Font-ils un tabac ? n°99

par Erwin Van Hove

12/08/19

Cornell & Diehl, Burley Flake #1

En juillet 2015, quand je vous ai présenté le #3 (artfontilsuntabac45), la gamme des burley flakes de C&D se déclinait en quatre variantes. Désormais il y en a cinq.

L’épine dorsale du #1, c’est du dark burley qui est enrichi de red virginia et d’une pincée de perique. Ce n’est pas un flake à proprement parler, mais un broken flake ou mieux encore un flake coupé, vu l’uniformité des lamelles. Au toucher le tabac est juste parfait : souple mais absolument pas humide.

Si les couleurs du mélange sont monochromes, par contre le nez vibre de senteurs diverses : noisette, cacahouète, engrais, cèpe, cube bouillon, acides volatiles et une odeur de comté qui disparaît sous l’effet de l’oxygène. Il faut aimer et moi, j’aime.

Comme les fragments de tabacs sont fins, je les bourre tels quels, sans aucune manipulation préalable. D’emblée je me régale : voilà d’excellents tabacs dosés de main de maître. Le red virginia se fait très discret et se borne à gommer les aspérités du typique burley austère de C&D. Il laisse le devant de la scène au couple burley/perique dont la combinaison de saveurs terreuses, moisies et épicées marche à merveille. C’est en tous points un tabac d’homme : puissant, franc, rustique et sec, sans fioritures. Par ailleurs, il me rappelle le goût d’un cigare shortfiller.

Le taux en vitamine N étant élevé, ce n’est pas un mélange pour pantouflards. Par contre, la fumée n’a strictement rien d’agressif et la combustion exemplaire convient au fumeur débutant. Vu sa force et son caractère bourru, ce n’est pas exactement un all day smoke, mais pour accompagner votre promenade automnale à travers forêt, le Burley Flake #1 me paraît assez idéal. Une bonne dose d’air pur ne sera pas de refus pour amortir le choc nicotinique. A consommer calmement et avec modération quand vous prend l’envie d’un authentique burley blend droit et intransigeant.

HU-Tobacco, Haymaker

Du virginia et rien que du virginia. De trois provenances : l’Inde, les Philippines et le Brésil. Le nom du mélange comme le graphisme des anciennes et des nouvelles boîtes ne laissent aucune place au doute : avec ce tabac on est en plein dans le thème du foin. Vous comprendrez donc qu’après avoir ouvert une boîte encavée pendant trois ans, je me sens déconcerté : plutôt que des couleurs blondes, dorées et fauves, je retrouve des flakes dominés par les bruns et plutôt que des odeurs d’herbe séchée, je détecte des arômes de pâte de tamarin, de concentré de tomate, de figues sèches et une odeur boisée. Il est où, le foin ? Et bien, il se cachait, le bougre. Parce que quelques jours plus tard, le voilà. Et dans toute sa splendeur, parce qu’il faut le dire : ça sent vraiment bon. Oubliez le tamarin et la tomate. Désormais, le Haymaker dégage une odeur de bon vieux VA sans chichi qui ne m’inspire pas de verbeuses descriptions, mais qui me met immédiatement en appétit.

Les larges flakes ne sont pas trop humides et se transforment aisément en broken flakes souples et bourrables. Voilà que, déjà, j’allume. Et qu’immédiatement je retrouve un vieil ami. Le genre d’ami que j’apprécie particulièrement : ni grandiloquent ni cabotin ni ostentatoire, mais au contraire discret, simple et authentique. Et chaleureux.

J’estime que dans l’univers des virginias blends, il y a deux écoles bien distinctes. L’une fait subir aux tabacs des traitements qui en dénaturent les goûts premiers avec pour objectif d’obtenir des saveurs plus intenses et plus spéciales. Ces blenders-là cherchent à sublimer le virginia et à lui imposer un style maison. C’était clairement le cas de McClelland et c’est ce que font les manufactures de Kendal depuis deux siècles. L’autre école est à la fois moins ambitieuse et plus respectueuse de la matière première : même si le recours à des artifices et à des adjuvants n’est nullement exclu, l’objectif est de produire des mélanges qui mettent en exergue les archétypiques saveurs naturelles du virginia : herbe sèche, pain, fruité. Aussi respectable que puisse être cette approche, elle comporte un risque non négligeable : les résultats sont trop souvent médiocres, anodins et interchangeables, vu que bon nombre de ce genre de mélanges manquent de personnalité. Ceci dit, cette approche a également produit de réelles réussites devenues des classiques. Pensez au Capstan par exemple.

Pourquoi cette longue parenthèse ? Parce que pour parler à bon escient du Haymaker, j’en avais besoin. Pour pouvoir vous expliquer que pour moi, le Haymaker illustre à merveille l’approche de la deuxième école. Il prouve en effet avec autorité que cette méthode est capable de belles réussites, voire qu’il a tout pour devenir un classique du genre.

