Errances d’une volute

par Laurent M

27/02/23

Saison 27 - Gawith, Hoggarth & Co. - Revor Plug, l’achilléen

“La douleur s’empara du fils de Pélée, et son cœur, en sa poitrine velue, hésitait entre deux sentiments. Allait-il tirer le glaive acéré qui touchait à sa cuisse, faire lever l'assistance et abattre l’Atride ; ou bien calmer sa bile et retenir son exaspération ?”

Avant d’entamer le Revor plug, j’étais mitigé comme Achille : allais-je détester et critiquer ou apprécier et être laudatif ? Voire rester entre deux dans la morne plaine de l’indécision et du haussement d’épaule ?

Que penser en effet de ce tabac particulier composé de virginie et de kentucky ? Le kentucky m’a laissé de mauvais souvenirs, comme un goût métallique dans la bouche, du genre de celui que l’on a quand on mâche une feuille d’aluminium. Quant aux Va, ce n’est pas les mélanges qui m’attirent le plus, mais comme les cocktails, tout dépend de ce qu’on met avec. D’emblée donc, l’approche est un peu méfiante mais je me dis que plein de personnes aiment ce Revor et qu’il faut se faire sa propre expérience, ne serait-ce que pour la beauté du combat. Je sors donc de ma bouderie relative comme Achille sort de sa tente.

Le Revor plug, comme son nom l’indique, se présente sous la forme d’une grosse barre brune d’un centimètre d’épaisseur qui permet de garder l'humidité. L’aspect est noir, gras, à lamelles épaisses et larges. Détacher les feuilles est déjà une expérience sensorielle. J’aime malaxer le tabac avec les doigts. Le contact est très satisfaisant et opère la continuité entre le travail de l’agriculteur et la bouche du fumeur. Il faut prendre son temps pour bien couper ou déchirer les morceaux. On sent d’emblée que l’allumage ne sera pas une simple formalité et qu’il faudra souvent porter la flamme. Même par les fortes chaleurs de ce mois d’août 2022 qui enflamment nos forêts au moment où je l’entame, ce tabac semble surtout conçu pour retenir l’humidité et éviter de communiquer la braise. Le faire sécher un peu est indispensable.

Il y a des odeurs de pain et de foin humide et j’y ai détecté quelques nuances de fruits rouges ou de confiture de tomates vertes avec une pointe vinaigrée. Il y a du sucré dans cette odeur et qui laisse une bonne impression olfactive. C’est de l’aromatique comme on l’aime, franc et discret, sans topping d'aromatisation désastreuse qui fait ressembler le tabac aux affreuses bougies parfumées.

Les essais du Revor ont, pour le début, été conduits dans 3 pipes calabash : les deux "reverse" de Getz et Chacom et la gourde de chez Baki.

Pour la Chacom, il n’y a que des louanges à avoir sur ce petit outil de fumage. C’est une pipe légère, tenant bien en bouche avec un tuyau confortable et qui est bien conçue pour retenir l’humidité de la condensation dans le cône profond du floc. Son aspect rondouillard lui donne une bouille sympathique. La Getz est plus “aride” dans la forme, mais le système calabash est profond. La tenue en bouche est moins facile, car c’est une pipe droite et un peu longue, ce qui fait qu’il faut serrer un peu plus les dents. Quant à la Baki, la chambre d’expansion est très généreuse et la gourde rend cette pipe imposante très légère. Les essais préalables faits sur cet engin "holmésien" m’ont convaincu du confort que cela procurait, sauf celui de se balader dans la rue.

Revor Plug

Le Revor, je l’ai dit, demande de la préparation. Il faut détacher les morceaux de la barre et bien les effeuiller pour séparer les brins et feuilles, puis les égrener en petits brins et éclats afin que, lors du bourrage, l’air puisse passer convenablement. On passe ainsi un certain temps à la préparation, mais c’est aussi cela le plaisir de la pipe, se débattre avec la matière végétale avant de se confronter au feu, puis à la fumée. Le tabac a besoin de sécher un peu et le fumeur peut aller se laver les mains rendues brunes par le contact de l’herbe.

