Test d'une Jose Rubio

par Gilles Suisse

07/09/15
une pipe de Jose Rubio

Les pipiers produisant des bouffardes aux sablages époustouflants ne courent pas les rues et sont presque des demi-dieux dans le monde des mordus de la pipe.

Or voici quelques temps que je vois passer des pipes aux sablages dignes de ces grands maîtres alors que le bonhomme m’est totalement inconnu. Il s’appelle Jose Rubio.

Piqué au vif, je file surfer sur notre beau manuel des castors juniors et je tombe sur la présentation faite par Guillaume : Rubio.htm. Jose Rubio n’est donc pas l’une de ces stars américaines mais c’est un pipier venant des Asturies espagnoles. Un presque de chez nous !

Si je reconnais que je n’apprécie pas forcément toute sa production (certaines formes me laissent un peu perplexe), je ne peux résister à la tentation d’une canadian sablée à la teinte miel. Vite, je lui envoie un email (jrubio752@gmail.com) pour savoir si la pipe est toujours disponible et connaitre son prix. Ayant passablement oublié l’espagnol par manque de pratique, je corresponds avec lui en anglais. Je me fais comprendre tant bien que mal (sans vouloir médire, son anglais parait autant peu précis que le mien) : la pipe est disponible et, actuellement, toutes ses pipes sont à 300 euros, port compris.

C’est un prix qui n’est pas dérisoire et je me dis que je prends un certain risque, la pipe pourrait être mal construite et peu confortable. Par contre, si elle est bien faite, vu le nombre d’heures considérables pour réaliser un sablage si profond et précis, le tarif horaire devient très doux. Je suis rassuré car Jose me dit que je peux lui renvoyer la pipe si elle ne me plaît pas. Soit qu’il est sûr de son talent et sait que ses pipes ne sont jamais retournées, soit j’ai affaire à un débutant qui ne sait pas trop où il va, … qui sait ? En tout cas, l’homme semble modeste, ce qui est plutôt bon signe.

Après quelques jours d’attente, le postier dépose un colis. Elle est bien arrivée, dans sa jolie pochette à motifs jaune. Et là, c’est tout de suite un grand «wouaaa, quel sablage !». Des photos valent mieux qu’un long discours. Je vous laisse admirer le job. Non, ce n’est pas un débutant et il sait travailler de ses dix doigts.

La forme est harmonieuse et maîtrisée. Si je chipotais, j’ai l’impression que le fourneau est à exactement 90 degrés avec la tige voire 2-3 degrés de moins alors qu’à mon avis, même sur une droite classique, avec un fourneau de quelques degrés supplémentaires vers l’avant, on peut affiner la silhouette d’une pipe droite. Attention, ça doit rester très léger, sinon on risque de se retrouver à mi-chemin entre une billiard et une belge.

Techniquement, elle est percée large et parfaitement dans l’axe, ce qui lui permet de respirer sans effort.

Le tuyau est soigné. Son floc est bien creusé avec effet entonnoir. La lentille est travaillée de manière assez sensuelle. Certes, l’épaisseur de 4.5 mm de cette lentille n’a rien d’impressionnant de finesse. Par contre, son ouverture est tellement large et haute que ce n’est plus une ouverture en V mais presque en U. Sans aucun angle vif, le contact en bouche et avec la langue est des plus agréables. Encore une fois, je possède quelques pipes dont une Former qui ont une lentille plus fine, mais cela n’empêche pas cette Rubio d’être confortable.

Vu le foyer non préculotté, son passage d’air parfait et sa teinte miel, ce dernier critère étant purement subjectif je le reconnais, je me dis qu’elle devrait faire une bonne fumeuse de Virginie et que je pourrais tenter de lui faire passer l’épreuve redoutable du très susceptible Best Brown Flake de Samuel Gawith. Il s’agit en effet d’un tabac qui a une forte tête et ne se laisse pas apprivoiser par la première pipe venue.

Les premières bouffées sont un régal. Je suis particulièrement surpris de pouvoir bénéficier de l’agréable odeur de boulangerie dès le premier fumage. C’est presque trop beau. Cependant, par la suite, certaines bouffées ont épisodiquement un très léger goût âcre. Je ne sais pas combien de temps Jose laisse reposer sa bruyère mais il est possible qu’il ne le fasse pas autant longtemps que ne le faisait un Bo Nordh. A la perfection, nul n’est tenu. Fort heureusement, dès le troisième bol, la pipe distille définitivement (je l’espère, l’avenir me le dira) un goût juste parfait, du début à la fin. Avec ce Best Brown Flake, c’est un exploit.
En conclusion, je pourrai dire beaucoup de choses. Qu’on n’est jamais à l’abri de belles surprises et rencontres. Que l’ère d’internet peut avoir du bon en permettant ce genre de rencontre. Que 300 euros pour un tel travail, en particulier le sablage, ce n’est pas cher payé et que mon petit doigt me dit que les prix pourraient bien grimper. Que je suis très content d’être bien tombé et ai eu plaisir à écrire ce mot. Que je suis quand même partagé car si vous allez baver devant les photos et contacter Jose, il sera tenté de suivre le vieux principe de l’offre et la demande et que j’aurai dû en acheter une dizaine d’avance, argument que ma femme ne peut comprendre.

une pipe de Jose Rubio

Mes bien chers frères de pipes, je vous souhaite de vous relaxer avec vos bouffardes, peu importe qui les ont fabriquées. Mais je vous assure que rien ne vaut le contact avec un artisan qui crée et commercialise lui-même ses pipes. Ce n’est pas Pierre Morel ni David Enrique qui me contrediront sur ce coup-là.

Bonnes pipes
Gilles Suisse