Font-ils un tabac ? n°11

par Erwin Van Hove

30/07/12

G.L. Pease, Mephisto

Au moment de sa sortie, Mephisto était l’un de mes Pease favoris. Des stoved virginias bien doux, des herbes turques épicées, une bonne portion de latakia chypriote et syrien et une goutte de rhum. Le résultat était particulièrement rond et tout en harmonie. Il m’a donc fallu beaucoup de force de caractère pour conserver pendant dix ans quelques boîtes de cette diabolique tentatrice. Mais voilà enfin le jour J arrivé : dégustation de Mephisto à son apogée !

La douche froide.

L’odeur qui sort de la boîte me laisse passablement indifférent et quand je prends une pincée de tabac, je sens des brins durs et racornis qui grésillent entre mes doigts. En même temps je remarque des taches de rouille sur les parois de la boîte. Je la vide et ce que je découvre alors ne m’amuse pas exactement. Mais jugez vous-mêmes :

Pease Mephisto

Une tuile ? Une boîte avec un défaut de fabrication ? Pas du tout. Voici des photos d’une boîte de Raven’s Wing datant de 2001. Le fond est tellement rouillé qu’il est troué.

En vérifiant mon stock, j’ai trouvé encore quatre boîtes de GLP datant de 2001 à 2004 qui sont visiblement atteintes de rouille. Ma cave serait-elle trop humide ? Le fait qu’aucune boîte en provenance d’un autre producteur ne souffre de ce problème, exclut cette possibilité. D’ailleurs, en faisant une petite recherche sur le net, j’ai trouvé pas mal de plaintes concernant la piètre qualité des anciennes boîtes de Pease. Cela explique pourquoi en 2005 le blender américain s’est enfin mis à se servir de boîtes avec un revêtement destiné à la conservation d’aliments.

Et le tabac dans tout ça ? Inutile d’écrire un article. Acide, déséquilibré et piquant, il n’a plus rien en commun avec le petit chef-d’œuvre de rondeur d’antan. Pour une déception, c’est une déception. Après réhydratation, il est vrai qu’on devine les saveurs profondes et harmonieuses qu’aurait pu livrer le Mephisto s’il avait été bien conservé, mais une note trop acide et le piquant typique d’un tabac desséché continuent à prendre le dessus.

Faut-il se montrer indulgent et considérer qu’il s’agit là d’une erreur de jeunesse de la part d’un blender manquant d’expérience ? Absolument pas. Le 17 août 1999, Greg Pease, jamais à court d’opinions et de conseils, s’est exprimé dans un fil sur ASP (alt.smokers.pipes) sur le problème de boîtes qui rouillent. Il y déconseille de conserver des boîtes de tabac dans un environnement humide parce qu’elles risquent de rouiller depuis l’extérieur vers l’intérieur : Even though the internal surfaces of the tins are coated (if they are good tins, that is), the external surfaces can rust through. (Même si l’intérieur des boîtes est revêtu (en tout cas s’il s’agit de bonnes boîtes), l’extérieur peut rouiller.) En 1999, Greg Pease est donc clair et net : une bonne boîte est une boîte avec un revêtement. Qu’il ait vendu jusqu’en 2005 des boîtes sans revêtement, me paraît donc tout simplement inouï, d’autant plus qu’il a toujours prétendu que ses tabacs étaient conçus pour être encavés pendant de longues années.

Une regrettable erreur ? Mon œil !

G.L. Pease, Renaissance

Encore une boîte toute rouillée datant de 2002. Bref, en comparaison avec les brins qui en sortent, les chemises de l’archiduchesse sont trempées, archi-trempées. Pour redonner un semblant de vie à ce tabac momifié, il faut donc le réhumidifier à l’eau minérale.

Voilà qui est fait. Le nez est fermé et introverti, sur le cuir. Pourtant, tel que je me le rappelle, le Renaissance humait bon les épices d’Orient. Ca promet…

Le tabac se présente en coupe assez grosse et révèle d’emblée sa composition : plus brun que noir, c’est un anglais plutôt léger qui met davantage l’accent sur les orientaux que sur les latakias chypriote et syrien qui servent de condiment. La base, cela va de soi, est faite de plusieurs virginias.

Tout au long du fumage, je balance entre admiration et frustration. Grâce à la décennie d’encavement, tous les ingrédients se sont fondus et constituent désormais un modèle de parfaite synergie. C’est un orchestre symphonique à la tessiture étendue. Et puis, c’est profond, très profond. Quel dommage que tant de soyeuse majesté se voie corrompue par des notes asséchantes au fond de la gorge dues à la dessiccation.

