Sixten Ivarsson

Sixten Ivarsson est né en Suède, en 1910, dans une famille pauvre. Son père meurt alors qu'il est âgé de huit ans. C'est au milieu des années trente qu'il arrive avec sa femme au Danemark, où l'attend un emploi pour son beau-frère. Il va travailler au recouvrement des factures ! Pour arrondir ses fins de mois, il fabrique des épingles de matelassier avec des rayons de roues de bicyclettes.

Seconde Guerre mondiale : plus d'arrivées de pipes anglaises ou françaises, et Sixten doit réparer lui-même sa pipe. Il finit par s'en fabriquer une en orme, mais ne peut tourner une tige. Il entre dans un atelier de réparations de pipe, mais le réparateur est malade, et pour un certain temps; Sixten, habile de ses mains, et habitué au travail du bois, propose de le faire lui-même. Il devra d'abord réparer le tour, avant de réaliser sa tige, mais il y gagne un emploi de réparateur, qu'il gardera de longues années, pendant lesquelles il apprendra, dit-il, ce qu'il ne faut surtout pas faire pour monter une pipe.

S'il n'y a pas moyen de trouver des pipes, on peut du moins se fournir en bruyère : un client lui demande de faire le double d'une pipe qu'il apprécie. Sixten promet une copie. Il est devenu fabricant de pipe. La rumeur se répand qu'il est possible d'acheter des pipes, même si elles ne sont pas forcément classiques. Elle arrive au petit village de Kyringe.

A Kyringe, il y a une petite usine, Kyringe-piben, qui pendant la guerre a surtout produit du charbon de bois, et quelques pipes en hêtre. Son propriétaire, Poul Nielsen, a bien l'intention de développer cette activité.

Il rencontre Sixten, tombe sous le charme de ses modèles : c'est ainsi que commence une collaboration de quarante années entre Ivarsson et une maison qui dorénavant s'appelle Stanwell...

Dès le premier catalogue, ce ne sont pas moins de dix formes crées par Sixten qui peuvent être copiées, et proposées en grande quantité. Entre 1949 et 1983, ce ne sont pas moins de quarante formes imaginées par Ivarsson qui entreront dans le catalogue Stanwell.

C'est cette collaboration fructueuse qui lui permettra de devenir indépendant, au début des années cinquante.

Au Danemark, on entre dans l'ère du fonctionnel : maisons, meubles, tout doit être fonctionnel, simple d'emploi. D'autre part, on conçoit qu'il faut utiliser la matière au mieux, en respectant ses singularités. Partant de ces principes, Ivarsson pense qu'une belle pipe est avant tout une bonne pipe, techniquement bien faite (souvenir de ses années de réparation), et tente d'obtenir le meilleur angle, la meilleure utilisation possible de l'ébauchon pour un rendu le plus beau possible. Il peut ainsi, en cas de défaut de la bruyère, modifier son dessin initial autant que faire se peut.

C'est lui qui, le premier au Danemark, a eu l'idée de ne pas polir le dessus d'un fourneau, et de le laisser tel quel. Il appelle ce modèle l'Unfinished.

Souvenir peut-être des ses années pauvres, il finit par allonger les courtes tiges de ses pipes avec des matériaux inusités jusqu'alors : bambou, corne, os. Il ira jusqu'à récupérer, lors de ses visites à l'usine Stanwell, des ébauchons mis au rebut, mais dont il était certain de pouvoir tirer quelque chose ! Et contrairement à certains artistes qui hurlent aux loups quand ils voient leur côte baisser, il pensait au contraire que les beaux objets devaient être accessibles à tous. C'est lui qui montrera aux ouvriers de Stanwell comment raccorder correctement une tige en bambou.

Si ses pipes avaient au départ été crées en attendant le retour des formes anglaises classiques, il va vite s'en échapper. C'est en 58 ou 59 qu'il présente sa première ukulele, dont Eltang présente encore des modèles aujourd'hui. Alors que les pipes étaient jusque là faites au tour, Sixten va pouvoir, en les fabriquant à main levée, c'est à dire en tenant l'ébauchon en main, proposer des formes jamais vues jusqu'alors, comme l'Oliphant.

Il va ainsi influencer toute une jeune génération, les encourageant à essayer de nouvelles formes, et leur répétant qu'il serait un bien mauvais maître, si ses élèves ne devenaient pas meilleurs que lui. Avant Sixten ivarsson, un fabricant de pipe était un ouvrier, après lui les pipiers seront considérés comme des artistes. La liste est longue, on peut citer entre autres Bo Nordh, Hiroyuki Tokutomi, Jess Chonowitsch, Poul Rasmussen, Kazuhiro Fukuda des pipes Tsuge, Viggo Nielsen...

Deux anecdotes décrivent le personnage : alors qu'il montrait ses derniers modèles à une connaissance, entre un monsieur pressé, qui lui demande s'il a des pipes. Réponse négative de Sixten, et sortie du personnage. Son visiteur, étonné, lui demande pourquoi il n'a pas donné suite, et Sixten : "Avez-vous vu ses pipes ? Sales et pas entretenues. En plus, il avait un paquet de McBaren qui sortait de sa poche ! Je ne vais pas vendre mes pipes à un type qui n'en prendra pas soin et fumera n'importe quoi dedans !" Et alors que ce même visiteur lui demande si la pipe à tige en bambou qu'il lui achète est bien solide, Sixten la jette en l'air, la laisse retomber, la ramasse et la lui tend en disant : "Oui, j'en suis sur, mais que ça ne devienne pas une habitude !"

Sixten fabriquera ses dernières pipes en 1993 ou 94, il a eu son fils Lars comme apprenti, et sa petite fille Nanna l'aidera dans les dernières années, elle qui a de meilleurs yeux que son grand-père.

Sixten Ivarsson est mort en 2001.