Jack Howell

par Gilles

27/04/09

Tu es pipier et clarinettiste. Comment t'organises-tu pour concilier ces deux activités ?

Je n’éprouve pas un grand besoin de les concilier, parce que je suis très franc avec mes clients sur le fait qu'une pipe puisse prendre un certain temps à terminer et je suis très désorganisé. La musique doit passer d’abord parce qu’elle est éphémère. Un concert est prévu pour une certaine date et je dois être prêt. Je ne peux pas mettre de côté le concert ou le faire plus tard. Cela peut constituer de mauvaises nouvelles pour des clients quand je planifie une semaine pour faire des pipes et qu’ensuite quelqu'un, dans un autre orchestre, tombe malade et que je suis appelé pour jouer, mais tôt ou tard la saison se termine. Chaque fois que j'ai le temps, je fais des pipes. Depuis l'enfance, j'ai travaillé de mes mains, ça me rend heureux. Et maintenant que mon activité de musicien occupe une grande place dans ma vie, c’est encore plus important. La musique est partie dès que vous la jouez et, si vous arrêtez de pratiquer, votre dextérité disparaît aussi. C’est comme creuser le sable. Quand une pipe est finie, elle reste finie.

Combien de pipes tes différentes activités te permettent-elles de produire par an ?

Venant juste de m’occuper de mes impôts, je peux le dire précisément. Quarante pipes l’année passée, pas autant que je l’espérais. J'ai fait beaucoup de pipes l’été passé, mais j’ai ralenti plus que je ne m’y attendais quand les concerts ont commencé en septembre.

Je consulte régulièrement ton site et je constate qu'il y a peu de pipes disponibles à la vente. Je suppose donc que tu travailles essentiellement sur commande ?

Ca dépend quand vous regardez. Durant les six derniers mois, oui, très peu de pipes sur le site, presque toutes les pipes ont été commandées. J'essaye vraiment de mettre des pipes sur le site, parce que j'estime et les clients qui savent ce qu'ils veulent, et sont enclins à attendre, et les clients qui achètent les pipes que j'ai faites uniquement pour me faire plaisir. Si vous étiez venu regarder en juin ou juillet, vous auriez probablement vu au moins une nouvelle pipe ou deux chaque semaine.

Participes-tu à des Pipes Shows ? Apprécies-tu de te rendre à ce type de manifestations ou considères-tu qu'il s'agit d'une obligation professionnelle ?

Ce n’est pas une obligation, j'apprécie les pipe shows. J'aime pouvoir rencontrer les gens que j'ai connu seulement par courrier électronique, j'aime voir les pipes d'autres fabricants. La seule chose m'empêchant d’aller à plus de shows c’est mon calendrier. La plupart d'entre eux ont lieu durant l'automne et l'hiver, plutôt que l'été où j'ai des semaines sans représentation. Peut-être un temps viendra dans ma carrière musicale où j'estimerai que je peux me permettre de manquer un concert pour aller à un show, mais je n’en suis pas encore là.

S'il existait un Show important en France, souhaiterais-tu y participer ?

Certainement, je voudrais y assister. J'aimerais beaucoup vous rencontrer ainsi qu’Erwin Van Hove, Claude Wyss et d'autres amis / clients. Je voudrais rencontrer les pipiers que je n'ai pas rencontré à Chicago. J'adore la pipe grenouille de Claude Wyss par Rogrus, ce serait bien de le rencontrer. Que ce soit ou non possible dépendra de savoir si j’ai le temps d’y assister et de faire des pipes à apporter.

Es-tu en contact régulier avec d'autres pipiers ? Est-ce que ces relations te semblent importantes pour échanger des savoirs et évoluer ?

Sporadiquement. Je suis un correspondant épouvantable. Parfois je passe du temps sur pipemakersforum.com ou sur smokersforum.com et participe aux discussions. Mais ça prend du temps; si vous n'arrivez pas à suivre le volume s'accumule. Il y a quelques mois je lisais un fil sur smokersforum.com à propos d'une pipe de groupe éventuelle. L'avis a été risqué que la commande devrait aller à un pipier qui contribue au forum, pour le garder "dans la famille". Une autre personne a dit que ce serait imprudent, qu'il y a des tas de pipiers qui passe leur temps à faire vraiment des pipes plutôt qu’à jouer sur Internet.
"C’est juste", ai-je pensé. "Que fais-je ici ?"

