Mes sorties en boites

par Nightcap

21/09/15

Bayou Night, de Cornell & Diehl

Rien qu’au nom, je me doutais qu'on ferait dans le spécial.
Je ne sais pas comment ils font, chez Cornell & Diehl, pour trouver les titrailles de leurs blends. Mais l’idée d’évoquer comme fragrances gourmandes des moiteurs moisissantes de marais et de l’haleine d’alligator, … je ne sais pas, mais j’aurais hésité.

D’ailleurs, je ne sais même pas pourquoi j’ai commandé çà. Par nostalgie, sans doute, des moments passés en Louisiane et en Floride, où j’ai quand même vécu un bout de temps. Par curiosité, aussi.

Le Bayou night, de par sa composition, est en effet un monument. Une star du too much.

Déjà, au menu, on t’enfourne quasiment l’intégralité de la gamme tabagique dans la boite. Et je te mets du Burley, et je te colle du Perique, et du Latakia… et du Virginia. Et puis tiens, de l’Oriental, en prime.
N’en jetez plus, la boite est pleine…
C’est bien simple, il manque juste un zest de Kentucky et trois brins de Maryland, pour faire le tour des tabacs à bouffarde.

Je sais, c’est tendance : plus ça va, plus les blenders en rajoutent. Plus nous allons, et plus nos mélanges relèvent de la recette du ragoût irlandais, si drôlement décrite dans « Trois hommes dans un bateau » (comme l’écrivait Jerome K. Jerome : « C’est l’avantage de l’Irish Stew, qu’il vous débarrasse d’un tas de choses. »…)
Mais, en ce qui me concerne, je déteste les « pizzas royales », où sous prétexte de faire riche, on t’ajoute de la merguez sur du saumon fumé.

Et ce n’est pas tout. Non seulement le pizzaïolo qui a inventé çà joue les salades niçoises, mais en plus, il a eu la main un peu lourde sur un ingrédient très particulier. Ce blend contient … 50% de Perique.
Oui, oui. La moitié du paquet en herbe de St James Parish.
Ce qui en fait, aujourd’hui, le tabac le plus periqué du monde.

C’est sans doute pour cela, que je l’ai commandé. Pour goûter. Rien qu’à la composition, aussi : je savais que ce serait spécial.
Puis j’ai ouvert la boite.

Et … c'est spécial.
C'est même la première fois de ma vie que je reconnais, à l'ouverture d'un tabac, un parfum simple, immédiatement reconnaissable, indiscutable : le fromage. Tu mets ton nez dans la boite, ça renifle le Roquefort, matiné d'un vieux Comté d’alpage longtemps oublié au soleil. Et pas qu'un peu.

A 9h30 du matin, heure usuelle de ma première dégustation, moment béni où la papille, à peine effleurée par l’arabica matutinal, s’éveille à sa pleine fraîcheur… à 9h30 du matin, dis-je : ce n'est pas exactement engageant.
Certes… Après plusieurs jours d’ouverture, les remugles de fromagerie laissent peu à peu la place à une note de cœur où se mêlent maintenant, de façon impudente et massive, de bons vieux relents de prune pourrie et de mauvais vinaigre, propres au Perique.
Mais franchement, ce n’est guère mieux.

Au fumage, quand même, on oublie le Roquefort.
J’allais dire : on le regrette… ;-) Très vite se développe en effet un arôme assez épais, où traînent en vrac : des goûts d'alcool de prune, de sirop pour la toux, et d'autres choses encore, plus difficiles à identifier, de prime abord; comme du biscuit chocolaté qui s'impose toutefois assez vite (le Burley), sur fond de moiteurs moisissantes des mangroves du delta ; et de remugle de bois en décomposition.

