Questions sur la bruyère

Lucien Georges répond aux questions des membres du groupe FdP

18/11/09

Cher Lucien,

Merci tout d'abord d'avoir pris la peine de répondre si gentiment à nos questions. Avoir enfin l'avis d'un coupeur doublé d'un pipier était pour nous une occasion à ne pas laisser passer. Il n'est pas impossible d'ailleurs que tes réponses amènent d'autres questions, ce sera peut-être à suivre.

Où as-tu coupé de la bruyère, de quand à quand, et d'où venait-elle ?

En Corse, dans la fabrique d’ébauchons dont j’étais propriétaire, la Riviera Briar Pipe, qui appartenait à mon grand-père et que j’ai remis en route après 20 ans de sommeil. En réalité je n’avais pas le temps de me consacrer à la découpe car il fallait gérer l’entreprise (25 employés), et surtout faire de la prospection en forêt, la qualité de l’approvisionnement en racines de bruyère étant la base de toute fabrication. Il n’y a pas de droit à l’erreur : si la matière première est bonne, c’est la réussite, si elle est mauvaise, c’est la faillite.

De 1964 à 1975,date de la fermeture de ma fabrique d’ébauchons. Par la suite, ayant appris la fabrication de pipes, j’ai coupé de la bruyère pour mon propre compte.

De Corse, uniquement. De toutes les régions et micro-régions de Corse.

Une question me vient, qui peut sembler "bateau", mais qui pourra éclairer les néophytes : quelle est la différence entre un ébauchon et un plateau ?

Il y a 2 catégories d’ébauchons simples qui sont les Marseillaises et les Relevés. La marseillaise est un ébauchon "ouvert" destiné à la fabrication de pipes droites. Le relevé est un ébauchon "fermé", quasiment rectangulaire, lequel renversé, est destiné à la fabrication des pipes courbes et demi courbes. Le plateau est un ébauchon relevé avec la croute naturelle de la racine de bruyère sur toute sa partie supérieure. Généralement, il est destinés aux artisans, qui peuvent le travailler suivant leur inspiration en fonction de son veinage. Comme c’est un ébauchon "plein", toutes les formes de pipes sont possible. De toute façon, un plateau est un ébauchon.

Pourrais-tu décrire les différentes étapes depuis la livraison des racines jusqu'à l'ébauchon, dans l'ordre chronologique ?

En premier lieu la prospection et la localisation du maquis à exploiter. Puis l’arrachage des racines, généralement pratiqué par quelques spécialistes dans les régions sélectionnées, ou par quelques autres spécialistes directement rattachés à l’entreprise en vue d’assurer un approvisionnement minimum. L’arrachage de chaque jour doit être immédiatement enterré ou recouvert de fougères et de sacs en jute humides car les souches ne doivent pas être exposées au vent, au gel, ou même à l’air libre sous peine de sécher, de se fendre, et d’être inutilisables. Lorsque la quantité amassée en bordure de route est suffisante (1 ou plusieurs tonnes), un transporteur les achemine toujours humides vers la fabrique qui les entrepose dans des caves et les arroser plus ou moins selon la saison avant de les débiter. Une racine (ou souche) de bruyère se débite toujours verte et humide. Avant d’arriver sur le banc des scieurs (découpeurs) on doit procéder à une dernière vérification en dessous de la souche pour la débarrasser de tous les petits cailloux restants. Cette opération s’appelle piquettage. Les souches doivent être débitées "propres" pour éviter l’affutage trop répété des scies. C’est à ce moment qu’intervient le travail du scieur, qui est un grand spécialiste, son travail consistant en une recherche permanente du meilleur grain afin d’en tirer un maximum d’ébauchons de 1ere qualité. Pour simplifier disons qu’il faut éliminer le mauvais bois et garder le bon, mais ce n’est pas aussi enfantin que cela, car à l’intérieur de la souche, tous les bois et tous les défauts sont plus ou moins enchevêtrés et "soudés" les uns aux autres. Le scieur effectue un premier tri par qualité et dimensions en cours de découpage. Voilà l’ébauchon "frais" terminé. Il doit ensuite être jeté avec le reste de la production journalière dans une cuve en cuivre remplie d’eau, puis étuvé (bouilli) pendant 12 heures. Sorti de la cuve d’étuvage à eau tiède, il doit reposer 1 ou 2 jours pour un premier séchage sommaire, puis trié et mesuré pièce par pièce (longueur, largeur, hauteur)par un choisisseur avant de sécher pendant 1,3,ou 6 mois, selon l’exigence du fabricant, pour être vendu dans des sacs appelés balles.

