Font-ils un tabac ? n°8

par Erwin Van Hove

30/04/12

Capstan, Original Navy Cut

L’Original Navy Cut, c’est le Capstan bleu. La version contemporaine de ce grand classique est produite au Danemark par le Scandinavian Tobacco Group sous licence d’Imperial Tobacco Limited, le producteur précédent. Il s’agit d’un pur virginia en flake discrètement saucé pour en renforcer le sucre naturel.

Ces jolis flakes fins et larges ont les dimensions de la boîte rectangulaire qui les contient. Il y a des accents blonds de lemon virginia, mais ce sont les bruns des red virginias qui dominent la composition. Ils s’émiettent sans problèmes en brins fins et souples qui rendent le bourrage extrêmement facile. Le nez est agréable et ne peut offusquer personne : un léger parfum herbeux et fruité à la fois avec une note que je qualifierais de médicinale. C’est clairement plus danois qu’anglais.

L’allumage et le fumage sont tellement commodes que même les néophytes ne peuvent pas les rater. Quant au goût, s’il ne brille pas par sa personnalité haute en couleurs, il réussit à être plaisant du début à la fin. C’est un bon virginia sans fioritures qui n’agresse nullement le palais, qui présente un bel équilibre entre sucre et acidité et qui gentiment développe ses saveurs fruitées et épicées. Pas de finale explosive, pas de kick nicotinique, mais un long fleuve tranquille de bouffées charmantes et suaves.

L’Original Navy Cut ne vise pas à devenir votre mélange de prédilection. Pour cela il lui manque du caractère. Par contre, c’est le genre de tabac que nos amis anglophones appellent an all day smoke, c’est-à-dire un tabac aimable qu’on peut fumer en toutes occasions et qui ne lasse pas. A ce titre, le Capstan bleu mérite notre respect.

Murray’s, Warrior Plug

Jadis, Murray & Sons de Belfast était une maison de confiance. Dorénavant c’est l’ogre des producteurs de tabacs à pipe, le Scandinavian Tobacco Group - encore lui - qui fait revivre certaines recettes de Murray’s, dont celle-ci : un plug composé de virginia et de burley pressés et étuvés ensemble.

De la pochette sort un petit bloc dur et compact, luisant sans être huileux, couleur tête de nègre. Il s’en dégage une odeur introvertie de pruneaux d’Agen avec quelques épices et une petite note mentholée. Pour en découper des lamelles, il faut un couteau bien aiguisé et de la force. Plutôt que d’émietter les flakes ainsi obtenus, je les coupe en cube cut. Me voilà prêt pour le fumage.

D’emblée la fumée veloutée est douce sans être sucrée avec une touche d’acidité, mais avant tout elle se montre salée. Les saveurs jouent en sourdine : je devine à nouveau des pruneaux, de la réglisse et quelque chose qui me rappelle des chaussettes sales. Chaque nouvelle bouffée répète exactement la précédente. C’est unidimensionnel et monotone et comme le tabac se consume à un rythme de limace paraplégique, c’est tellement long et barbant qu’il faut vraiment de la ténacité pour terminer le bol. Certes, vers la fin le virginia fait un effort pour se montrer plus énergique, mais comme sprint final, ce n’est pas exactement formidable.

Warrior Plug : plug du guerrier. Ah bon. Ca doit être un ancien combattant en pantoufles qui d’une voix monotone ressasse des souvenirs de faits divers sans intérêt qui se sont déroulés loin du front.

HU Tobacco, Tuarekh

Ce mélange fait partie de la nouvelle ligne Foundation by Musico. Ne vous leurrez pas : si Massimo Musico a bien voulu prêter son nom à cette série de tabacs, il n’est nullement impliqué ni dans leurs recettes ni dans leur fabrication. Une simple affaire de marketing.

Le Tuarekh se veut un Balkan blend classique. Je regrette, mais je ne suis pas d’accord. De toute évidence, avec ses 52% de latakias chypriote et syrien, ce mélange où domine visiblement le noir, ne met pas l’accent sur les tabacs orientaux.