Pour ma part, j’adore les tabacs britanniques. Et, de fait, entre les bayous et les rives anglo-saxonnes, à bien y regarder, il existe quand même deux points communs.
1. Le taux d’hygrométrie local (d’ailleurs, le Bayou night est livré avec. Mieux vaut faire sécher les brins avant de bourrer le fourneau, si tu ne veux pas transformer ta bouffarde en delta du Mississippi).
2. Le Latakia. En théorie, ils en ont également fourré dans le Bayou night. Comme dans un « Anglais ». Mais en la matière… y a quand même une sacrée trotte, entre Bâton rouge et Jermyn Street. Dans la version louisianaise, le délicat « feu de camp » chypriote semble tout juste bon à faire cramer des brochettes de lézard aquatique, en première moitié de bol ; pour aller se noyer quelque part dans le bayou, à mesure que l’on fume…

En revanche, soyons juste : si tu gardes la papille éveillée, je te promets, en guest stars de milieu de bol, d’étonnantes odeurs de champignon chinois bouillis trempant dans de la prune persistante ; champignons qui précèdent - on se demande bien pourquoi - des soupçons de confiture de figue venus trop tard en fin de bol.
Le tout, évidemment, bien lourd.

Drôle de mélange.

Ah, certes. Original, c’est sûr... C’est même indiscutable.

Personnellement, j'ai connu des nuits au bord des bayous (de vraies nuits, lors d'une vraie virée, à dormir dans un hamac). C'était fort original, et très intéressant.

Il faut le dire : au niveau tabacologique, le produit de Cornell & Diehl est également très intéressant.
Et puis, là, au moins, tu es sûr qu'un alligator va pas sortir de ta bouffarde pour te faire un câlin.

Mais au niveau gustatif, soyons francs : c'est carrément pas bon.

A mon avis. ;-)

Margate, de Esoterica

Il était une fois un garçon du nom de Marcel, qui avait goûté, un jour qu'il était grand, une Madeleine, comme il en mangeait souvent à Combray... Et cette pâtisserie lui causa un grand trouble, un sentiment très étrange et très fort...

Eh bien… en ouvrant la boite de Margate, et en le humant, j'ai ressenti le même sentiment, très fort et très étrange. C'était, oui, le tabac que j'avais fumé chaque jour, pendant 15 ans et jusqu'en 2006. Le Dunhill Standard Mixture (full).

Le même parfum, le même équilibre, cette odeur de Latakia chypriote, relevé d'un zest de Syrien, sans doute; cette odeur de fumé, comme du bacon (pas du lard) grille dans la poële, dans un cottage du Kent; fumé-salé, comme le goût d'un verre de Ledaig, sorti du fût où il vieillit sur la jetée de l'île de Mull… Une odeur comme tu peux la sentir, en marchant rue d'Orléans à Trouville, un soir de novembre, quand le vent de mer rabat dans les ruelles des odeurs de feux de cheminées; et de braise de pommier.
Plus : un Oriental, du Basma, surtout, qui pique légèrement, mais qui sent aussi le poivre, le Sud, l'olive et les douceurs d'un thé; et un Virginia rond, peu citronné au départ, mais plein des odeurs de foin de l'été.
Et le nez dans la boite, j'ai revu un grand bout de passé. Mais loin. Très loin.

Le Margate sent comme le Dunhill - mais un Dunhill estompé, effacé doucement par le temps. Il est plus léger, plus "loin". Plus doux. Comme les souvenirs, qui s'effacent ; les amours que tu revois, sans bien te souvenir du nom de l'hôtel ni du visage de la fille…
Le Margate, à l'ouverture, ce n'est pas un Dunhill Standard; c'est une mémoire de Dunhill Standard.

Au fumage, c'est pire. Le goût y est, parfaitement. Un régal, un délice, un immense tabac anglais, subtil, complexe, construit; sec et salé, fumé et épicé, rond et pointu - entre le Latakia et l'Oriental le Virginia vient jouer les arbitres, sans séparer les complices... Mais mezzo vocce. En sourdine.

