La théorie de la relativité générale

par Erwin Van Hove

16/04/18

Quand, en juin 2011, je vous ai présenté le tout premier numéro de ma chronique Font-ils un tabac ?, je me suis senti obligé d’insister sur une évidence : Mon but n’est pas de vous révéler La Vérité. Des impressions et des opinions personnelles, c’est tout ce que j’ai à vous offrir. Je l’ai écrit en toute sincérité parce que je suis persuadé que ce n’est pas parce qu’on dispose d’un peu plus d’expérience en matière de dégustation de tabacs que le pipophile moyen, qu’il faut prendre ses jugements pour des dogmes ou rejeter avec dédain des avis divergents.

Je ne prétends pas pour autant que tous les avis se valent. Il suffit de parcourir les forums et Tobaccoreviews pour trouver ici et là du n’importe quoi sous forme d’analyses absolument nulles. Je ne vais pas vous cacher non plus que quand je tombe sur d’épatantes descriptions organoleptiques dans lesquelles des surdoués au palais turbo arrivent à mettre le doigt sur vingt-six odeurs et saveurs différentes et bien précises (ça sent à la fois le barbecue d’agneau préparé dans une arrière-cour plantée de palmiers nains dans une ruelle de Marrakech et le cuir de vachette italien longuement patiné d’un canapé chesterfield d’un mètre quatre-vingts placé en face d’une télé OLED de LG), tout en avançant avec aplomb que les anonymes orientaux dont s’est servi le blender, sont composés de feuilles de basma, de kavalla et de xanthi cueillies tôt le matin par un borgne qui utilise un after-shave à la bergamote, je n’arrive pas à prendre au sérieux ces champions de la frime.

Mais ce qui me fait vraiment tiquer, ce sont les grossières erreurs de fait dont sont parsemées certaines revues. Combien de fois n’ai-je pas lu que le Florina est un semois ou que le HH Vintage Syrian serait aromatisé ? Et récemment j’ai eu la surprise de lire dans des articles publiés dans un forum francophone que le stock de latakia syrien de McClelland a été détruit dans un incendie d’entrepôt et même que McClelland n’a jamais vendu de tabacs livrés en sachets plastique. Faut-il préciser que le Florina ne contient pas un gramme de semois, que l’arôme si particulier du Mac Baren est typique de l’authentique latakia syrien de qualité, que c’est le stock de Greg Pease et de Cornell & Diehl qui a flambé et que McClelland a toujours proposé une large gamme de tabacs en vrac ?

Ce genre de bévue factuelle professée d’un ton catégorique déteint évidemment sur le contenu entier d’une revue et lui fait perdre ainsi toute crédibilité. Or, à défaut de pouvoir prétendre à une quelconque objectivité, toute personne qui a l’audace de s’adresser à un public pour analyser et évaluer des odeurs et des saveurs, doit nécessairement avoir la ferme volonté d’aspirer à la crédibilité. Après tout, les lecteurs sont en droit d’attendre d’un auteur de revues non seulement un palais exercé et l’aptitude à capter et à transmettre par le verbe des perceptions et des impressions, mais aussi et surtout des connaissances suffisamment grandes et une rigueur certaine.

De gustibus non disputandum. L’adage latin résume notre impossibilité de parler avec objectivité de tout ce qui touche au goût. Or, il semblerait que la portée de cette formule relativiste soit nettement plus importante qu’on ne pourrait le penser au premier abord.

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Vous ne jurez que par des mélanges doucereux arrosés d’une sauce aux fruits alors que moi, j’adore l’acidité fumée du kentucky. Par conséquent, le Kendal Kentucky vous hérisse le poil alors que le Borkum Riff Cherry Liquor me donne la nausée. Rien de plus naturel : vous et moi, nous savons que chacun a ses préférences personnelles qui lui servent de boussole, que, dès lors, vos appréciations à vous peuvent être diamétralement opposées aux miennes, et que rien ne nous permet de penser que l’un de nous se trompe alors que l’autre a raison. De gustibus non disputandum. Logique.

Ce qui, à première vue, l’est nettement moins, c’est le phénomène suivant : vous et moi avons des goûts très proches puisque nous sommes tous deux des fans purs et durs de latakia bombs et nous voilà pourtant divisés sur un tabac noir comme du charbon. Moi, j’ai du mal à supporter son évidente amertume astringente alors que vous ne comprenez pas le moins du monde de quoi je parle. Plus bizarre encore : dernièrement et à plusieurs reprises, je me suis rendu compte que je ne me retrouve plus dans des analyses que j’ai rédigées il y a un an ou deux à peine. Ce sont ces surprenantes constatations qui m’ont fait conclure que dans le domaine de la dégustation de tabac, apparemment tout est parfaitement relatif et que cette totale relativité dépasse de loin le cadre de la simple subjectivité des appréciations gustatives.

