Poèmes

Doux Charme de ma Solitude

Sonnet attribué généralement à Lombard qui, dans le XVIIème siècle, était ministre protestant à Middelbourg (Pays-Bas). On lui donne aussi comme auteur Charleval.


Doux charme de ma solitude,
Charmante pipe, ardent fourneau,
Qui purge d'humeur mon cerveau
Et mon esprit d'inquiétude ;

Tabac dont mon âme est ravie,
Lorsque je te vois perdre en l'air
Aussi promptement qu'un éclair,
Je vois l'image de ma vie.

Tu remets dans mon souvenir
Ce qu'un jour je dois devenir,
N'étant qu'une cendre animée.

Et tout confus, je m'aperçois
Que, courant après ta fumée,
Je passe aussi vite que toi.



Autant vaut prendre du Tabac

Colletet


Autant vaut prendre du tabac
Dans une pipe parfumée
Que d'aller chercher dans un sac
Le parfum de la renommée.



Triomphante Solanée

Quatrain satirique de Gondolff (XVIIIème siècle) face à l'irrésistible avancée du tabac


Cris impuissants, vaines rigueurs :
La triomphante solanée
Vomit des torrents de fumée
Au nez de ses persécuteurs.



la Pipe

Stéphane Mallarmé


Hier, j'ai trouvé ma pipe en rêvant une longue soirée de travail, de beau travail d'hiver. Jetées les cigarettes avec toutes les joies enfantines de l'été dans le passé qu'illuminent les feuilles bleues de soleil, les mousselines et reprise ma grave pipe par un homme sérieux qui veut fumer longtemps sans se déranger, afin de mieux travailler : mais je ne m'attendais pas à la surprise que préparait cette délaissée, à peine eus-je tiré la première bouffée, j'oubliai mes grands livres à faire, émerveillé, attendri, je respirai l'hiver dernier qui revenait. Je n'avais pas touché à la fidèle amie depuis ma rentrée en France, et tout Londres, Londres tel que je le vécus en entier à moi seul, il y a un an, est apparu ; d'abord les chers brouillards qui emmitouflent nos cervelles et ont, là-bas, une odeur à eux, quand ils pénètrent sous la croisée. Mon tabac sentait une chambre sombre aux meubles de cuir saupoudrés par la poussière du charbon sur lesquels se roulait le maigre chat noir ; les grands feux ! et la bonne aux bras rouges versant les charbons, et le bruit de ces charbons tombant du seau de tôle dans la corbeille de fer, le matin - alors que le facteur frappait le double coup solennel, qui me faisait vivre ! J'ai revu par les fenêtres ces arbres malades du square désert - J'ai vu le large, si souvent traversé cet hiver-là, grelottant sur le pont du steamer mouillé de bruine et noirci de fumée -avec ma pauvre bien-aimée errante, en habits de voyageuse, une longue robe terne couleur de la poussière des routes, un manteau qui collait humide à ses épaules froides, un de ces chapeaux de paille sans plume et presque sans rubans, que les riches dames jettent en arrivant, tant ils sont déchiquetés par l'air de la mer et que les pauvres bien-aimées regarnissent pour bien des saisons encore. Autour de son cou s'enroulait le terrible mouchoir qu'on agite en se disant adieu pour toujours.


le Petit Matelot

Pigault-Lebrun


Contre les chagrins de la vie,
On crie et ab hoc et ab hac.
Mais je me crois digne d'envie
Quand j'ai ma pipe de tabac.

Aujourd'hui, changeant de folie
Et de boussole et d'almanach,
Je préfère fille jolie
Même à la pipe de tabac.

Le soldat baille sous la tente,
Le matelot sur le tillac ;
Bientôt ils ont l'âme contente
Avec la pipe de tabac.

Si pourtant survient une belle,
A l'instant le cœur fait tic-tac
Et l'amant oublie auprès d'elle
Jusqu'à la pipe de tabac.

Je tiens cette maxime utile
De ce fameux monsieur de Crac :
Fêtons l'amour et le tabac.
Quand ce grand homme allait en guerre,
Il portait dans son petit sac
Le doux portrait de la bergère
Avec la pipe de tabac.