Peu à peu, quand même, la fumée se fait plus présente, plus existante. Les orientaux jouent des coudes, pour mettre en bouche des arômes tendres et saoûlants : de l’alcool de figue, des parfums de souk d’Istanbul, des épices, de la cardamone. Le latakia embaume, comme un coin de cheminée dans une auberge de bord de Loire, quand l’automne mûrit dans les vergers. Et des vapeurs de thé au citron viennent des Virginias, mettre de la douceur dans l’air.
Et là, du coup, je revois l’auberge, et la fille au thé, et la boite rouge du Standard mixture..

Le Margate se révèle, peu à peu. Un peu tard. Car le tout, même en fin de bol, reste plus léger, plus délicat ; si loin, du même coup, de la force carrée et assumée de feu le Dunhill d’antan, que tu en mesures l'écart comme une longueur du temps, et que cette différence ne mesure plus deux blends, mais ton âge lui-même.

Je veux croire que je n'ai pas encore l'âge de fumer du Margate, que j'aime bien plus les goûts encore violents et les coups de bourrasque, que les douceurs du soir... Mais ça doit être la vodka, avec qui j'ai noyé quelques pans de nostalgie… ;-)

En tout cas, cela m'a permis de retrouver ce que disait Proust, après sa madeleine. « Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »

Et franchement… Des blends qui te font relire « Le temps perdu », ça ne court pas les civettes…

C’est même, clairement, le signe irréfutable, que, fût-il un peu « léger » pour moi… le Margate est un très grand tabac.

A mon avis. ;-)

Diamond Head, de Hermit – collection Captain Earle’s

Tu le comprends vite, à l’ouverture. Cela va être … un peu plus abrupt que les falaises de Douvres, nettement plus sec qu’un London dry gin, aussi rugueux que le bonnet en poil d’ours des Horse guards… et légèrement plus goûtu qu’un très vieux Cheddar.
Bref, c'est un anglais.
Un vrai.

Au départ, tu regardes : et c’est même aussi beau et gai que la mort de Nelson à Trafalgar. Pas de flakes alléchants, pas de ribbon joyeux. Cela se présente sous forme d’un cake massif, brun-noir, bien carré, qui n’a d’autre charme que sa masse puritaine.
Tu renifles, et t’entends illico le Rule Britannia.

« Doctor Latakia, I presume ? ». Yes. Ce cake sent le feu de camp, le goudron de marine, avec un zest de créosote, de façon franche et brutale. Du Chypriote de haute tenue.

Avec un peu d’attention, on distinguera aussi d’autres parfums – quelques traces de foin, un arrière-goût de citron, un peu de myrrhe -, mais ces arômes sont alors si légers, si discrets qu’ils semblent s’excuser de sortir de la boite.
Bref, c’est british, jusqu’au bout des brins. Un Anglais à l’ancienne, un Anglais d’avant les douceurs, un Anglais… qui ressemble un peu à ce qu’était feu mon tabac préféré : le Dunhill Standard Mixture full, tel qu’il se présentait avant 2006.

En plus fort, en plus brut (un peu). Mais le principe est le même.
Foin des émollientes évanescences des turqueries du Bosphore. Fi des cavendish sucrés que des yankees sans scrupule glissent, depuis 20 ans, dans nos Anglais pour en faire des guimauves ; et adieu les maléfices vaudous de Louisiane, que des blenders pervers ont peu à peu glissé dans nos boites britanniques à coups de perique.
Ce Tabac est composé, classiquement, de Latakia, d’Orientaux, de Virginias. Mais ici, les 2 derniers sont entièrement au service du 1er, qui dirige et commande à la baguette.
Le résultat immédiat est à peu près aussi démagogique que le fameux discours de Churchill du 13 mai 1940. « Je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, des larmes et de la sueur ». En l’occurrence : « je n’ai rien d’autre pour vous réjouir que du fumé, du grillé, du salé ».
En arrière plan, tu vois Lord Lovat remonter vers Pegasus Bridge à la tête de ses commandos, au son de la cornemuse. Des gentlemen de la RAF décoller à l'aurore. Et quelques images des Canons de Navarone.
En clair, donc, et de prime abord, le Diamond Head est un tabac héroïco-rigide, qu'on fume droit et fier, sans concession, sous la mitraille.