Cette conclusion suscite d’emblée des questions de taille : comment diable est-il possible que deux dégustateurs pourtant tous deux chevronnés et partageant le même amour du latakia puissent écrire des analyses dissemblables, voire opposées du même tabac ? Et comment se fait-il qu’il m’arrive en regoûtant tel ou tel mélange de ne plus être d’accord avec ma propre revue rédigée il n’y a pas si longtemps, alors que mes goûts n’ont pas changé ? En y réfléchissant, je me suis vite aperçu que dès que nous nous mettons à déguster un mélange, il y a toute une série de facteurs et de variables qui exercent une influence déterminante sur ce que nous goûtons et dès lors sur nos jugements.

J’ai fini par les répertorier. Il est probable que ma liste n’est pas exhaustive et que, par conséquent, elle est perfectible, mais je me permets de vous la soumettre tout de même. N’en attendez ni révélations spectaculaires, ni exposés scientifiques. Il s’agit d’un aperçu sommaire basé entièrement sur mes propres observations.

1. Physiologie, anatomie, sensibilité

Malgré un demi-siècle de consommation quotidienne de vins de toutes origines, mon père est incapable de distinguer un gouleyant beaujolais d’un madiran charpenté ou un riesling minéral d’un sauvignon fruité. J’ai assisté à une scène où un collègue qui goûtait à l’aveugle des conserves de poisson, ne savait absolument pas s’il était en train de manger des sardines ou des maquereaux. A l’opposé, des études ont démontré que 15% de la population américaine appartient à la catégorie des supertasters, c’-à-d des gens qui perçoivent davantage de goûts que le commun des mortels et avec plus d’intensité. Bref, au niveau du fonctionnement de l’appareil gustatif nous sommes aussi inégaux que dans le domaine des capacités intellectuelles ou des performances physiques.

Mais il ne suffit pas de constater que certains goûtent mieux que d’autres. Nous goûtons également de façon différente parce que notre anatomie et notre physiologie ne sont pas identiques. Pensez entre autres à l’innervation de la langue, au nombre de papilles gustatives ou de cellules olfactives, au fonctionnement plus ou moins efficace des glandes salivaires ou des centres gustatifs du cortex. S’ajoutent à cela les différences au niveau de l’alcalinité de la bouche et le fait que la cavité buccale contient un écosystème hautement individuel et variable dans le temps. Il y a même des indications que ce sont des facteurs d’ordre génétique qui expliqueraient pourquoi les uns adorent la coriandre, alors que les autres ont l’appétit coupé par une insistante saveur de savon.

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Reste notre sensibilité individuelle. De tous les mélanges contenant du rhum que j’ai déjà dégustés, il y en a exactement un seul où j’ai réussi à déceler le goût de l’alcool des Caraïbes. Par contre, je suis toujours le premier des convives à déceler un goût bouchonné dans une bouteille de vin. Ceux qui distinguent sans problème un goût de rhum dans un mélange ne goûtent pas mieux que moi, tout comme moi, je ne goûte pas mieux que mes compagnons de table qui sont plus lents à reconnaître la saveur de bouchonné. Nous goûtons différemment parce qu’apparemment nous avons des sensibilités différentes.

2. Références et préférences personnelles

Vu que vous êtes un bon petit Français, il y a de fortes chances que l’odeur de chaussette sale d’un munster fermier vous transporte au septième ciel alors qu’il est peu probable que vous appréciiez l’odeur de soufre et d’ammoniac que dégagent les œufs de cent ans si populaires en Chine. Bref, votre goût personnel, vous l’avez formé et développé dans un cadre ethnique et culturel. C’est ce cadre qui déterminera le genre et le nombre d’odeurs et de saveurs auxquelles vous serez exposé au cours de votre existence et c’est lui qui jettera les bases de vos goûts et dégoûts. Mais ce n’est pas tout. Votre milieu social et familial, votre éducation culinaire, vos séjours à l’étranger et vos contacts avec d’autres cultures, votre intérêt plus ou moins important pour l’univers des odeurs et des saveurs déterminent tout autant votre cadre de référence organoleptique et donc à la fois vos préférences et votre aptitude à reconnaître des goûts et des arômes.