Quand j'ai commencé à faire des pipes, Internet était très utile et il y a de toujours bonnes choses ici et là. Mais au bout d’un moment il semble que les informations se nivellent et c'est les mêmes sujets qui reviennent encore et encore. Il me serait beaucoup plus profitable de pouvoir voyager et de passer quelques jours avec chacun des fabricants que j'admire. C'est une visite à Paolo Becker à Rome, quand j'y étais en tournée, qui a lancé ma carrière de pipier professionnel. Je regrette de ne pouvoir rendre visite à Tom Eltang et Peter Heeschen. J'ai eu l'habitude de visiter Mark Tinsky quand ma mère a vécu au Montana. Il y a plusieurs fabricants américains que je voudrais visiter, mais d'autres choses ont du passer en premier pour le moment.

Est-ce qu’il y a un pipier, actuel ou passé, dont tu te sens particulièrement proche de part ses créations ou sa conception du métier ?

Un pipier ? Non. J’ai été adopté comme un pipier par Paolo Becker et Peter Heeschen. Je me sens plus proche de ces deux à titre de mentors, ils ont eu de l’intérêt pour moi dès le début et m'aident encore à chaque fois que je le demande.

Je suppose que j'ai adopté les idéaux de chacun d'eux. Je pense souvent à Antoine de Saint-Exupéry disant que la perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer et je pense que tant Paolo que Peter font des pipes comme ça. Mais plus je tente de réduire la liste, plus nombreux sont les pipiers qui me viennent à l'esprit. Il serait présomptueux de dire que je me sens proche dans la conception de Tom Eltang, Lars Ivarsson, Kent Rasmussen ou Cornelius Maenz, mais j'ai beaucoup d'images de leurs pipes dans mon ordinateur.

Lors de la réalisation d'une pipe, les critères techniques et esthétiques sont-ils essentiels à part égale ou l'un est malgré tout prédominant ?

La forme du foyer et le passage d’air sont des facteurs techniques essentiels sur la manière de fumer de la pipe et je crois qu'ils ne devraient pas être sacrifiés pour la forme. Le poids est une autre question et dépend de la pipe. La légèreté est un facteur technique désirable en soi, mais quelques formes exigent un peu plus de matière et certains fumeurs n'objectent pas à plus de poids en échange d'un effet visuel. Mais le tirage est la chose la plus importante. Si je fais tout ce que je peux pour que chaque pipe fume bien, le client fera le choix juste.

Concevoir de nouvelles formes ou apporter une touche personnelle est -ce essentiel dans la conception de ton activité de pipier ?

Ce n'est pas vraiment un but en soi pour moi de développer de nouvelles formes. Peut-être y a-t-il un rapport avec le fait d’être musicien dans un orchestre, mais je suis plus inquiété par le fait que mes pipes soient belles et de grande qualité que par le fait qu’elles soient originales. C'est important pour moi d'avoir mon propre style, mais encore plus important que ce style soit logique et de bon goût. En essayant de faire de belles pipes, j’en ai très occasionnellement fait qui différaient légèrement d'autres pipes que j'ai vues, mais je me méfie de déclarer que j'ai fait quoi que ce soit d'original. Aussitôt que je vais me déclarer le créateur d'une forme quelqu'un m'enverra par mail une image de la même forme faite par Sixten Ivarsson en 1975.

Est-ce qu'il y a un de tes modèles qui a plus de succès que les autres, que l'on te demande particulièrement ?

Je ne pense pas. Je suis heureux que les gens veuillent des Clams, des Cobras et des Ukuleles aussi bien que des Lovats et des Bulldogs. Les commandes pour les Clams, les Cobras et les pipes de ce genre ont tendance à prendre plus de temps pour y répondre car elles sont plus longues à faire et sont plus exigeantes de beaux blocs de bruyère, mais en regardant la liste des pipes achevées de l'année dernière et la feuille de commandes à remplir, il y a une belle répartition entre les formes traditionnelles et "mes" designs.

Merci Jack.