercialisés en boîtes, la série Sutliff Private Stock, la Sutliff Tobacco Company propose un nombre invraisemblable de mélanges vendus exclusivement en vrac. J’en ai compté plus de deux cents. Un de ces bulks est le Virginia Slices #507-C.

100% de bright virginia maturé, pressé et coupé en flakes dans la tradition britannique. Chez Sutliff, ils sont fiers de leur VA flake. The ultimate in natural quality tobacco, qu’ils l’appellent. Un peu grandiloquent pour un simple bulk. Je suis donc sceptique.

Il est vrai que leur bright virginia a bien mûri : c’est à peine si je trouve quelques fragments blonds dans ce tabac brun qui tient plus du broken flake que du flake à proprement parler. Ils ne mentent pas non plus quand ils nous garantissent que c’est du 100% naturel : aucune trace d’aromatisation, mais au contraire un nez pure nature, introverti et terre-à-terre : du foin, de la terre, du tabac. Ca s’annonce bien, ma foi.

A peine les brins allumés, je suis de bonne humeur. Je me suis méfié à tort. Voilà du bright VA léger, simple, franc et bon. Grassy, comme disent nos amis anglophones, et citronné, ce tabac respire la fraîcheur. Même s’il y a des épices et des accents de foin et de terre, c’est avant tout cette vivacité, cette joie de vivre qui me frappent et qui m’enchantent. Non, ce n’est pas complexe pour un sou. Non, ça n’évolue pas. Non, ça ne rend pas contemplatif. C’est la première journée ensoleillée après un long hiver de grisaille quand on éprouve la joie de découvrir les premières jupes courtes dans la rue et de s’installer en terrasse devant un verre de sauvignon fruité. A ces moments-là, la vie est belle, les amis.

Je vous le dis franchement : si vous n’appréciez pas ce VA svelte et guilleret, il y a de fortes chances que vous soyez du genre amer et ronchon. Et si vous êtes du genre pingre, je vous garantis que le #507-C vous conquerra sur le champ : $4,30 les 2oz chez Pipesandcigars.com ! Qui dit mieux ?