D’ailleurs le nez et la bouche confirment : le virginia, les tabacs d’Orient et le perique sont clairement dominés par le latakia. Remarquez qu’avec ses notes fort fumées, avec son bel équilibre entre acide et sucré et avec sa fumée assez crémeuse, c’est un tabac qui doit plaire à tout amateur de latakia blends. Mais un balkan ce n’est point.

Pour moi c’est donc un mélange anglais respectable et sans défauts. Seulement voilà, il n’arrive pas à se démarquer de la masse de latakia blends réussis. Ceci dit, si vous ne disposez pas encore d’un stock de tabacs similaires, je peux sans hésiter vous recommander le Tuarekh puisqu’il déborde de goût, ne risque pas de vous assommer, garantit une combustion parfaitement stable et vous réserve une belle finale intense et épicée.

HU Tobacco, Malawi-Burley Flake

Voilà qu’à l’occasion du pipe show de Lohmar, Hans Wiedemann s’est aventuré dans l’univers des flakes. Il s’agit donc d’une édition limitée malheureusement épuisée en l’espace de quelques jours. Un franc succès que je comprends parfaitement : ce tabac est tout simplement superbe.

Ces flakes qui couvrent toute la palette des bruns, visiblement trahissent une composition complexe. D’ailleurs Hans Wiedemann est fier de sa savante et originale recette, d’autant plus qu’il n’a pas lésiné sur la qualité des ingrédients : du hand-stripped virginia en provenance des Philippines et d’Inde, c’est-à-dire des feuilles desquelles les nervures centrales ont été enlevées à la main, 10% d’un exceptionnel virginia zambien naturellement fermenté, corsé et remarquablement aromatique, 12,5% d’orientaux bulgares de la meilleure qualité et puis bien sûr 20% de burley de Malawi.

Le nez est un régal : chocolaté et légèrement fruité à la fois avec une petite note de noix de coco. Pourtant monsieur Wiedemann me garantit que son mélange n’est absolument pas aromatisé. Impressionnant.

A chaque essai je plie simplement les flakes en quatre et je les introduis dans le foyer en exerçant un mouvement circulaire. Inutile de les émietter parce que chaque fois la combustion se montre exemplaire et très lente.

Le début est très léger mais fort agréable : on retrouve clairement le chocolat ; c’est doux, mais il y a suffisamment d’acidité et de salé pour ne pas tomber dans le piège du bêtement doucereux. Et puis, après quelques minutes, petit à petit ça va crescendo et cette évolution est absolument fantastique. Les variations et permutations se succèdent et sur le fond chocolaté se développent des saveurs épicées profondes, chaleureuses, réconfortantes, pendant que la nicotine gagne nettement en force. Et ce déferlement de vagues de succulence continue comme ça jusqu’à la fin. Quelle expérience !

Messieurs dames, n’ayons pas peur des mots : nous sommes en présence d’un petit chef-d’œuvre. C’est le parfait exemple de ce qui fait un grand blend : des tabacs de qualité supérieure et un dosage mené de main de maître.

N’ayez crainte, comme tous ceux qui ont déjà dégusté le Malawi-Burley Flake en redemandent, Hans Wiedemann a décidé de l’intégrer dans sa gamme usuelle. Il se peut même qu’il introduise une version ready rubbed à un prix plus démocratique. Bref, sous peu il vous sera possible de goûter ce délice. La vie est belle.

Joseph Martin, Langue de chien

Si, si, il m’arrive d’être concis. La preuve :

• odeur : ammoniac, beurk et rebeurk

• goût : pas mal du tout

Si l’envie vous prend d’essayer un semois de chez Martin, c’est le Vieux Bohan (artfontilsuntabac6.htm) qu’il vous faut. Je le trouve plus subtil, plus complexe et plus rond que la Langue de chien.

Je vous remercie de votre attention.

PS : Ne me faites pas dire que la Baveuse de clébard n’est pas bon.