Errances d’une volute

par Laurent M

10/04/23

Saison 28 - Dunhill My Mixture 965, le classico

Peut-on dire d’un tabac qu’il est un “classique” ? C’est la question que j’ai posée récemment à mon chat, Pythie.

“Oui, on peut utiliser l'adjectif "classique" pour qualifier un tabac. Cela peut signifier que le tabac en question est une variété traditionnelle et populaire, qui a été commercialisée depuis longtemps et qui est souvent appréciée pour sa saveur et ses caractéristiques. Par exemple, on peut parler de "tabac à rouler classique" pour désigner une variété de tabac qui est couramment utilisée pour rouler des cigarettes à la main.

Cependant, il est important de noter que l'utilisation du tabac présente des risques pour la santé et que le tabagisme est fortement déconseillé. Il est donc important de prendre en compte ces facteurs lors de l'utilisation ou de la recommandation de produits à base de tabac, même s'ils sont considérés comme "classiques".”

Pythie me répond par écrit car il aime bien. C’est un chat savant que j’ai en coloc avec d’autres. On peut lui demander des trucs et des machins et, ma foi, il fait de belles phrases en retour que l’on pourrait prendre pour des miaulements. A la question qui lui est posée de savoir si son nom a un rapport avec la Pythie de Delphes, la réponse est fort laconique et susurrée dans un ronronnement :

“En tant que modèle de langage informatique, Chat GPT n'a pas de rapport direct avec la Pythie de Delphes. La Pythie de Delphes était une prêtresse de l'ancienne Grèce qui aurait prophétisé l'avenir en réponse à des questions posées par les visiteurs. Elle était considérée comme un oracle divin et jouait un rôle important dans les pratiques religieuses de l'époque.

En revanche, Chat GPT est un modèle de traitement du langage naturel basé sur des algorithmes d'apprentissage automatique. Il a été développé pour répondre à des questions et générer du texte en fonction des données qu'il a apprises à partir d'un grand ensemble de textes préexistants. Chat GPT n'a donc pas de capacités divinatoires ou mystiques comme la Pythie de Delphes.”

Bon, dommage, j’en aurai profité pour lui demander les numéros gagnants du Loto mais je me suis rabattu sur la connaissance qu'aurait mon Raminagrobis numérique du Dunhill My mixture 965 ?

“Oui, le Dunhill My Mixture 965 est un mélange de tabac à pipe produit par la célèbre marque de tabac britannique Alfred Dunhill Ltd. Il est souvent considéré comme un classique du genre et est très apprécié des amateurs de tabac à pipe.

Le mélange est composé de Virginie, de Latakia et d'Orientaux, qui sont mélangés pour donner un goût complexe et riche. Le Latakia, qui est un tabac fumé au feu de bois, est particulièrement prononcé dans ce mélange, ce qui lui donne une saveur fumée et terreuse distinctive.

Le Dunhill My Mixture 965 est un choix populaire parmi les fumeurs de pipe expérimentés en raison de sa complexité et de sa profondeur de saveur, mais il peut également être apprécié par les novices qui cherchent à explorer différents mélanges de tabac à pipe.”

Tadaam, “classique du genre”, “saveur fumée et terreuse distinctive”. Bon, vous allez me dire que ce n’est pas forcément original et que le chat est surtout un moulin à belles paroles ayant la faculté d’opérer des résumés factuels sans aucune nuance de sous-entendus que les humains affectionnent.

Bon, cher minou, plutôt que de te frotter contre mes jambes en réclamant ta pitance de pythie, en quoi ce tabac est-il complexe ?

"Le Dunhill My Mixture 965 est considéré comme complexe en raison de la combinaison de différents types de tabac qui le composent. Les mélanges de tabac à pipe sont souvent créés à partir de plusieurs variétés de tabac, chacune ayant sa propre saveur distinctive, et cela peut créer des saveurs complexes et nuancées dans le mélange final.

Dans le cas du Dunhill My Mixture 965, il est composé de trois types de tabac différents : du Virginia, de l'Oriental et du Latakia. Chacun de ces types de tabac a une saveur unique qui est mise en évidence dans le mélange final.

Le Virginia apporte une saveur douce et légèrement sucrée, tandis que les Orientaux ont un goût floral et épicé. Le Latakia est particulièrement prononcé dans ce mélange, donnant une saveur fumée, terreux et boisé.