3. Circonstances

Non seulement vous et moi goûtons différemment, en plus nous ne sentons ni ne goûtons de façon constante et uniforme. Le fonctionnement de vos sens olfactif et gustatif est en effet influencé en permanence par toute une série d’impondérables de nature physique, psychique et émotive. Un rhume et le nez bouché qui en résulte, votre état de santé général, les médicaments que vous prenez, le repas épicé ou le whisky tourbé que vous venez de consommer, la température et le degré d’hygrométrie de l’endroit où vous dégustez ont un impact direct sur votre façon de goûter. Parallèlement, l’état de votre humeur, la compagnie plus ou moins appréciée, la présence ou non de stress, le degré de concentration ou de distraction, l’envie et la motivation, les effets de prophéties autoréalisatrices affectent tout autant vos perceptions sensorielles et vos jugements. En résumé, quand vous goûtez, vous n’êtes ni un robot ni un monolithe.

4. Expérience et savoir

Il va de soi que le fait d’avoir goûté plusieurs centaines de tabacs ou d’être une encyclopédie ambulante en la matière ne rend pas vos papilles plus performantes et ne stimule pas la rétro-olfaction. Il est toutefois parfaitement logique de supposer que, grâce à votre riche expérience, le centre gustatif situé dans votre cortex analysera et interprétera les odeurs et les saveurs perçues avec un degré plus élevé de précision et de finesse. A ce niveau-là, vous goûtez effectivement mieux que votre confrère bouffardeux à l’expérience nettement moins étendue. Plus vous dégustez, plus la bibliothèque de saveurs contenue dans votre cerveau s’étoffera et mieux vous serez capable non seulement de reconnaître des goûts, de faire des associations correctes et de formuler avec justesse vos perceptions, mais aussi de juger de la qualité des mélanges que vous fumez, puisque vous serez en mesure de vous référer aux standards que vous aurez développés.

5. Parcours personnel

A une époque pas si lointaine, mon pseudo dans le forum était latakia_be. C’est vous dire à quel point j’étais un camé des herbes syriennes et chypriotes. N’empêche qu’aujourd’hui le latakia tend à m’écœurer : j’ai eu une overdose. Bref, au cours de notre existence de pipophile, nos goûts évoluent et changent. Pendant de longues années, j’ai haussé les épaules à chaque fois que quelque vieux qui à mes yeux confondait les termes sage et schnock, racontait les mêmes salades déterministes, à savoir que notre parcours est tout tracé : séduits par leurs arômes enjôleurs, nous débutons avec de doucereux aros, après quoi il nous prend une envie de bruns ou de mélanges anglais, donc de tabacs naturels et virils au goût franc et prononcé, et quand cette envie de sensations fortes finit par s’éteindre, nous sommes enfin prêts à apprécier à leur juste valeur les plaisirs raffinés que nous offrent les délicats et nuancés virginias. Force m’est d’admettre que je suis devenu l’un de ces vieux schnages dont le chemin parcouru correspond parfaitement au cliché. Notre façon d’appréhender et d’évaluer un tabac est donc conditionnée par la phase que nous traversons.

6. Pipe

Il est par définition exclu que votre voisin et vous qui dégustez ensemble le même tabac, goûtiez exactement la même chose, tout comme il est exclu que si vous fumez d’affilée un mélange dans deux pipes différentes, la deuxième expérience soit une copie conforme de la première. Chaque pipe a son goût propre. Point barre. Et ce principe vaut même pour les matériaux soi-disant neutres comme l’écume de mer ou la terre cuite. A leur tour, le volume et la forme du foyer influent sur le goût développé au cours du fumage et c’est pareil pour le passage d’air : une pipe qui respire bien développe mieux les saveurs qu’une autre au tirage difficile.

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Reste le facteur le plus déterminant : tout tabac s’exprime avec davantage de précision et de nuances s’il est fumé dans une pipe qui lui est exclusivement dédiée que s’il se consume dans une bouffarde précédemment bourrée d’une variété d’herbes diverses. Ce n’est point un avis. C’est un fait incontestable. Evidemment, comme nous ne vivons pas dans un monde idéal, plutôt que de réserver une pipe par mélange, nous nous contentons de consacrer quelques pipes à chaque type de tabac que nous affectionnons. A raison, parce qu’Un Escudo fumé dans une pipe dédiée au VA/perique subira toujours nettement moins d’interférences, communément appelées crossover, que dans une bouffarde qui a batifolé avec des partenaires aussi variés que le Vanilla Cream, le Pirate Kake et le 1792.

