Font-ils un tabac ? n°86

par Erwin Van Hove

25/06/18

TAK, Sweet Crushed Twist

Si vous voulez savoir ce qu’est un twist, je peux vous donner une réponse toute simple : c’est la même chose qu’un rope. Si vous me demandez comment c’est fait, je peux vous le montrer : youtube.com. Si vous ignorez ce qu’est un crushed twist, vous êtes comme moi. Ce n’est qu’en examinant mon morceau de twist que je comprends la terminologie de Thomas Darasz : le rope semble comme écrasé. Crushed.

Voici le descriptif : Un procédé de cuisson spécial et complexe apporte aux divers virginias et au perique un épicé moelleux, mature et doux. Des accents terreux, des touches fruitées et une suavité de velours confèrent à ce twist une classe extraordinaire. Pas mal comme marketing. On dirait du Greg Pease ! Mais contrairement au blender américain, Darasz manque de suite dans les idées : d’une part il classe son twist dans les leicht aromatisiert et le présente comme un danois discret, d’autre part il écrit sur son site que c’est un tabac pure nature et son descriptif omet de mentionner une quelconque aromatisation. Allez comprendre.

Quoique négligemment conservé dans un sachet en plastique pendant un an, le tabac présente un taux d’humidité idéal. En découpant le twist, je découvre des strates de diverses couleurs qui confirment que Darasz s’est servi de plusieurs virginias. Une boulangerie à l’époque de Pâques. Voilà l’association que je fais à chaque fois que je hume le tabac. Ça sent le pain, les biscuits et le chocolat au lait. Des arômes fins et peu expansifs mais prometteurs.

Je transforme en brins le tabac finement tranché et c’est parti. Les premières bouffées tiennent les promesses du nez : pain chaud, pâtisserie, une touche de chocolat et derrière tout ça des saveurs sombres et terreuses. La fumée est suave sans être doucereuse et équilibrée par juste ce qu’il faut d’acide, d’amer et de salé. Les saveurs ne sont pas extraverties, elles montrent de la retenue. C’est dire que pour en découvrir la richesse, il faut fumer le Sweet Crushed Twist avec une certaine concentration.

Petit à petit, des épices se mettent à compléter le tableau. Il y a du poivre, mais également le genre de mélange d’épices qu’on trouve dans le spéculoos ou le pain d’épices. J’ai d’ailleurs appris que Darasz a effectivement incorporé des épices dans son twist. Parallèlement, le virginia se met à développer des notes aigües d’agrume. Par contre, le perique ne s’exprime pas sur les fruits secs. Comme tous les ropes, le Sweet Crushed Twist n’est pas léger, mais son taux en nicotine n’a rien à voir avec la grosse artillerie des twists en provenance du Lakeland. Arrive la finale dans laquelle les saveurs se fondent en un tout vraiment plaisant.

Avec ce rope harmonieux et complet, le blender allemand arrive à faire de la concurrence aux fabricants de Kendal. Je ne sais pas si c’est à cause du procédé de cuisson ou parce qu’ils sont d’excellente qualité, mais ses virginias sont veloutés et profonds, alors que le perique, employé comme condiment, n’a rien d’agressif. Le résultat n’est pas un tabac démonstratif qui cherche à impressionner, mais un mélange mesuré et cohérent auquel on revient toujours avec plaisir. C’est un tabac de gourmet qui prouve qu’à notre époque où nous déplorons la disparition de mélanges qui ont fait notre bonheur, il y a toujours des blenders de talent qui continuent à créer de nouvelles recettes réussies et qui, ainsi, apportent une lueur d’espoir.

Hearth & Home, Black House

Déjà avant sa sortie officielle, le Black House jouissait d’une solide réputation vu qu’au Chicago Pipe Show de 2011, il était sorti vainqueur du Balkan Sobranie Throwdown, un concours pour couronner le blend créé pour l’occasion qui se rapproche le plus possible de la légendaire 759 Mixture de la maison de Sobranie. Je vous avouerai d’emblée que ce genre d’exercice me laisse de marbre parce que le résultat est presque toujours décevant : sans recette précise et faute de matière première identique, d’un outillage d’époque et de méthodes de traitement du tabac aujourd’hui disparues, neuf fois sur dix la prétendue recréation n’est qu’un ersatz vaguement ressemblant. Je ne m'amuserai donc pas à comparer le modèle et l’imitation. Comme tout autre tabac, le Black House sera purement jugé sur ses propres mérites.

La boîte que j’ouvre date de 2012. J’aime beaucoup ce que je vois : une myriade de couleurs et de coupes diverses qui me font conclure qu’il s’agit d’une recette complexe. Vérification faite, Russ Ouellette s’est servi de virginias, de latakia chypriote, de tabacs turcs et d’autres herbes d’Orient, de kentucky et de black cavendish. Ça se confirme : c’est tout un programme. Pas de surprises côté nez : des arômes archétypiques d’un balkan bien né, générés davantage par les orientaux que par le latakia. L’hygrométrie étant parfaite, je peux me lancer sans tarder dans le bourrage.