Quel âge aura l'ébauchon (par rapport à la date de livraison de la racine qui le contenait) ?

1,3,ou 6 mois à partir de la date d’arrivée à la fabrique. 1 à 3 mois de plus si l’on tient compte de l’arrachage en forêt et du stockage.

Combien de temps met un ébauchon de taille moyenne avant que son hygrométrie n'équivaille celle de son environnement ?

Les uns disent 6 à 8 mois, les autres 1 an. A mon sens ils ne sont pas complètement secs, car normalement le temps de séchage du bois vert est de 1cm par an. Etant donné que la largeur moyenne d’un ébauchon est de 4 à 5cm, il faudrait environ 4 ans, mais il faut tenir compte du fait que ce bois à été étuvé, donc qu’il sèche plus vite, ce qui me fait dire qu’un ébauchon n’est vraiment sec qu’au bout de 2 ans. A ce moment là, il reprendra l’humidité ambiante tout en étant complètement sec. Ceci dit, on peut toujours fabriquer une pipe après 6 mois de séchage, ce que font beaucoup de fabricants, mais attention aux surprises : tuyau qui se met a flotter, rétractations de surface, mauvais gout, mauvais tirage, bois qui fini de "cracher" son humidité, etc. …

Quelle est l'hygrométrie cible pour que l'ébauchon soit considéré comme étant "sec" ?

Le temps. Je n’ai jamais mesuré l’hygrométrie à l’intérieur d’un ébauchon, mais il y a un signe lorsqu’on le tourne, notamment en creusant le foyer : aucune condensation ne doit se voir à l’extérieur de la pièce en cours de tournage. L’ébauchon est vraiment sec à ce moment là et non 6 mois après avoir été débité. Il existe aussi des séchages "accélérés" dans des fours ventilés (20 jours environ).C’est une pratique pour amortir rapidement le stock. Le pourcentage de rebus ou fendus est largement supérieur à celui d’un séchage naturel. Attention aux surprises !

Est-ce que tu as remarqué des différences d'odeur entre les différentes racines au moment de la découpe? Si oui, peux-tu les décrire sommairement ?

Difficile de déterminer des odeurs entre une racine et l’autre car c’est l’odeur générale de la bruyère qui prédomine. Par contre il y a une différence d’odeur entre une souche coupée fraiche (peu de temps après l’arrachage), et une autre ayant séjourné 1 à 3 mois dans les caves, laquelle dégage une odeur d’humidité très prononcée. Lors du sciage l’odeur est un peu plus prononcée lorsqu’on découpe une souche âgée (plus de 50 ans) qu’une souche jeune (25 à 30 ans), le consistance de la racine âgée étant plus importante (bois rouge) en opposition à la souche jeune plus tendre (bois orangé).

Pour la petite histoire, comme je baignais dans l’odeur de la bruyère, ce qui m’intéressait le plus étant la qualité des ébauchons, je reconnaissais les très bonnes coupes les yeux fermés ‘au bruit" que faisais la scie en découpant la racine. Voilà une sensation très subtile qui n’est pas une blague.

En supposant que la bruyère provenait de différents endroits, est-ce que tu as connaissance des provenances des différentes racines et peux lier une odeur (ou une apparence) à une origine géographique ?

Il m’est arrivé d’avoir plus de 200 tonnes de souches dans mes caves en provenance de tous les recoins de Corse. De plus, tout était plus ou moins mélangé, certaines livraisons étant d’1 tonne ou 2, d'autres de 5 ou 10 tonnes. Impossible de reconnaitre l’odeur d’un terroir dans ce cas. Par contre, au cours des sciages je pouvais retrouver les zones d’extraction et les remémorer en fonction des qualités débitées à un moment donné. Selon la couleur de la bruyère ,la taille des souches, et le rendement, j’arrivais à reconnaitre la provenance exacte. C’était important pour y retourner en cas de réussite. Pour ce qui est de l’apparence extérieure de la souche, celle arrachée dans les terrains alluviaux et sablonneux a une forme beaucoup plus régulière que celle arrachée dans les terrains plutôt secs ou en montagne. Cependant, la souche extraite en "plaine" est plus sujette aux parasites (donc aux défauts) que celle extraite en montagne, mais quand elle est de bonne qualité, quel bonheur ! La prospection est essentielle, elle se fait aussi à l’intuition, c’est un peu comme un bon marin qui sait "sentir" venir le vent. Il y a aussi l’exposition qui entre en ligne de compte. Tout cela est une question de "feeling" et de connaissances plutôt pointues dans ce domaine.

