Passionné de perique

par Russ Ouellette, traduction d'Alexandre Abrioux

28/04/14

La version originale de cet article est parue sur PipesMagazine.com le 4 septembre 2013 et peut être consultée à l’adresse suivante :
"Passionate About Perique".

Publié avec la permission des ayant-droits.

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J’adore le Perique. Voilà, c’est dit, et je l’assume. Je sais que nous, les hommes, ne sommes pas censés montrer nos sentiments, mais cette histoire dure depuis plus de 30 ans, et je pense qu’il est temps de la rendre publique.

En fait, si vous avez jamais jeté un œil à ma série de tabacs Hearth & Home, la déclaration précédente est superflue. Sur les 34 mélanges proposés, 14 contiennent du Perique. Je vous expliquerais pourquoi dans un moment, mais tout d’abord, un peu de contexte. Le Perique est une denrée remarquable, et un tabac étonnamment versatile. La saga commence dans la paroisse de St James en Louisiane. Les plants sont cultivés depuis la graine et poussent dans une zone triangulaire de la paroisse (l’équivalent d’un comté en Louisiane) qui est idéal pour cette culture.

On considère le Perique comme un dérivé ou une variété similaire au Burley. Pour obtenir le produit fini, les feuilles sont placées dans des barils de 500 livres, appellés hogsheads, et soumis à une pression suffisante pour en extraire une partie des jus qui sont ensuite laissés à fermenter. Le baril est ouvert, les feuilles retournées et le processus peut recommencer. Après un an, les feuilles ont pris une teinte brun sombre, couleur chocolat, et ont un arôme sucré et épicé avec une touche alcoolisée (elles sont fermentées après tout). Les feuilles sont ensuite envoyées au client pour être hachées et travaillées.

perique ouellette

Du Perique pressé dans un baril à whisky en chêne

En fait, il existe deux sortes de Perique

Le Saint James Perique est produit selon la méthode décrite ci-dessus avec la variété de tabac nommée elle aussi Perique. L’autre sorte, nommée Acadian Perique, est produite selon la même méthode en pressant du Green River Burley. Ces deux sortes sont presque systématiquement mélangées ensemble avant d’être employées dans un blend. Néanmoins, pour que l’appellation Perique puisse être employée, le tabac doit obligatoirement contenir du Saint James.

Au fil du temps, des producteurs employant différents tabacs venant de différentes régions, traités selon une méthode similaire mais pas en Louisiane, ont fourgué du tabac sous le nom Perique. Ce faux perique va du passable à l’absolument infect. Il y a quelques années, un fournisseur m’a envoyé du tabac étiquetté Perique qui était brun clair et plutôt sec. Au lieu de l’arôme sucré et épicé auquel je suis habitué, celui-ci sentait le cacao et avait un goût qui n’avait rien de commun avec celui du Perique. Fort heureusement, aucune compagnie digne de ce nom n’emploie cette sorte de tabac.

L’histoire du Perique est intéressante. Lorsque les colons francophones venant du Canada se sont installés en Louisiane, ils découvrirent que les Indiens locaux avaient une manière particulière de préparer le tabac. Ils compactaient les feuilles dans une bûche creuse et plaçaient une pierre par-dessus, ce qui n’est pas si différent de la manière dont le tabac est préparé aujourd’hui. Reprenant cette technique à leur compte, les colons commencèrent à produire leur propre Perique, et des générations de familles ont continué la tradition. Il y a comme un mystère autour de la genèse du Perique, et aussi autour de l’origine du nom (d’ailleurs, certaines conjectures sont elles-mêmes plutôt épicées).

Mark Ryan perique

Mark Ryan ouvrant un baril de Perique de 10 ans d’âge

La principale raison de mon amour du Perique est sa versatilité. Employé avec des tabacs au goût profond comme des Virginias mûris ou des Burleys sombres, il amène surtout une douceur qui tend à réduire le piquant de ces tabacs. Dans un mélange plus doux, il apporte une touche piquante et épicée. Et si vous avez un blend qui manque de richesse et de profondeur, un peu de Perique peut être la solution.

Etant un condiment, le Perique est employé avec modération. La plus grande proportion que j’emploie est 15% dans le Anniversary Kake. Ce qui est intéressant, c’est que du fait du goût riche et sucré des Virginias employés, la plupart des gens classent ce mélange dans les blends légers en Perique. C’est pourquoi je considère le Perique comme le caméléon des tabacs. Il se marie admirablement avec les mélanges à base de Virgina ou Virginia/Burley. Ajoutez-le à un mélange au Latakia et il adoucira le coté piquant, donnant du corps et de la douceur. Il se marie bien aussi avec les aromatisations, celles aux fruits en particulier. Pour illustrer la nature changeante du Perique, nous l’employons dans un blend nommé Capitol Stairs, qui est une mixture à base de Virginia/Burley aromatisée à la fève de Tonka. Cette combinaison produit un goût rappelant la cannelle, ce qui m’a vraiment surpris lorsque je l’ai découvert la première fois.

Dans la série Hearth & Home, nous l’employons avec des Virginias, des Burleys, des orientaux, du Latakia, du Black Cavendish et même de la feuille à cigare. Il fait partie de nombre des mélanges les mieux connus et appréciés de tous les temps tels Escudo, Cornell & Diehl Bayou Morning, MacBaren Roll Cake, G.L. Pease Fillmore, Dunhill Nightcap, McClelland St James Woods, et bien d’autres…

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Le Perique, une fois fermenté, mûri et sorti des barils, doit être conservé sous vide car il est sujet à la moisissure

Le Perique est plutôt chargé en nicotine. Il doit donc être employé avec parcimonie. Je commence généralement avec 3%, augmentant progressivement la dose jusqu’à trouver le bon équilibre. Pour mon dernier blend, Steamroller, j’en emploie 7%, mais c’est dû à la grande proportion de Burleys sombres, et si une plus grande part de Perique était employée, nombre de fumeurs de pipe en auraient la tête qui tourne.

Récemment, le futur du Perique semblait plutôt sombre. Percy Martin en produit depuis des années, mais la plus grande part de sa production est livrée à Santa Fe Natural Tobacco pour la production des cigarettes et du tabac à rouler American Spirit.

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Des représentants de American Spirit, Rami Bourgeois et Kim Trahan dans l’usine LA Poché. Derrière elles se trouvent des balles de Perique en attente d’être dénervurées et préparées pour la maturation et la fermentation

Heureusement, il y a quelques années, Mark Ryan a pris les rênes de l’un des autres producteurs, LA Poché. Depuis, il travaille avec de nombreux fermiers pour augmenter la production. Pour l’année à venir, la surface de terre destinée à la culture du Perique pourrait bien être jusqu’à 6 fois supérieure à celle de l’année 2010.

Si vous n’avez jamais essayé un blend contenant du Perique parce que son côté épicé pourrait ne pas vous plaire, je vous suggère d’essayer tout de même car cette caractéristique n’est apparente qu’avec les tabacs plus clairs et légers. En combinaison avec des tabacs plus riches, le corps et le côté sucré sont prennent le dessus.

La prochaine fois, j’essaierais de faire le même travail à propos du Latakia. D’ici là, gardez vos foyers allumés.