Hearth & Home Black House

Ce qui frappe dans les toutes premières bouffées, c’est la douceur sous-jacente qui se met en place, le cavendish donnant un coup de pouce aux virginias. Et c’est un choix judicieux parce qu’immédiatement après, les orientaux arrivent sur le devant de la scène avec leur caractéristique acidité revigorante. Les saveurs empyreumatiques du latakia et du kentucky forment la toile de fond sur laquelle les orientaux s’ébattent. Le Black House est donc bel et bien un authentique balkan blend et, ce qui plus est, un balkan vraiment réussi. Ce n’est pas un poids lourd, mais un mélange élégant et fort équilibré, bourré de goût malgré une fumée un tantinet fluette. A l’âge de six ans, le tabac semble avoir atteint son apogée parce que les saveurs sont parfaitement fondues en un tout harmonieux et profondément satisfaisant dans lequel il est extrêmement difficile de reconnaître des éléments individuels. En outre, le rapport entre le sucré, l’acide, l’amer, le salé, l’épicé, le boisé et l’empyreumatique est tout simplement exemplaire.

Avec son Black House, Russ Ouellette a frappé fort. Voilà donc un autre blender contemporain qui prouve avec autorité qu’il est possible de perpétuer la tradition malgré la disparition d’ingrédients censés indispensables, tels le latakia syrien ou le yenidje. Chaudement recommandé à tout amateur de balkan blends.

John Patton, Moe’s Confetti

A la grande époque de la pipe, l’équivalent américain de l’Amsterdamer et du cube de gris, c’était les drugstore ou encore OTC (over the counter) blends, c’est-à-dire des tabacs populaires parce que bon marché et disponibles partout. A peu près tous ces mélanges, dont certains tels le Half & Half, le Carter Hall, le Prince Albert ou le Sir Walter Raleigh jouissaient d’une renommée internationale, étaient produits selon la même formule : une composition dominée par le burley et une aromatisation servant à agrémenter le burley plutôt qu’à le dénaturer.

Vu le succès commercial de ce genre de mélange, une série de PME américaines comme Cornell & Diehl, Hearth & Home, Uhle’s, Peretti, Pipesandcigars ou Wilke se sont précipitées sur ce créneau en proposant à la clientèle des alternatives non seulement valables, mais souvent de qualité supérieure. C’est également le cas de Rich Gottlieb, le propriétaire de 4noggins, qui s’est associé à John Patton, blender retraité épris de burley, pour développer une série de mélanges vendus en vrac, dont deux burley blends à l’ancienne, très bien cotés sur Tobaccoreviews. J’ai déjà dit tout le bien que je pense du Storm Front (artfontilsuntabac11.htm). Maintenant c’est le tour du Moe’s Confetti.

Il s’agit d’un mélange de divers burleys et rien d’autre, ce qui fait qu’on ne sort pas des teintes brunes. Le nez me rappelle immédiatement le Bounty et des pralines au rhum, mais sous cette aromatisation qui saute au nez, je décèle l’arôme du bon burley sans chichi tel qu’on le retrouve également dans le Nut Brown Burley de Carole Burns (Wilke Pipe Tobacco) ou dans le Scotty’s Butternut Burley de Scott Bendett (Pipesandcigars.com). Personnellement, je préfère des odeurs plus naturelles, mais je dois dire que l’aromatisation n’a rien d’écœurant et qu’elle s’harmonise bien avec le tabac.

L’hygrométrie parfaite permet un bourrage immédiat. John Patton recommande de fumer son mélange dans une corn cob, mais il faut savoir qu’il est considéré comme le plus grand défenseur au monde de la roturière pipe en maïs. Ceci dit, il n’a pas tort. J’ai moi-même constaté que c’est dans ma reverse calabash corn cob de Bruno Nuttens que le Moe’s Confetti se sent le plus à l’aise.

Pas de préambules. Le tabac exprime d’emblée son essence : des notes cacaotées, de la noisette et de la noix de coco, du poivre, du sirop de candi, une certaine amertume. Et bien sûr des saveurs de good ol’ burley simple et honnête. Ce n’est pas complexe, ce n’est pas raffiné, ce n’est pas évolutif, ça ne demande pas une attention constante, ça produit imperturbablement une vague de goût franc, ça se consume sans problèmes. C’est du fast food fait tabac. Mais bien fait. C’est le tabac parfait pour faire du jardinage ou pour prendre en terrasse le café avec une bande de copains.

Certes, le Moe’s Confetti n’est pas un grand tabac, mais de temps à autre, nous avons tous besoin de plaisirs simples. Alors, ne vous gênez pas et essayez-le sans complexes. Ceci dit, si vous hésitez entre celui-ci et le Storm Front, choisissez ce dernier, sauf si vous préférez les aros.