Aux dires de plusieurs coupeurs et d'une série de pipiers, il est impossible de déterminer l'origine d'une bruyère en se fiant au goût d'une pipe. Or, je connais certains collectionneurs qui prétendent qu'ils arrivent à déterminer l'origine d'un ébauchon en se basant sur le goût du produit final. Quelle est votre opinion là-dessus ? Comment se fait-il que des ébauchons envoyés à BC par exemple et dont une partie est tournée et finie chez BC, alors qu'une autre partie est également tournée chez BC mais montée et finie chez Dunhill par exemple, finissent par avoir des goûts distincts ?

Je ne suis pas un fumeur de pipes averti, mais à mon avis il est très difficile de reconnaitre l’origine exacte d’une bruyère en fumant la pipe tout simplement parce que les industriels utilisent des bruyères de provenances différentes qui sont mélangées lors du tournage, ce qui fait que par exemple, pour 1 seul modèle N° 150 la 10eme pipe produite sera en bruyère Corse, la 11ieme Italienne, la 12ème Grecque, etc. ….Le fabricant lui-même perd cette trace, alors je ne crois vraiment pas que le fumeur puisse la retrouver. Pour les artisans, il faut se fier à leur bonne foi, mais certains affirment encore aujourd’hui qu’ils utilisent de la bruyère Corse alors qu’il n’y a plus un seul ébauchon produit dans l’ile. Ce mystère est aussi gros que celui des ovni ! Votre réponse au sujet du mélange des marques (en plus) illustre parfaitement ce débat. Par contre, il est relativement possible de déterminer l’origine d’un ébauchon en étudiant la texture et son grain en examinant l’ensemble d’une fabrication.

Est-il à votre avis vrai que la bruyère d'antan avait des qualités gustatives supérieures à la bruyère contemporaine ? Si oui, comment ça se fait ?

Je ne vois vraiment pas pourquoi la bruyère d’antan aurait d’autres qualités gustatives que celle d’aujourd’hui. La seule explication étant qu’à l’heure actuelle on ne respecte plus les délais de séchage. De plus, il est encore possible aujourd’hui de trouver des souches vieilles de 300 ans, bien avant que la pipe en bruyère ne soit "inventée". Cela pourrait donner des idées à quelques farfelus !

Un pipier comme le Canadien Julius Vesz prétend que ses pipes ont des qualités gustatives incomparables parce qu'il travaille avec ce qu'il appelle "de la bruyère morte", c'est-à-dire de la bruyère qui était morte au moment de la récolte. Raconte-t-il n'importe quoi ou est-ce possible ?

Oui, Julius Vesz raconte n’importe quoi. Il n’est pas besoin d’être spécialiste pour constater sur son site que ses bruyères sont bel et bien "vivantes" puisqu’il s’agit de pipes fabriquées avec des ébauchons tout à fait normaux , de qualité médiocre, lesquels sont peut être vieux de 40 ou 50 ans, mais rien de plus. J’en parle en connaissance de cause puisque moi-même je n’utilise que des ébauchons secs depuis 10 ans et plus dans ma fabrication, en précisant qu’il s’agit d’ébauchons étuvés, opération indispensable dans l’industrie mondiale de la pipe, comme dans l’artisanat..

Il prétend acheter des souches de bruyère morte extrêmement rares en Méditerranée. Ceci est impossible, car chacun sait qu’un bois mort, si dur soit-il, pourrit en peu de temps à l’air libre, la souche morte "enterrée" laissant toujours apparaitre un rejet quelconque sans quoi elle serait invisible. Il n’y a pas d’exception. Pour la rareté, je dirai qu’en 50 ans d’expérience "bruyère" et 100 ans de tradition familiale dans ce domaine, je n’ai jamais entendu un seul mot traitant de la vente comme de l’utilisation de bruyère "morte". C’est tellement rare que ça n’existe pas ! Puis Vesz reviens très vite sur une utilisation d’ébauchons secs, ce qui me parait plus "terrestre", et qui l’éloigne de sa fabrication de "morta" qui est un bois mort fossilisé de couleur noire ou gris anthracite. Je n’insisterai pas sur le prix "sidéral" de certaines de ces pipes fabriquées avec des ébauchons qui coutent une bouchée de pain. Amis fumeurs de pipes, restons sur terre la bruyère "vivante" est si jolie !