Un premier essai de fumage, un peu brutal, m'avait refroidi avec la Getz, sans doute parce que je n’avais pas suffisamment préparé mon morceau de tabac et que je tirais trop fort. On ne dira jamais assez que la pipe n’est pas une activité de gens pressés. Il y a de la résistance. Le goût était âcre et puissant et il n’est redevenu acceptable qu’après un temps de repos. Le second essai se fait avec la Baki. A l’allumage, le goût est mordant, très franc, pas piquant ni irritant, mais avec le goût de la plante qui a fermenté à fond. C’est du tabac dans toute son acception. Et pourtant, passé les premiers moments de l'allumage dans la calabash, il se révèle extrêmement doux et je ne saurais expliquer ce qui est la part de la pipe avec son système de refroidissement, de celle du tabac.

Revor Plug Revor Plug

Avec la Chacom, l’expérience a été différente. Si le fumage se révèle excellent, le goût de la plante me laisse de marbre. Il y a une dureté sous-jacente dans ce tabac, un peu comme si l’on comparait l’eau calcaire avec de l’eau adoucie. La saveur est assez astringente avec ce poil d’amertume dans la bouche qui fait comparer le goût à celui que l’on a avec une boisson à la gentiane.

Quand je lis les avis publiés, on note des saveurs boisées et sucrées, des notes de cacao noir et de mélasse provenant du Kentucky, des notes florales. Certains évoquent l’odeur d’un ancien magasin de chaussures et d’autres un soupçon de latakia, ce que ma papille latakiaphile n’a pas permis de déceler. Dans l’ensemble, tout cela exprime une grande satisfaction. Pour moi, c’est juste une barre typique de G&H Lakeland-je-t’en-colle-une-baffe. C’est un bon tabac, certes, avec un goût très franc qui fait mesurer encore plus le regret de ne pas disposer plus de beaux produits comme cela pour le commun des fumeurs de pipes. Réellement, c’est une satisfaction de sentir et goûter ce tabac qui ne peut laisser indifférent. Si on apprécie par exemple le Condor vert, que j’ai goûté récemment, ce tabac plaira en développant une complexité de goût supérieure. C’est un tabac à l’ancienne, de celui que l’on prend en extérieur pour se balader dans les bois, un de ceux qui te font sentir la dureté de la nature, la pénibilité du travail, de celui qui peut se faire malaxer par des mains calleuses ayant travaillé la terre durant une journée brumeuse. C’est du franc, du costaud, mais pas du brutal car il est doux au goût, ne pique absolument pas la langue.

Comment te dire adieu ?

Pour autant, cher pluggy, quelles que soient les qualités intrinsèques que tu me présentes, quel que soit ton beau CV et ta parentèle, tu me laisses de marbre. Je sais, je sais, tu es complexe et sombre, bien habillé et sophistiqué, mais voilà, le burley en mode Kentucky n’est pas la vêture qu’il faut prendre pour m’emmener en soirée avec toi. Tu trouveras sûrement de meilleurs cavaliers pour le bal des volutes que ton humble et éphémère serviteur. Et puis, je dois bien te l’avouer, tu demandes vraiment beaucoup d’attention, car outre le fait de t’apprêter en te malaxant longtemps, le fait de te rallumer très fréquemment a fait beaucoup baisser l’estime que je te portais au premier abord. Je te salue donc bien bas avec le respect que l’on doit à un gentleman tabac.

revor plug


Giovanni Battista Gaulli, dit Baciccio (Gênes, 1639 - 1709 Rome), La Querelle d'Achille et d'Agamemnon, 1685-1695 (détail). Huile sur toile, 149,5 x 225 cm.. Acquis en vente publique à Bourges en 1963. Beauvais, MUDO-Musée de l'Oise © Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, Heures italiennes : Le Naturalisme et le Baroque, XVIIe siècle, MUDO-Musée de l’Oise.
Source : le Curieux des Arts
Musée de l'Oise

“La douleur s’empara du fils de Pélée, et son cœur, en sa poitrine velue, hésitait entre deux sentiments. Allait-il tirer le glaive acéré qui touchait à sa cuisse, faire lever l'assistance et abattre l’Atride ; ou bien calmer sa bile et retenir son exaspération ?” (Homère-Iliade- Traduction Mario Meunier)