7. Maîtrise et technique

Rappelez-vous vos débuts et dites-moi combien de pipées vous ont vraiment comblé à cette époque. Je suis convaincu que vous pouvez les compter sur les doigts d’une main. Avouez que vous vous souvenez plutôt de l’humidité excessive et du jus qui coulait, des pipes qui ne tiraient pas et des bouffardes qui s’éteignaient pour un oui pour un non, des parois qui surchauffaient et des langues brûlées. Je suis donc sûr et certain qu’à cette époque de débâcles et de frustrations, vous avez maudit des tabacs qui à présent vous semblent tout à fait respectables. La conclusion est évidente : moins vous maîtrisez l’art du fumage, c’est-à-dire de la préparation du tabac, du bourrage, de l’allumage, du maniement du tasse-braises et surtout, avant tout du tirage, plus il vous est difficile de tirer le meilleur parti d’un mélange et de l’apprécier à sa juste valeur.

8. Etat du tabac

Votre tabac acheté en vrac et le mien conditionné en boîte scellée ne produiront jamais exactement le même goût. Entre votre pochette qui a traîné pendant un été derrière votre pare-brise et la mienne encavée pendant la même période dans des conditions idéales, il y aura un monde de différence. Le tabac qui sort de votre boîte à peine ouverte et qui subit encore l’influence d’un phénomène de réduction, aura des caractéristiques gustatives fort différentes du fond de tabac soumis à l’oxydation qui reste dans ma boîte ouverte depuis deux mois. Le flake soigneusement transformé en brins dont vous remplissez votre pipe et le flake plié dont je bourre la mienne, ne s’exprimeront jamais de façon identique. Ce n’est donc pas parce que le mélange que vous et moi dégustons porte le même nom que nous fumons des tabacs identiques.

9. Age du tabac

Chaque fois qu’un lecteur de ma chronique me fait savoir que mon analyse d’un mélange le fait sourciller parce que ma description ne correspond en rien à ses impressions à lui, je lui demande d’office quel était l’âge de la boîte qu’il a goûtée. En général il s’avère que son tabac était tout jeune, alors que la boîte que j’avais dégustée, moi, avait été encavée pendant des années. Or, cette différence d’âge est d’une importance capitale. Tout comme un grand vin, un tabac naturel bien né non seulement se conserve pendant une, voire plusieurs décennies, en plus il évolue, c’est-à-dire que petit à petit il se fond et se bonifie jusqu’au point d’atteindre son apogée, après quoi le déclin s’amorce. Et tout comme un très jeune Pauillac n’offre absolument pas les mêmes sensations organoleptiques qu’un Pauillac mûr, un mélange jeune à base de virginia avec ou sans perique ou d’herbes orientales développera des saveurs nettement moins fondues et complexes que le même mélange religieusement conservé pendant dix ans.

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Remarquez qu’il ne faut pas en conclure que par définition un tabac âgé serait supérieur à un tabac fraîchement acheté. Il arrive tout autant qu’en prenant de l’âge, des mélanges, notamment des latakia et des burley blends, se mettent à perdre leur équilibre. Ne pensez pas non plus que c’est uniquement entre un tabac vraiment jeune et un autre encavé pendant de longues années que les différences sont vraiment notables. Greg Pease est très précis là-dessus : déjà deux mois après le conditionnement en boîte s’opèrent les premiers changements et ils vont grandissant pendant six mois à un an. Ensuite il faudra attendre l’âge de deux ans, puis de cinq ans pour noter une métamorphose. Alors le processus de mûrissement ralentit, ce qui n’empêche pas des transformations supplémentaires jusqu’à l’âge de dix ans. Au-delà, le tabac ne subit plus de réelle évolution, si ce n’est que tôt ou tard se déclenche le processus plus ou moins rapide de dégénérescence. Il semblerait donc utile de mentionner dans une revue l’âge du tabac testé.