Plusieurs pipiers prétendent qu'ils sont capables de prédire la qualité gustative d'un ébauchon en se fiant à l'odeur qu'il produit pendant qu'ils le travaillent. Est-ce également votre expérience ? J'ajoute : dans son guide de la pipe Pierre Sabbagh parle de confier la racine de bruyère à un endroit relativement humide, soit qu'on l'enterre à nouveau , soit qu'on la recouvre de branchages que l'on arrose à intervalles réguliers. Que fait-on de nos jours ?

Je trouve que la bruyère sèche dégage une senteur "chaude". La bruyère ne bonifie pas après l’arrachage mais elle finit par se pourrir après un séjour trop prolongé à l’humidité , celui qui fabrique des ébauchons dans ces conditions aura un très fort pourcentage de fendus, et les pipes auront aussi très mauvais gout. Pierre Sabbagh voulait sans doute parler du commencement de l’exploitation de la bruyère et non de la fin.

La bruyère corse : Beaucoup de pipier en font un argument de vente. En relation avec le nombre de bruyère sorties de Corse, savez-vous s'il est possible qu'actuellement, des pipes neuves soient proposées à la vente, avec la mention bruyère corse (garantie) ?

Il n’y a plus 1 seul ébauchon produit en Corse depuis 3 ans environ. Tout cela est de la fantaisie, du pipeau, n’importe quoi, ainsi qu’une publicité mensongère car de 1975/1980 à 2005/2006 il n’existait plus qu’1 seul scieur dont la production était destinée à 1 seul grand fabricant Français et quelques centaines de pièces au Danemark. Sa production a fait des "petits" car ce ne sont pas 2 ou 3 fabricants qui l’ont revendiquée mais une centaine ! Bien entendu, il sera toujours possible de trouver quelques ébauchons Corses dans une fabrique ou un atelier. C’est l’histoire du pâté de merles dosé à 50/50 : 1 cheval/1 merle ! Moralité de l’histoire : si il vous reste 1 ébauchon Corse, conservez le…

Les pipiers désirent des plateaux qui ont séché pendant plusieurs années, les industries se contentent de quelques mois, beaucoup de plateaux transitent chaque jour de cette époque comprenant un florilège de nouveaux pipiers. Comment arrive-t-on à contenter tout le monde ? Le renouvellement de plants arrive-t-il à se faire ? Ou faut-il s'attendre à une pénurie dans le futur ? Pourra-t-on encore se permettre de stocker des plateaux des années durant ?

Il y a plateaux et plateaux. A l’origine un plateau était un gros ébauchon de très bonne qualité, et de préférence flammé, avec la croute naturelle de la bruyère sur sa partie supérieure. C’était un ébauchon rare et très recherché. Aujourd’hui, tous le monde réclame des plateaux, et si l’on continue ainsi, pratiquement tous les ébauchons s’appelleront plateaux dans peu de temps. Sauf que pour fabriquer un vrai plateau il faut trouver de très bonnes souches et savoir le débiter comme il se doit, sans quoi on aura pour résultat un ébauchon de qualité tout à fait courante ou carrément mauvais. C’est précisément ce qu’il va arriver. Il y aura pénurie de beaux plateaux, et les ébauchons seront de qualité de plus en plus médiocre. A moins que…

Une grande question avait été posée, à savoir si une pipe non-fumée se bonifiait-elle dans le temps. Nombre d'expert estime que passé le stade de séchage "optimal" (je dirai quelques années), l'hygrométrie de la bruyère se stabilise et tout séchage supplémentaire est superflu. Quel est votre avis sur la question ?

Les avis sont partagés, mais je dirais à demi mots que le temps favorise la bonification.

La reprise d'une production de bruyère en Corse serait-elle possible, et dans quelles conditions ?