Le Haymaker n’est ni impressionnant, ni inoubliable. Ce n’est pas un virginia de McClelland. Et pourtant le Haymaker est impressionnant et inoubliable quand on en compare les qualités avec celles des autres mélanges dans sa catégorie. J’ose être très clair à ce sujet : dans son genre, le Haymaker est l’un des tout meilleurs blends que je connaisse. Sa structure irréprochable, sa puissance parfaitement dosée, sa combustion exemplaire, sa nature bon enfant qui fiche la paix à votre langue, mais surtout ses saveurs de VA classique remarquablement bien rendues et sa constante évolutivité où foin, pain et fruité tels des derviches tournoient les uns autour des autres, font du Haymaker un petit chef-d’œuvre.

Ilsteds Own, Golden Flake

Bizarre, cette orthographe. Pourquoi ne pas respecter la grammaire anglaise et écrire Ilsted’s Own ? Je sais, vous vous en moquez comme de l’an quarante, vous. Mais moi, je n’y peux rien, je n’y arrive pas. L’an quarante m’intéresse. Je vous avouerai même que ma première chemise me semble digne d’intérêt. Et la vôtre bien sûr.

Des digressions de ce genre n’arrangent rien quand on s’est posé pour but de disséquer du mieux qu’on peut un tabac. Ça distrait. Tenez, si après quelques recherches en ligne, j’ai fini par comprendre que le nom de la marque n’est pas Ilsteds Own mais tout simplement Ilsted et que la gamme entière porte la mention Own Mixture, généralement suivi d’un numéro, j’ai bêtement oublié de noter mes impressions olfactives à l’ouverture de la boîte. Mea culpa. Et le pire, c’est que le résultat de mes recherches non seulement n’explique en rien l’absence d’une apostrophe, il suscite au contraire de nouvelles interrogations : pourquoi est-ce que K&K n’écrit pas sur ses étiquettes Ilsted et en dessous Own Mixture ? Allez savoir.

Mais revenons à nos oignons. Je sursaute en lisant la composition du Golden Flake : des virginias blonds et oranges aromatisés au miel et à l’orange. Qu’est-ce qui m’a pris d’acheter ça ? J’ai dû me laisser guider par le score quatre étoiles sur Tobaccoreviews. Espérons que je ne regretterai pas ce soudain accès de confiance.

Le Golden Flake n’est pas golden. Bien sûr il y a dans les flakes larges des tons blonds et fauves, mais, contrairement à ce qu’on voit sur la photo, ce sont les bruns qui dominent. Même sans notes écrites, je me rappelle que je jugeais le nez agréable et que si les odeurs de miel et d’orange étaient perceptibles, elles se limitaient à un rôle de condiment. Fondamentalement, c’était un nez de virginia dans les tons citronnés. Une bonne semaine après l’ouverture, je constate une nette évolution : désormais je sens un virginia que je jurerais être naturel, plutôt sur le foin et la terre que sur le fruit.

Pareil au fumage : je me souviens que la première pipée mettait en exergue des saveurs d’orange sans pour autant verser dans le fruité caricatural des vrais aros, alors qu’une semaine plus tard je découvre un virginia légèrement mielleux, mais qui pour le reste s’exprime comme tout virginia blond sur un mélange d’herbe et de citron. C’est donc le genre de mélange qui rappelle le Golden Sliced d’Orlik. Et tout comme ce classique, le Golden Flake me déçoit. Non pas parce qu’objectivement parlant il serait mal ficelé, mais parce que personnellement je n’ai jamais été fan de ce genre de VA doré. Ça se laisse fumer, ce n’est pas mauvais, mais ça reste superficiel et facile. Ça finit toujours par me barber.

Et pourtant j’admets que les saveurs évoluent. Mais pas de façon positive : en se retirant dans le fond, l’assise mielleuse fait place à une note amère que je n’apprécie pas et qui mine l’équilibre du début. C’est le triste sort d’une multitude de mélanges aromatisés. Ceci dit, dans le dernier tiers, la fumée devient plus compacte et gagne en profondeur avec des saveurs qui s’intensifient et qui s’harmonisent mieux. Ce n’est certes pas le feu d’artifice, mais c’est moins anodin.

Le Golden Flake se consume sans encombres, ne mord pas la langue, n’est ni puissant ni faiblard. Il est gentiment épicé, légèrement fruité, moyennement herbeux et terreux. Et par conséquent, c’est un tabac qui ne dégoûtera personne. De là à enthousiasmer…
Des mélanges pareils, il y en a treize à la douzaine. Le Golden Flake, c’est la blondinette d’à côté qui est loin d’être moche mais qui n’a pas ce qu’il faut pour vous enflammer pour de vrai.