10. Manque d’uniformité du tabac

Lorsque je rédige une revue, il m’arrive régulièrement d’attirer l’attention sur le fait que les couleurs ou la composition du tabac testé ne correspondent pas vraiment à ce qu’on voit sur la photo qui illustre l’article. C’est dire que pas mal de blends manquent d’uniformité. On trouve d’ailleurs encore d’autres formes d’inconsistance : d’une boîte à l’autre l’hygrométrie du tabac peut varier ou l’épaisseur des flakes peut passer du simple ou double. Il est dès lors très bien possible que vous et moi, nous ayons des avis divergents sur un tabac pour la simple raison que nous n’avons pas dégusté exactement le même mélange.

En outre, il arrive fréquemment qu’au cours de son histoire, la composition d’un blend a été adaptée, parfois même à plusieurs reprises, voire sérieusement modifiée pour la bonne raison que les ingrédients d’origine sont devenus introuvables ou hors de prix. Ou parce que le blend a changé de fabricant. Ou parce que Big Tobacco a décidé de le remettre au goût du jour. Un Three Nuns d’aujourd’hui n’a plus grand-chose en commun avec le légendaire VA/perique d’antan ; le Smoking Mixture de Gallaher était un piètre ersatz du Smoking Mixture d’origine produite par la maison de Sobranie; dans toute une série de blends le deer tongue subtilement aromatique a été systématiquement remplacé par l’écœurant tonka. Deux boîtes qui pourtant portent le même nom, peuvent donc receler deux tabacs bien distincts.

Conclusion

Au terme de ce petit exposé, j’espère que vous comprenez mieux les raisons pour lesquelles, à la lecture d’une revue d’un tabac que vous avez déjà essayé, il vous arrive d’être frappé d’incompréhension et de vous poser des questions sur les compétences du dégustateur. En raison des dix catégories de variables présentées, toute analyse organoleptique d’un tabac et tout avis qui en découle ne sont par définition que des instantanés purement subjectifs.

La prise de conscience de cette totale relativité fatalement amène une question sur l’utilité et l’intérêt des revues de tabac. Personnellement, je suis d’avis que, toutes relatives qu’elles soient, les analyses et les appréciations ont tout de même un droit d’existence qui trouve sa raison d’être autant dans de rigoureux et consciencieux efforts de crédibilité que dans une authentique et conviviale volonté de partage.

En même temps, la prise de conscience mentionnée ci-dessus est une évidente leçon d’humilité qui doit nécessairement nous garder de prendre nos perceptions pour des faits et nos jugements pour parole d’évangile. J’espère donc de tout cœur ne plus devoir lire dans des forums des commentaires comme celui-ci : Lorsque j’ai vu traiter de « médiocre » ce tabac sublime, je me suis posé des questions sur les goûts de celui qui a pu écrire une telle bêtise. Dans un univers régi par le relativisme, les maîtres du goût autoproclamés prouvent qu’ils n’ont strictement rien compris aux innombrables impondérables qui influencent, contaminent et conditionnent tout exercice de dégustation.

Par ailleurs, si vous êtes de ceux qui croient dur comme fer que la relativité a tout de même ses limites puisqu’il existe des tabacs-monuments tellement bien faits qu’ils sont universellement reconnus ou presque, vous vous gourez. Il suffit de jeter un coup d’œil sur Tobaccoreviews pour s’en rendre compte : si 103 dégustateurs attribuent au HH Vintage Syrian le score maximum de 4 étoiles, 42 autres trouvent qu’il n’en vaut pas plus que une ou deux ; dans 102 revues le Dark Star est porté aux nues et récompensé d’une note de 4 sur 4, alors qu’il obtient une humiliante cote de 50% ou moins dans 48 autres recensions ; le légendaire Edgeworth Sliced est sans conteste le burley blend idéal pour 31 admirateurs pendant que 15 testeurs le jugent carrément mauvais.

Pour finir, je tiens à souligner que pour vous et pour moi, cette relativité générale est un principe à la fois libérateur et rassurant. Nous n’avons plus de raison de douter de notre goût, de faire un complexe d’infériorité à chaque fois que toute une ribambelle de saveurs décrites avec verve dans quelque revue semble nous avoir échappé, ou de nous taire de peur de dire des sottises quand nous sommes en désaccord avec l’analyse et l’avis d’un dogmatique doctrinaire. Par conséquent, je vous présente ma conclusion finale sous forme de conseil. Fiez-vous à votre propre palais. Toujours et sans complexes. Même si ça revient à préférer le Mango Tango ou le Sherry & Cherry au Blackwoods Flake ou au Bohemian Scandal et à devoir supporter de temps à autre les railleries des collègues forumnistes. Le seul dégustateur qui mérite votre confiance aveugle, c’est vous-même. Et encore…

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