Question énormissime. C’est un sujet trop compliqué qui doit être traité à part. Je ne peux vraiment pas y répondre en quelques lignes. Ce serait malhonnête de ma part et complètement bâclé car il y a une multitude de raisons à cette cessation d’activité en Corse comme à la difficulté actuelle de la remettre en route. De l’avis de tous les pipiers, ce serait véritablement le rêve, mais avant de parler d’un redémarrage, il faudrait leur demander pourquoi ils ont tué la poule aux œufs d’or en laissant tomber la Corse. Je ne veux pas évoquer mon cas qui pourrait laisser supposer que je suis juge et partie, mais le dernier scieur en date, me disait qu’il avait d’énormes difficultés pour écouler sa petite production juste avant la fermeture de sa fabrique. Alors, pour la reprise, et pour le moment, le rêve est encore bien loin de la réalité.

Enfin, il a été question dernièrement de bruyère algérienne, voici les échanges à ce sujet :

La bruyère Algérienne est toujours utilisée par les pipiers dans le monde entier. Il reste deux grands vendeurs en Algérie : Bourenane et Belaouane (pardon pour les écritures).

Je ne connais ni l’un, ni l'autre, ni leurs capacités de production. Ce que je sais, c’est que la bruyère Nord Africaine est de qualité médiocre. Les pipiers se servent ou ils peuvent : Maroc, Algérie, Tunisie, Grèce, Italie, Espagne, mais, généralement (sauf Algérie ?), les productions étant plutôt faibles, c’est une bataille acharnée pour décrocher les meilleurs fournisseurs.

A l'origine ces familles sont plus spécialisées dans l'exploitation du liège, mais reviennent à la bruyère depuis des années à cause des chutes d'activité d'autres exploitants plus traditionnels comme la Corse, l'Espagne ou la Grèce.

L’exploitation liège-bruyère a toujours existé car on trouve de la bruyère sous les chênes liège, mais il faut choisir, car si l’on veut véritablement exploiter le liège, il faut dégager les arbres pour faciliter leur développement, l’accès, la coupe, et donc couper la bruyère qui se trouve en dessous, presque toujours sans en extraire les racines. Ceci dit, cette double exploitation ne représente que 5 à 10% car l’exploitation de la bruyère pour pipes se fait dans le maquis traditionnel.

Mais la qualité du bois Algérien et Marocain étant très médiocre, les rendements sont réellement désastreux !! De plus en plus, tout le monde se réfugie vers l'Italie, qui donne de meilleurs résultats, et surtout moins de pertes question qualité du bois.

Rendements peut être désastreux, mais surtout qualité médiocre, et sans doute manque de savoir faire car j’ai vu des ébauchons qui ressemblaient à des morceaux de bois coupés en vrac. Pour ce qui est de l’Italie, les "gisements" de bruyère sont en voie d’extinction depuis longtemps. Cependant, la bruyère Italienne est meilleure que la Nord Africaine, mais la grande différence réside surtout dans le fait que les Italiens ont une histoire pipière très importante, ce qui n’empêchait pas le plus grand fabricant Italien de venir s’approvisionner en Corse pour ses séries de prestige.

Ce n'est qu'un constat personnel, mais la filière bruyère demande un suivi pointu en ce qui concerne le "replantage et la préservation du milieu". Quand les endroits d'origine ont étés dépouillés, il faut un certain moment pour refaire le stock !!

On ne peut pas replanter la variété de bruyère qui sert à fabriquer des ébauchons, celle-ci se reproduisant à l’état naturel et seulement de cette façon. Il s’agit de l’erica arborea qui appartient à la famille des éricacées (attention, je ne suis pas un scientifique) qui est une plante xérophile, c'est-à-dire une plante adaptée aux terrains secs qui va chercher eau et humidité en profondeur pour s’alimenter. Il existe une bonne dizaine de variétés de bruyères en France (Bretagne, Landes), probablement encore d’autres variétés dans le monde puisqu’on trouve de la bruyère en Irlande, Ecosse, Pérou, Tanzanie, et sans doute dans d’autres pays. Ces variétés de bruyères (tout au moins pour les Françaises) appartiennent à la famille des bruyères cendrées que l’on peut replanter pour en faire des massifs décoratifs .L’erica arborea (bruyère à "pipes") ne pousse que sur les pourtours du bassin Méditerranéen, et cela sur une frange littorale large de 60 à 100 Km maximum, ce qui limite considérablement le champ d’exploitation.