Si ce tabac avait été bien conservé, il ne fait pas de doute qu’il aurait été magistral. Quel gâchis !

John Patton, Storm Front

Avec Storm Front, une composition de deux burleys en cube cut et de tabac à cigares, John Patton frappe fort et juste : voilà un burley blend suave et goûteux, tout en équilibre.

Le nez de ce mélange uniformément brun ne trahit pas la présence de tabac à cigares. On sent du burley et rien que du burley. Ceci dit, on est plus sur la noisette, voire sur l’amande que sur les notes terreuses. En tout cas, c’est carrément appétissant.

L’hygrométrie étant parfaite, le bourrage et l’allumage sont extrêmement faciles. D’emblée, le palais est caressé d’une fumée veloutée et riche qui véhicule de la nicotine, certes, mais surtout l’agréable saveur d’un burley presque doux. Bien sûr, l’amertume naturelle du burley est bien là, mais elle est contrebalancée par un délicat moelleux que j’apprécie beaucoup. Remarquez que le Storm Front n’est pas un typique cigar blend dans lequel le tabac à cigares roule des mécaniques. De temps à autre, on devine plus qu’on ne goûte sa présence et cependant il est évident que la cigar leaf confère à ce blend une certaine profondeur.

La combustion est parfaite et passablement lente. A aucun moment la langue et les muqueuses ne se sentent menacées : ce tabac n’a rien d’agressif. S’il n’y a pas d’évolution spectaculaire, il est à noter que la finale gagne en intensité et en ampleur pendant que le tabac à cigares s’exprime davantage.

Le Storm Front n’est pas un chef-d’œuvre de complexité. Mais qu’à cela ne tienne. Moelleux et crémeux, c’est l’un des meilleurs burley blends qu’il m’ait été donné de goûter.

Distribué en exclusivité par 4Noggins.

HU Tobacco, Light Aromatic Flake

Quand à l’occasion du pipe show de Lohmar, Hans Wiedemann a sorti une série de trois flakes en édition limitée, son initiative m’a enthousiasmé. Ceci dit, l’un des trois, baptisé Light Aromatic Flake, ne m’intéressait pas vraiment pour des raisons évidentes. Et pourtant voilà Hans de me persuader que je devrais quand même l’essayer parce que lui-même, tout comme moi un amant froid de la gente aromatique, déguste ce flake avec plaisir.

Je suis content de l’avoir écouté.

Cinq virginias en provenance des Indes, des Philippines, de Zambie, de Tanzanie et de Grèce sont aromatisés au chocolat, à la noisette et au piment rouge. A l’ouverture de la boîte, les flakes allant du fauve au marron dégagent une odeur engageante : des notes fruitées et épicées des virginias et des arômes facilement reconnaissables de chocolat et de noisette. Et, surprise, quand on inhale profondément, on sent même un léger picotement de piment. Remarquez que les parfums qui se dégagent de la boîte, n’ont rien de caricatural, mais, au contraire, se montrent discrets, voire raffinés.

Il ne faut pas sécher les flakes qui s’émiettent facilement. Dès les premières bouffées on est frappé par une évidente harmonie : les virginias sont tout doux, il y a suffisamment d’acidité et d’amertume, et puis, plutôt que de masquer la vraie nature des tabacs, les délicats arômes de chocolat et de noisette soutiennent et relèvent le fruit épicé du VA. Le résultat est une fumée complexe vraiment satisfaisante. Par contre, si votre satisfaction dépend du taux en vitamine N, vous risquez de rester sur votre faim.

La combustion est facile et lente et les virginias n’agressent nullement la langue. Celui qui sait fumer posément et attentivement, est récompensé, dès la fin du premier tiers de bol, par une suite de variations et permutations intéressantes : on vire entre l’épicé et le chocolaté, et tantôt la fumée gagne en profondeur, tantôt le palais décèle une note pimentée. Puis, à partir de la deuxième moitié de bol, les saveurs s’entremêlent intimement et s’intensifient pour former un tout cohérent et épicé du plus bel effet.

Voici donc un aro policé et élégant qui peut combler le fumeur de tabacs naturels. Composé de main de maître, le Light Aromatic Flake est une nouvelle illustration convaincante du style de Hans Wiedemann : subtil et en mineur, harmonieux et équilibré.

Cette édition limitée n’est plus disponible, mais suite aux multiples éloges de clients satisfaits, Wiedemann, après avoir légèrement modifié la recette pour conférer au flake un peu plus de tempérament, l’a introduit dans sa gamme normale sous le nom de Tillerman.