On s‘en rendra compte, peu à peu, au fumage : c’est partiellement faux. Albion est perfide... Et d’autres plaisirs se sont glissés dans le cake. Mais c’est ainsi que cela se présente. Et les premières bouffées – carrément délicieuses, si on aime le latakia – ne font que confirmer les premières senteurs.

Ah oui, j’oubliais. Ce mélange s’appelle Diamond Head. Tête de diamant. Le nom n’est pas si idiot : c’est en effet très dur, très incisif. Et brillant. Le vendeur, lui, s’appelle Hermit. Maison inconnue, du moins ici. Quel dommage.

Allez, tiens, je te raconte vite fait. Comme ça, tu auras presque 3 revues pour le prix d’une. ;-)

Au départ, Hermit fut fondé par un couple. Je veux dire : un Monsieur, une Dame, vivant dans l’Ohio. Il s’appellait Jay Jones, elle s’appelle Louise Pavonetti-Jones. Tous deux - surtout lui - sont fanas de tabacs latakiés. Et de pipe.
Un jour, Jay se fait même le cadeau de sa vie : il achète aux enchères une bouffarde ayant appartenu à un ancien capitaine-baleinier de la fin du XIXe siècle, le Captain Earle, très connu aux Etats-Unis pour ses multiples aventures. Et quand Jay et Louise lancent leur propre collection de blends, le titre est tout trouvé : « Captain Earle’s », bien sûr.
Depuis, Jay est mort (en novembre 2011). Mais Louise a continué l’aventure, en confiant à Cornell & Diehl la fabrication de leurs blends.
Notamment celle des Captain Earle’s…

On trouve, dans cette collection, plusieurs types de tabacs. Dont, notamment, des Anglais… assez ou très latakiés.

Le Ten Russians, en particulier, est clairement une Lat bomb.
L’expression est courante, en Anglais. Pour ceux qui l’ignorent : on entend par là des tabacs carrés, massifs, qui te donnent l'impression d'avoir fait fondre dans ton thé noir de gros morceaux de suie, récoltés dans le conduit d'une vieille cheminée de campagne (si tu n'aimes pas le thé, tu peux même directement monter sur un escabeau, dans l'âtre, pour lécher le dit conduit ; le goût est assez fidèle...). De ces mélanges qui te font directement valser les molaires; te cramer les papilles; et penser très fort à la célèbre scène de la cuisine, dans les Tontons Flingueurs... De ces Anglais de l'ultime, dont on aimerait se dire : "j'ai connu une Polonaise qui en fumait au petit déjeuner"... (mais non, faut pas prendre les Polonais que pour des dingues)... De ces blends qu'on comparerait facilement - en matière de fromage - à la dégustation d'un Epoisse au lait cru, oublié 8 jours sur une terrasse de Marrakech - quand ce délice est devenu assez liquide pour que tu puisses, si besoin, repousser délicatement l'asticot farceur, du bout de ta cuillère...
Bref, de ces mélanges qui font hurler les chiens, trembler les hommes et fuir les femmes (sauf la mienne, heureusement; elle, c'est le perique qui la chagrine)...

Oh, bien sûr, on ne peut pas fumer que cela (à moins, naturellement, d'être Terre-neuvas ou cosaque du Donbass). Mais de temps en temps, une Lat bomb, personnellement… c'est comme l'Epoisse très fait, dégusté avec un vieux marc : j'aime bien. Et notamment le Ten Russians, qui dans ce genre, est parfait.

Autre gloire de chez Hermit : le « Stimulus Package ». Nettemment moins « fort » que le « Ten Russians ». Et un peu plus doux, plus citronné, plus « acide », voire un peu plus « équilibré » diront certains, que le Diamond Head, dont il est quand même très proche.