Pour la préservation du milieu, il n’existe aucun critère, aucune norme d’exploitation (ce qui serait possible), chacun exploitant le gisement "trouvé" à sa façon, c'est-à-dire l’utilisation maximum des ressources . Il faut ajouter à cela l’importance de plus en plus inquiétante des incendies qui, en calcinant l’arbre sans le tuer complètement, font éclater les souches les rendant inutilisables.

Il faudrait 40 à 50 ans pour qu’une forêt de bruyère redevienne exploitable dans des conditions normales, de façon à ce que chaque souche soit assez grosse pour produire 5 ou 6 ébauchons en moyenne (certaines ne donnant rien pour cause de parasites). Certains prétendent que 20 ans suffisent, ce qui est vrai pour fabriquer 1 ou 2 ébauchons, mais dans ces conditions le cercle infernal de la surexploitation reprend ses droits.

Est-ce parce que la qualité de la bruyère est désastreuse - ce qui me surprendrait, au début du 20ème elle était plutôt courue ? ou la façon dont elle est traitée ?

La pipe en bruyère a moins de 200 ans. Toutes les forêts étaient donc vierges à ce moment là. L’exploitation s’est faite de manière incontrôlée en choisissant les plus grosses souches qui offraient un rendement extraordinaire à proximité, puis il a fallu s’éloigner toujours à la recherche des plus gros spécimens, puis on a recommencé en extrayant des souches un peu plus petites, et ainsi de suite jusqu’à nos jours, c'est-à-dire jusqu’au dernier morceau de souche assez gros pour faire un seul ébauchon. Voilà l’étendue du désastre !

Je précise : Dunhill se fournissait en bruyère algérienne, les fabriques françaises aussi, et largement ?

Je ne connais pas suffisamment les sources d’approvisionnement de Dunhill pour en parler de façon précise. J’ai visité l’usine de pipes Dunhill (ou sa filiale) dans les années 80 ou il y avait 60 à 80 ouvriers. Je doute qu’il y en ait toujours autant aujourd’hui. Comme tous les grands fabricants, Dunhill doit s’approvisionner ou il peut en ébauchons et peut être même en têtes de pipes. Je ne dirai pas qu’il y a un mystère. Attendons que le brouillard Londonien se dissipe !

Voilà pourquoi je posais la question double en fait : pourquoi cette bruyère aurait-elle baissée de qualité, et voilà pourquoi je posais la question du traitement.

Comme on l’a dit plus haut, la bruyère Algérienne est de qualité médiocre surtout parce que son grain ou son veinage sont moins serrés et moins accentués. Disons qu’elle n’a pas le "caractère" de la bruyère Corse. Cela n’a rien à voir avec le traitement qu’elle a subi de façon violente comme les autres bruyères.

Je pense qu'on a trop tapé dans les réserves anciennes sans se soucier de la préservation de l'espèce.

C’est absolument exact.

Il est vrai que tout ce que j'ai vu dans les dernières années, c'était dégu...... !!

Il ne faut pas exagérer, mais incontestablement la qualité diminue dangereusement, d’où l’augmentation de pipes complètement opaques pour masquer les défauts.

Je ne connais pas assez le terrain, mais soit trop jeune, soit, ils vont chercher des bruyères mises de coté parce que trop difficile d'accès ou pas d'assez bonne qualité. Je donne mon avis par rapport à ce que j'ai pu constater. Je sais simplement que tous les fabricants de pipes dans le monde ont tiré sur la réserve, et que pour renouveler les plants, il faut quand même des décennies.

On a parlé plus haut des réserves. Pour ce qui est des difficultés d’exploitation, on ira toujours plus loin, mais je pense sincèrement qu’on y est déjà.

D'après ce que j'ai lu ,il faut quarante ans pour exploiter la bruyère.

Exact, sauf si on l’exploite avant. A ce moment là on "bousille" le patrimoine, ce qui est pratiquement fait.

J'ai lu sur un site que je recherche désespérément à retrouver que l' Algérie commercialiserait et en petite quantité non pas des plateaux mais des ébauchons de qualité... Faut que je retrouve.

Un fabricant d’ébauchons, comme un fabricant de pipes, comme tout fabricant, ne vous dira jamais que ses produits ne sont pas de bonne qualité. Ils sont le plus souvent les meilleurs !