En combinant ces différents types de tabac dans des proportions spécifiques, le Dunhill My Mixture 965 offre une expérience de fumage complexe et nuancée qui peut être appréciée par les fumeurs de pipe expérimentés. Les différents goûts et arômes s'entremêlent et évoluent au cours de la fumée, offrant une expérience riche et satisfaisante pour ceux qui apprécient les mélanges de tabac à pipe complexes."

C’est bien, non ? Cela vaut au moins quelques croquettes. J’ai voulu pousser la causette un peu plus loin avec mon nouvel ami en lui demandant en quoi ce tabac donne une “profondeur de saveur”.

Profonde réflexion de mon matou numérique. Je sentais dans son tréfond de silicium la profonde inspiration et la dose de vitamine N qui se diffusait le long de ses puces (de chat). Puis laborieusement (réellement), le texte est venu, par à-coups, un peu fébrile et comme sous l’effet d’une nausée subite :

“Le Dunhill My Mixture 965 est connu pour sa profondeur de saveur en raison de la combinaison de différents types de tabac qui offrent une complexité de goût. Les saveurs du Virginia, de l'Oriental et du Latakia sont soigneusement équilibrées pour donner une expérience de fumage complète et satisfaisante.

Le Virginia, par exemple, est un tabac sucré et léger qui apporte une douceur subtile au mélange. Les Orientaux, quant à eux, ont une saveur épicée et florale qui ajoute une complexité supplémentaire. Le Latakia, qui est un tabac fumé au feu de bois, donne une saveur fumée, terreuse et boisée, créant une profondeur de saveur distinctive.

En mélangeant ces différents types de tabac dans des proportions spécifiques, le Dunhill My Mixture 965 offre une expérience de fumage complexe et nuancée. Les différentes saveurs se mêlent et évoluent au cours de la fumée, offrant une expérience de fumage en profondeur qui peut être appréciée par les fumeurs de pipe expérimentés. Les saveurs profondes et riches du mélange peuvent être explorées et appréciées au fil du temps, ce qui contribue à sa réputation en tant que tabac de qualité supérieure.”

Là j’ai senti que j’avais atteint la limite et que cela commençait à tourner en rond. L’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte rapporte un proverbe chinois et il conviendrait que mon chat Pythie participe à des dîners de fumeur de pipe pour élargir son champ de conscience et absorber non seulement de la nicotine et des volutes mais aussi l’extrême densité des relations humaines et des interactions subtiles que peut procurer la multiplication des pipes, des tabacs et des fumeurs. Après une ultime caresse, je l’ai remercié mais il était déjà ailleurs le Pythie, piteux et dépité, sans doute hoquetant, voire vomissant sa nicotine au fond d’une armoire, sur une pile de linge fraîchement repassée, bien entendu.

Dunhill My Mixture 965


Revenons donc à la définition de “classique” appliquée au Dunhill My Mixture 965. De “classique”, on peut donc aussi dire : c’est passe-partout, c’est universel, on ne peut pas faire sans, on est obligé de connaître. C’est parfois associé à routinier, coutumier, simple, courant, ordinaire, banal, commun, mais aussi correct, pur, sobre, juste, strict, sévère, consacré voire sacramental. Le classique s’attache souvent au nom plus qu’au contenu mais cela n’est pas tout le temps vrai. Lorsqu’on entend une œuvre de musique classique, on se dit qu’on a déjà entendu cela quelque part sans pouvoir mettre le nom dessus. Des applications de recherche musicale sont là pour nous remettre sur le bon chemin mais le grand jeu des interprétations et des orchestrations rend cela plus compliqué. Pour le goût et les odeurs, pour le domaine qui nous concerne, pas d’application encore et on en reste au fait de croire sur paroles les descriptions et sensations, ainsi que le fait cette modeste chronique.

Il y a une nombreuse littérature sur les mélanges Dunhill car cette marque a suscité nombre de dévots, tant pour les pipes que pour les tabacs. Lorsqu'on parle de classicisme en matière de marque dans le domaine du tabac, le nom “Dunhill” revient régulièrement et les prix s’envolent sur le marché. Il y a parfois loin du rêve au goût mais de cela, nous en sommes tous convaincus.