Mais des trois Captain Earle’s (« Ten Russians », « Stimulus Package », « Diamond Head »), ce dernier reste mon favori. Précisément pour sa cohérence et son vrai parti-pris, qui ne verse pourtant pas dans l’extrême.
Certes : ce n’est pas une merveille de complexité. Du moins dans la première partie du bol. Mais dans notre monde malade de sa propre complication, un peu de clarté n’est pas désagréable.
(Sur ce point : ce tabac n’est pas seulement Churchillien, il est même Gaullien. Comme l’écrivait un jour ce brave général : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». Là, aussi : en apparence le principe est clair, et c’est reposant : « Envers et contre les orientaux-balkaniques complexes, j'impose une idée simple : le Latakia au 1er rang; les orientaux, merci de la mettre en sourdine ».)

Mais attention. Ce tabac est vraiment Anglais. Donc perfide.
Derrière la rigueur anglicane et les pudibonderies de l’ère victorienne se profilaient aussi, au XIXe, les délices troubles du corset et de l’éducation à l’anglaise.
Idem, pour le Diamond Head. Peu à peu, d’autres senteurs murmurent également en douce, puis de plus en plus fort : anglaises, aussi, comme celles des jellies qu'affectionnent tant les vieilles Miss du Kent...
Des fragrances légères de fruits, notamment. Cet après-midi, aux 2/3 du bol, j’ai même eu droit à 3 bouffées – puff puff puff – qui sentaient le melon. Deux – puff puff – qui sentaient le cassis.
Et même une, en fin de fin de la fin du bol, qui sentait… (puff) le foin mouillé (« tiens les virginias, z’étiez là, autrement que pour jouer l’air citronné ? Cool »)… puis enfin la laitue cuite - ! - mais là, le bol était fini ;-).

Mieux : en seconde partie du bol, le fumeur commence aussi à entendre, sous la sévère férule du maître chypriote, s'échapper des soupirs torrides venus de beautés orientales soumises… Des douceurs lascives de douleurs exquises.
Des résurgences.
« Tiens, le Basma, salut ! T’étais là aussi, je t’avais pas vu… »

Il est là, pourtant, avec d’autres turcs. La preuve : l’autre jour, une heure après que j’en ai fumé un bol, un collègue est rentré dans mon bureau ; s’est arrêté, surpris, et m’a demandé en rigolant « Ouhaou, tu as célébré une messe ? T’as brûlé de l’encens ? »
Et de fait, je m’en suis rendu compte, par la suite. Une fois le « feu de camp » évaporé, la room note du Diamond Head est bien celle qu’on peut sentir, dans une église, après l’office…

Ce qui prouve aussi, en un sens, qu’à défaut d’être un tabac sacré, cet Anglais est plus complexe qu’il n’en a l’air.
Et même que c'est, finalement, un sacré tabac.

A mon avis. ;-)

Lancer’s slices, de Charles Fairmorn

Personnellement, ce tabac me ravit.
Je ne suis pas le seul. Voir la belle revue faite ici : artfontilsuntabac10.htm.
Mais je suis plus enthousiaste encore : je trouve davantage de complexité à ce mélange original que ce qui est évoqué dans cette critique, pourtant louangeuse. ;-)
Dans la quête d'un "successeur" au Dunhill Standard Mixture (full) d'antan, dont j'avais fait mention dans ces pages, et que certains avaient assisté de leurs précieux conseils... dans ma quête donc, d'un Anglais au goût très fumé, sec (au sens d'un "vin sec"), complexe, il arrive dans le top 5 - même si les orientaux me manquent.
Et comme la revue d'Erwin date de ... 2012, je me permets de coller ici un avis, déjà publié ailleurs, pour rafraîchir le sujet : juste pour avoir, en réaction, le ressenti de vos papilles - et savoir ce que vous en pensez.

Il s'agit d’un tabac anglais, bien sûr, et même d’un tabac tellement britannique que son nom est un hommage à une unité d’élite de la colonisation anglaise : les lanciers.
Comme « Les 3 lanciers du Bengale » ? Yes, indeed.

