Avis d'un non fumeur sur la campagne anti-tabac

par Xavier Sala I Martin, traduit par Jean-Marie Laurent

24/10/05

Je commencerai, aujourd’hui, par trois aveux : je ne fume pas, cela me gêne que l’on fume autour de moi, et je suis enchanté de vivre dans une ville, New-York, dans laquelle on peut sortir la nuit et rentrer chez soi sans que les vêtements empestent la fumée. Ceci dit, je pense que la loi Antitabac récemment approuvée par le Congrès des Députés représente une limitation dangereuse de notre liberté.
Un argument utilisé en faveur de la prohibition est que le tabac tue des millions de citoyens. Ceci est certain, mais des millions de gens meurent également, annuellement, en conduisant, en skiant ou en nageant. Certains sont foudroyés alors qu’ils se promènent dans la campagne.
Tous savent que le risque existe et, cependant, décident volontairement de continuer à pratiquer ces activités… et personne n’a l’idée de demander au Congrès d’interdire ou limiter l’usage de l’automobile, du ski, de la natation ou des promenades dans la campagne.

On nous dit aussi que les frais d’hospitalisation des fumeurs supposent une charge financière pour les autres. Cet argument manque de logique économique puisque si les consommateurs de tabac ne fumaient pas, ils mourraient de toute façon ! Et je m’interroge : est-ce que, par hasard, cette mort ne coûterait rien ? La question est de savoir si les frais de traitement des fumeurs son plus élevés que ceux des morts pour d’autres causes. Sur ce thème, il y a diverses études (Manning, aux Etats-Unis, Raynauld et Vidal, au Canada, Rosa, en France, entre autres) aux résultats surprenants : perdre la vie à cause de la fumée tend à être moins cher que mourir, plus tard, pour d’autres raisons. De fait, une des maladies les plus coûteuses à traiter est l’Alzheimer, qui, en général, ne touche pas les fumeurs compulsifs car, à l’âge où il apparaît, la majorité d’entre eux sont déjà morts.

Si nous ajoutons à cela que les fumeurs ont une espérance de vie de 65 ans (l’âge de la retraite) et que, par conséquent, ils toucheront peu de pension quoiqu’ils aient cotisé tout leur vie, nous en arrivons à la conclusion que les fumeurs non seulement ne sont pas un coût financier net, mais qu’ils sont une aubaine pour les non-fumeurs. L’ironie absurde est que, si les «activistes» appliquent correctement la logique économique, non seulement ils ne devraient pas demander la prohibition du tabac, mais ils devraient en stimuler la consommation !

L’argument le plus persuasif en faveur de la limitation est celui du fumeur passif : chacun devrait être libre d’attenter à sa santé…, mais non à celle d’autrui. La question est de savoir s’il est certain que la santé du fumeur passif est menacée. On ne manque pas de dire que le démontrer est compliqué, mais il y a des études sur le thème. Le plus utilisé par les promoteurs de la censure est celui de la Environmental Protection Agency (EPA) des Etats-Unis : un méta-studio qui analyse 30 publications préalables. La EPA conclut que 24 de ces analyses ne trouvent pas de relation entre être fumeur passif et contracter le cancer du poumon, mais les 6 autres si. Le problème pour les prohibitionnistes est que le risque estimé pour ces fumeurs passifs est si petit que chaque épidémiologiste impartial dirait que c’est le produit d’autres facteurs ou du hasard.

Dans une autre étude, l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) a choisi 650 patients avec le cancer du poumon et 1542 individus sains et a examiné combien d’entre eux avaient vécu dans une atmosphère de fumage. À sa surprise, la probabilité d’être fumeur passif était la même pour les deux groupes. L’OMS a essayé pathétiquement de cacher les résultats, mais ils étaient déjà arrivés à la lumière du jour.

Un des piliers sur lequel se fonde la toxicologie est que la dose fait le poison : y compris le lait qui peut être toxique s’il est pris en doses extravagantes. Dans ce sens, un bureau du Dr Keith Phillips, des Laboratoires Covance (Etats-Unis) a placé des moniteurs dans des bureaux de centres où il se fumait abondamment. La quantité de fumée recueillie en un an par ces moniteurs fut si petite que cela équivalait à fumer 6 cigarettes par an. Pour nous comprendre : pour que cette dose puisse provoquer le cancer du poumon chez un fumeur passif, il faudrait que celui-ci s’enferme dans une chambre de dix mètres carrés sans ventilation… entouré de 300 personnes fumant 62 paquets (j’ai bien dit, paquets) à l’heure (j’insiste, à l’heure) durant quarante ans !

En résumé, il ne paraît pas que les fumeurs suscitent des coûts sanitaires excessifs (mais bien au contraire), ni que l’évidence présentée sur la santé du fumeur passif soit convaincante. Le problème pour les censeurs du fumage est que, si les arguments relatés sur les coûts économiques ou de santé de tierces personnes disparaissent, il ne reste que les arguments du type : nous désirons limiter le tabac parce que la fumée nous dérange.

Je dis que ceci est un problème parce que la frontière entre ce qui nous dérange et ce qui ne nous dérange pas est dangereusement arbitraire. Par exemple : empêcherions-nous les parfums s’il était de mode de dire qu’ils nous dérangent ? Ou, mettrions-nous en prison ceux qui ne se lavent pas si l’odeur de leur sueur nous dérange ? Et si les laids nous dérangeaient ? Et les étrangers ? Ou les Juifs ? Où est la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui dérange ?

En vérité, je ne me fie pas à la capacité des politiques de pouvoir démarquer rationnellement cette frontière, quoique nous les ayons élus démocratiquement (rappelons-nous que ce fut un gouvernement élu qui a exterminé six millions de Juifs, simplement parce qu’ils le dérangeaient dans son effort d’arriver à la pureté raciale). Et je manque de confiance quand je vois que les politiques ont cette insatiable voracité limitative, je pense qu’ils devraient commencer par limiter… leur propre capacité à limiter notre liberté.

XAVIER SALA I MARTIN,
chercheur à l'université de Columbia
Fondation Umbele,
Columbia University.
www.umbele.org