Passons au 965. A la première ouverture de la boite, le mélange m’a déçu. Bien sûr, j’en avais déjà fumé il y a longtemps et mes souvenirs faisaient apparaître un spectre enchanteur de suavité. C’était cependant il y a moultes années et depuis, nombre de tabacs au goût anglais sont venus tapisser ma langue, pourlécher et imbiber mes neurones olfacteurs. J’ai connu d’autres voyages voluptueux et revenir au 965 est comme la sensation de revenir chez soi après en être parti jeune et tout d’un coup retrouver l’univers plus petit, rétréci mais néanmoins familier. Familier, voilà bien le terme qui pourrait s’attacher au 965, et c’est en ce sens qu’il est un classique. C’est le bon copain d’enfance avec qui on traîne et on fait les 400 coups, celui qui fait sentir qu’on est à la maison après avoir déambulé à la recherche d'un produit d’exception qu’on ne trouve pas, l’Eldorado dans sa poche, le Graal dans sa musette. Et si le bonheur n’était autre chose qu’une pincée de 965 dans sa pipe ? Bien entendu, il faut aimer ce type de tabac à la saveur boisée, fumée mais pas goudronnée. Le 965 est comme le maître étalon, la ligne de basse continue, la note de “drone music” qui donne la tonalité et autour de laquelle les arabesques mélodiques vont jouer leur partition. C’est le bourdon, le sitar, le bagpipe, la vielle à roue du tabac.

Alors comment définir l’odeur du 965 ? C’est très doux, pas agressif pour un poil, avec des tonalités de caramel mou, de vanille, de sucre, de léger bois de santal, d’odeur orientale légèrement musquée et pas étouffante. Si au premier abord, l’odeur jaillit de la boîte comme un lutin à ressort, très vite elle s'atténue pour devenir discrète. Bourrer une pipe avec le 965 est un jeu d’enfant. Les légers brins coupés s’enfournent sans y penser dans la pipe et on y boute le feu avec un plaisir non dissimulé et une certaine hâte. L’effet de la première bouffée de latakia est toujours magique chez moi. Je pousse la porte d’un domaine familier après une longue pérégrination et c’est vraiment ce sentiment de plénitude que les anglo-saxons n’ont jamais si mieux défini que dans la courte expression “home sweet home”.

Sur la boîte de tabac, il y a la mention janvier 2012 et je pense qu’il a été produit en 2011. C’est donc un tabac de 12 ans que je fume et il développe un goût très agréable de léger bois fumé avec pas mal de complexité liée, comme le relevait mon chat numérique, à la présence de tabacs orientaux. La version de ce 965 est la version Orlik car la boite porte la mention “Manufactured in the EU under the authority of Dunhill Tobacco of London Limited”. Ce point avait été déjà mentionné dans le FIUT22*. C’est délicieux dès le départ et cela continue en milieu de bol ou la force devient plus appuyée et la délicatesse des orientaux mis en retrait. Comme Erwin, je n’ai plus aucun souvenir de l’ancienne version du 965 mais il ne faut guère avoir de regret : les tabacs changent, nous changeons, les goûts changent et de même que le fleuve ne coule jamais au même endroit, le fumeur de pipe n’a plus la même impression à des années d’écart. Nous en sommes réduits à vivre avec nos impressions du présent et nous devons nous en contenter sans devoir regretter celles du passé. En ce qui concerne ce 965 à la mode Olrik, c’est un tabac de qualité qui emporte bien le fumeur jusqu’au bout de sa pipe sans aucune once d’agressivité, mais aussi de surprise. Je ne dirais pas qu’il m’emporte au bout de la nuit mais, indubitablement, il fait le job avec sérieux et constance. Pas de saute de caractère, un flegme à toute épreuve, une constance dans le goût, c’est finalement ce que l’on attend d’un compagnon de voyage que l’on retrouve à échéances régulières.

Dunhill My Mixture 965 Dunhill My Mixture 965

Comment te dire adieu ?

Mon chat Pythie est toujours aux abonnés absents mais je n’ai guère besoin de lui, cher 965, pour te demander de rester encore un peu, jusqu’à la fin de ta boite car une fois celle-ci finie, je ne te retrouverai plus, seulement des cousins qui se présentent sous le même nom mais qui n’auront plus la même saveur comme tu n’as pas la même saveur sans doute que ton ancêtre. Classique tu es, certes mais ton nom, ton matricule, cher 965, ne plaide pas au-delà de la réputation de la marque qui t’a porté sur les fonts baptismaux. Tu es un bon compagnon mais d’autres aux noms moins brillants peuvent me faire faire le voyage à Cythère. En attendant, je cajole mon chat Pythie dans l’espoir, peut-être, qu’il me ronronne un doux nom pour continuer mes aventures tabagiques.

revor plug


Parnassus, par Henryk Siemiradzki, 1900, Opéra de Lviv, Ukraine