Astucieux marketing. Promis, dans la boite, on t’a mis : des tigres, de cruelles tribus indiennes, des territoires insoumis, Gary Cooper, et une bonne dose de charges héroïques, tagada tagada. Yes, Sir.
Mais, bon, on n’est pas obligé d’être colonialiste et de hurler le Rule Britannia tous les matins un verre de gin Bombay Sapphire en main, pour aimer ce blend.

Et heureusement.
Car une fois que tu as viré tout ce folklore de ta tête, il reste quand même un tabac… étonnant.

Primo, j’ai dit « dans la boite ». C’était pour faire simple. Mais il n’y a pas de boite.
Première surprise : le Lancer’s slices (les « tranches du lancier ») ne se vend qu’en vrac. L’équivalent de 5,63 € les 56g (2 oz). Même s’il faut bien sûr rajouter le port, c’est imbattable (4 € de moins que l’Amsterdamer vendu en France… ça fait rêver).

Seconde surprise, à l’ouverture du sac. Des broken flakes, déjà effilochés : noirs, totalement noirs. Mais souples, très souples. Tu peux les enfourner direct dans ton fourneau, pas de souci, tu tasses bien, et c’est parti.

Troisième surprise : la composition. Comme les motos Triumph, également produites chez nos amis buveurs de thé (ou comme les 3 lanciers sus-cités...), un blend Anglais classique est un trois cylindres : du Latakia, du Virginia, et de l’Oriental.

Oui mais là, non. C’est un bicylindre : Latakia / Virginia. Oups. Manque un lancier...
Cette famille est finalement assez rare. On y compte certes le Commonwealth, de S. Gawith, qui – selon moi – est au tabac anglais ce que la soupe tiède au goudron est au velouté d’asperges…. Mais on y trouve aussi d’excellentes choses, comme le Balkan Flake, de Samuel Gawith ; ou le Frog Morton, de McClelland, etc.

Quatrième surprise – fort agréable : l’odeur à l’ouverture du sac. Anglaise, certes. Et fortement. Du cuir, du lard grillé, du feu de bois. Mais aussi, très loin, des fleurs … non identifiées …, mais bon, tu peux me croire : des fleurs ;-)… du foin, et très-très loin un zest de mandarine.

A la combustion : belle fumée, riche. C’est un Anglais, un vrai : le Latakia te saute à la papille. Mais avec une profonde politesse. C’est fumé, boiseux, toasté, chypriano-syrien, à mon avis ; et presque crémeux, mais sans du tout être gras. Un grand baryton.
Que le virginia accompagne, au violoncelle.

Et c’est la 5e surprise. Le résultat de ce duo, Virginia / Latakia... Car le Lancer’s Slices développe peu à peu des parfums quelques fois stupéfiants. Derrière le fumé, un côté épicé vient agréablement te chatouiller le nez (j’aurais écrit : le Lancer’s a un côté « poivré ». Mais j’ai lu une revue sur Tobacco Reviews qui parle d’un « effet Wazabi » – et c’est bien plus juste, bravo Tobacco Reviews).

En plus de quoi, tu te surprends à découvrir des notes de noix, de mandarine, de citronnelle, qui passent dire bonjour à tes papilles ; avec pendant de courts instants, des goûts d’olives grecques (Kalamata) et de gingembre, histoire de ne pas s’ennuyer.

Le tout, pour terminer, joyeusement, sans effort, sans brûlure de langue, sans problème, sur de la cendre blanche. Plus "Easy smoking", c’est dur.

Bref : c’est confortable, complexe, délicieux, profond ; c’est superbe.

Ah, oui, il manque des Orientaux. Si. Leur finesse. Leur fraîcheur, leur encens et leurs douceurs. Tu respires du Lancer’s et juste après du Skiff Mixture : et tu saisis tout de suite qu’il faudrait autre chose, en plus. Un peu, pas grand chose : une touche de Samsun, un zest de Drama… Mais bon, on va pas pleurer non plus.

Car franchement, le Lancer’s Slices est un très grand tabac. A mon avis. ;-)