Test Chacom Grand Cru

par Erwin Van Hove

22/01/06

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Voici quelque temps, j’avais testé une Butz-Choquin Collection 4 étoiles, caractérisée par le producteur comme le "nec plus ultra" de la maison. Cette pipe destinée au marché américain et dont le prix de détail se situe au-delà des $500, m’avait amèrement déçu. (voir : testbc.htm). A cette époque j’avais également voulu tester une Chacom haut de gamme, mais sans devoir débourser une somme d’argent laquelle, par principe, je ne suis prêt à investir que dans une pipe d’artisan.

Il y a quelques semaines j’étais donc fort content d’avoir pu décrocher sur Ebay Amérique un coffret de présentation contenant trois Chacom Grand Cru. Etant le seul et l’unique enchérisseur, j’ai payé le prix de départ, soit $99. Une aubaine. La série Grand Cru est taillée à la main par "notre artiste", c’est du moins ce qu’on peut lire sur le site web de Chacom. Concrètement cela signifie que c’est en principe Pierre Morel qui les fait dans des plateaux corses.

Chacom Grand Cru

Quand j’ai ouvert le colis, j’ai été surpris de découvrir la taille de la boîte de présentation : il s’agit d’un coffret style humidor très soigné. Etant sceptique, je me méfie toujours de produits qui sont vendus dans un emballage coûteux et tape-à-l’œil. Inquiétude injustifiée. Chacune des trois pipes arbore une bruyère naturelle, sans teinture, sans failles visibles et avec du vrai straight grain sur tout le pourtour du foyer. Chapeau : beau bois. Ce qui frappe également d’emblée, c’est la légèreté de ces pipes, alors que les parois ne sont pas vraiment minces. C’est souvent de bon augure.

Il s’agit de formes passablement classiques et qui ont une certaine élégance, si ce n’est une élégance certaine. Le montage de chaque pipe est parfait : aucune lumière ne filtre entre le raccord tuyau/tige. Je suis également très content de constater que les tuyaux ne sont pas en acrylique, mais en paracaoutchouc, une sorte d’ébonite assez dure. D’après ce que j’ai appris, il s’agit d’une exception à la règle, parce que d’habitude Morel monte les Chacom fait main d’un tuyau en acrylique. Mais il paraît également qu’à l’époque où ces pipes ont été faites, Chacom employait parfois la même matière que Dunhill. Je ne saurais confirmer ou infirmer cette affirmation, mais il est vrai que la sensation en bouche de ces tuyaux me rappelle celle des Dunhill. Bref, côté extérieur, tout baigne.

Temps d’examiner l’intérieur. A mon grand étonnement pas de filtres en métal et des flocs qui manifestement n’ont pas été prévus pour contenir des filtres. Il s’agit clairement de pipes destinées à l’exportation. Côté perçage, pas de surprises : la plus courbe est percée à du 3,5mm classique, les deux autres sont typiques pour Morel : un perçage de 6mm dans le fond de la mortaise et qui se rétrécit en direction du foyer. Les flocs, eux, présentent une extrémité plus fine sortant du corps du floc qui, lui, est d’un diamètre normal. Cette extrémité entre donc dans le fond de la mortaise. D’après ce que j’ai pu comprendre, il s’agit là d’un floc spécialement conçu pour le marché américain et qu’on a baptisé "isolant modifié". Ce système, je le trouve un peu bizarre et je ne vois pas très bien l’avantage qu’il pourrait présenter. Un floc qui touche le fond de la mortaise, c’est logique, mais je me demande à quoi sert cette extrémité plus fine. Qu’à cela ne tienne, je n’ai pas de parti pris. On verra bien ce que ça donnera au fumage. Deux des trois pipes présentent un foyer dans lequel le perçage aboutit exactement comme il faut : en plein milieu et au fond. La troisième n’est pas parfaite : le perçage est un tantinet trop haut, mais rien de vraiment gênant. Je remonte les tuyaux et fais le test de la chenillette : la plus courbe ne passe pas le test, les deux autres sans problème. Rien de surprenant.

Examinons les tuyaux. Un des trois est un peu trop épais à mon goût. Ceci dit, je ne peux pas dire qu’il soit vraiment inconfortable. Pour les deux autres, il n’y a qu’un mot qui convient : excellent. C’est fin, c’est agréable. Pareil pour les boutons : comme il faut, c’est-à-dire efficaces et cependant discrets. Les ouvertures dans le bec sont de simples rectangles assez étroits. Aujourd’hui, les bons artisans taillent des ouvertures plus arrondies et plus ouvertes, mais à l’époque où ces pipes ont été faites, c’était le système usuel. Les trois Morel que je possédais déjà ont des becs qui ne se distinguent pas exactement par leur finesse. Les tuyaux de ces trois Chacom sont donc de qualité nettement supérieure à ce que j’avais attendu. A vrai dire, ce sont les meilleurs tuyaux français que j’aie jamais eus.

Chacom Grand Cru

Le baptême du feu alors. Ce que j’avais remarqué en soupesant les pipes, se confirme : elles sont remarquablement légères et donc faciles à tenir entre les dents. Le tirage ne pose aucun problème, les pipes se fument facilement. D’ailleurs très vite elles commencent à produire un goût agréable et bien défini. Ce sont en effet des bruyères de qualité qui ont longuement séché. La plus courbe a une légère tendance à fumer humide, mais quand j’apprends à trouver le bourrage qui lui convient, le problème est réglé. Au moment du nettoyage des trois pipes, je constate à la couleur des chenillettes qu’elles produisent quand même pas mal de condensation. Je remarque d’ailleurs également que la face du floc d’où sort l’extrémité plus étroite, accumule pas mal d’impuretés, vraisemblablement parce que la fumée vient y buter. Puisque les pipes fument bien, c’est un détail.

D’après ce que j’ai pu trouver sur le web, les Chacom Grand Cru naturelles se vendent au-delà des 200 euros. D’accord, ce n’est pas donné et dans cette fourchette de prix il y a pas mal d’alternatives valables.

Mais quand je considère l’excellence de la bruyère employée, la flamme vraiment très jolie et régulière et qui n’a rien à envier à une belle italienne, l’absence de failles visibles dans le bois, les tuyaux agréables et confortables dans une matière de qualité, j’ose soutenir que ce prix est justifié. Après la débâcle de la Butz-Choquin Collection, je n’avais pas de grands espoirs pour ces trois Chacom, d’autant plus qu’à l’époque où j’achetais encore régulièrement des pipes françaises, j’affectionnais davantage les BC que les Chacom. Maintenant que j’ai testé non pas une, mais trois pipes qui s’avèrent tout à fait respectables, je dois conclure qu’il ne s’agit pas d’un hasard. C’est tout simplement du bon boulot.