Font-ils un tabac ? n°72

par Erwin Van Hove

17/07/17

TAK, Ralf’s Burley Cup

A plusieurs reprises je vous ai entretenu des tabacs de la civette Motzek à Kiel. Herr und Frau Motzek proposaient en effet toute une gamme de mélanges maison qu’ils avaient créés ensemble et notamment le fameux Strang-Curly qui était un petit chef-d’œuvre. Si j’en parle au passé, c’est parce que le couple a pris sa retraite et vendu son commerce.

Le nouveau propriétaire, Thomas Darasz, perpétue la tradition. Bien entendu il continue à vendre bon nombre de mélanges de ses prédécesseurs et il a même dépoussiéré plusieurs de leurs recettes délaissées. Et puis, lui-même s’est mis à élaborer une série de nouveaux blends qu’il commercialise en vrac sous la bannière TAK, c’est-à-dire Tabak aus Kiel. Par ailleurs, il travaille aussi la bruyère et vend donc dans son magasin ses propres pipes qu’il qualifie de Holzkunst, art sur bois. Un tantinet prétentieux à en juger les freehands molles et souvent difformes exhibées sur le site. (http://dein-tabak.de/index.php?cat=c11_ungefiltert-ungefiltert.html)

Le Ralf’s Burley Cup fait partie de ces nouvelles créations et a été composé à la demande de Ralf Dings, l’auteur de Jogi-wan, l’excellent blog allemand consacré à la pipe et au tabac. (http://jogi-wan.blogspot.be/) Voici le cahier de charge de Dings : un pourcentage élevé de burley, du virginia pour arrondir le tout, une coupe facile à bourrer, un goût typique de chocolat et de noisettes, un arôme de café. Sur son blog, Ralf nous chante les louanges du blend qui porte son nom. Je me demande si vraiment il est si satisfait du résultat de sa commande ou s’il s’est senti moralement obligé de rédiger un texte complaisant. Toujours est-il que moi, je ne partage nullement son enthousiasme.

65% de burley et 35% de virginias d’origine inconnue. Il faut dire que les descriptifs de Darasz brillent par leur laconique concision. Une mixture uniformément brune coupée en ribbons classiques assez humides au toucher. Un nez assez agréable qui correspond aux souhaits de Dings : des notes chocolatées, des effluves de café, des biscuits qui sortent du four aussi. Plutôt le nez d’un léger aro que d’un tabac naturel.

D’emblée il est clair que le burley de Darasz n’arrive pas à la cheville de celui dont se sert Hans Wiedemann. Oui, on retrouve le côté chocolat aux noisettes du burley, mais cette saveur est maigrichonne, d’autant plus que la note torréfiée de café lui marche sur les pieds. Mais ce qui gêne davantage, c’est l’équilibre : les sucres des virginias contrebalancent insuffisamment les acides et l’amertume. Il en résulte une fumée chétive et passablement caustique qui manque de crémeux. Mon palais n’apprécie aucunement cette sensation âpre et râpeuse.

Déjà après le premier tiers, j’en ai ma claque. Simplistes, monotones, voire un tantinet vils et vulgaires, les saveurs me barbent, alors que mes muqueuses se hérissent de plus en plus devant tant de rugueuse dureté. Pour moi, ce tabac, c’est de la camelote. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il se vend à 12,50 euros les 100 grammes seulement alors que la plupart des autres mélanges TAK coûtent entre 17 et 19 euros.

La pipe terminée, il me reste en bouche un sale et persistant arrière-goût de cendre qui n’arrange rien. Conclusion : beurk.

TAK, Old Louisiana Mixture

Voilà une belle mixture qui va du blond clair au marron et qui est composée à la fois de ribbons de virginia et de burley et de mignons petits curlies VA/perique. Il y aurait également une pincée de black cavendish, mais c’est à peine si je perçois ici et là un brin noir. Vu le nom du mélange, je m’attends à sentir du perique, mais il n’en est rien. Le nez est agréable et doux et en finesse, mais sans trace de fruits secs ou d’acidité poivrée. Elle est où la Louisiane ?

Je suis les conseils de Darasz et je bourre ma pipe en veillant à ce qu’il y ait un mélange de ribbons et de curlies. Le degré d’humidité étant parfait, l’allumage se passe sans encombres. Ben, la voilà la Louisiane. D’emblée, je sens les typiques acides et le piquant des épices, mais plutôt que de se démener et de rouler des mécaniques, ils se lovent paresseusement dans les coussins cossus de virginias dodus. Relax, le perique. Simultanément, je décèle de légères mais agréables notes chocolatées qui complètent le langoureux tableau. Franchement, je suis assez bluffé par l’élégance et l’harmonie de l’ensemble.

Petit à petit, l’acidité épicée du perique gagne en ampleur et occupe désormais le devant de la scène, sans pour autant écraser ses partenaires. Si on change graduellement de registre, l’équilibre est sauvegardé. Bien que la fumée soit peu dense, les saveurs se développent avec franchise et précision. Désormais je décèle même le subtil apport torréfié du black cav. Quant aux virginias, ils jouent leur rôle avec brio : ils enveloppent l’acidité de leur suave mollesse, sans jamais devenir douceâtres et fatigants.

Le Old Louisiana Mixture n’est pas un chef d’œuvre que tout amateur de VA/perique se doit de goûter. Mais à 17 euros les 100 grammes, ce tabac en vrac sans prétention est une surprise plus qu’agréable qui prouve que le nouveau blender allemand est d’ores et déjà en possession de tabacs de qualité et capable de nous concocter une recette finement balancée.

TAK, Sweet Curly Mixture

Cette fois-ci Thomas Darasz a opté pour une base de virginias divers qu’il a relevée au black cavendish, au perique et aux orientaux. Malgré son nom, le Sweet Curly Mixture contient moins de curlies entiers que le mélange précédent. Ce qui attire par contre immédiatement le regard, ce sont les fragments XXL de feuilles de tabac très blond. Même si c’est du plus bel effet, ma langue se méfie de tant de blondeur. Le nez ressemble à s’y méprendre à celui du Old Louisiana : introverti, fin et doux. D’emblée j’en conclus que les orientaux ne brillent pas par leur personnalité.

Quelques bouffées suffisent pour confirmer mes premières impressions : le virginia blond mordille la langue et il faut vraiment se concentrer pour reconnaître l’apport des herbes d’Orient sous forme d’un très lointain coup d’encensoir. Si la fumée est poivrée, je distingue à peine la typique saveur du perique. Reste donc un virginia blend épicé et boisé qui manque d’ampleur et de coffre. Ce n’est pas qu’il manque de virilité, mais le registre dans lequel il s’exprime est trop étroit. J’aurais souhaité une assise plus ronde et charnue et des touches fruitées ou végétales pour dérider le morose et raide couple épicé/boisé.

Par contre, le dernier tiers est marqué par une réelle évolution : les saveurs s’approfondissent, s’assombrissent et s’harmonisent. Ce n’est toujours pas grandiose, mais c’est déjà plus intéressant. Cependant, vers la fin un impur goût de cendre pollue mes muqueuses.

Le Sweet Curly Mixture contient peu de curlies et manque de douceur. Son nom est donc un leurre. Il ne me dégoûte pas, mais il ne me fait pas non plus plaisir. Bref, ce n’est ni un échec retentissant ni une réelle réussite. Il est cependant à noter que dans certaines pipes le mélange s’est montré à la fois plus doux, plus profond et plus complet.