Font-ils un tabac ? n°16

par Erwin Van Hove

21/01/13

4noggins, Button Bay

Encore une création de Rich Gottlib, le propriétaire de la civette en ligne 4noggins.com. C’est un mélange à base de burley et de virginia rehaussé de tabacs turcs, de latakia et de perique. Tout un programme. Pour marier tous ces ingrédients, il faut du talent et de l’expérience. Le civettiste serait-il un blender à part entière ?

Livré en vrac et encavé pendant un an, le tabac qui va du ribbon cut à la grosse coupe, est sec mais souple. Visuellement attractif avec toutes ses tonalités de brun ponctuées d’accents noirs, au niveau olfactif le mélange étonne par sa retenue : de la noisette, du vinaigre, des épices, du fumé, mais tout en douceur et en finesse. Modeste mais agréable.

A l’allumage, les impressions de noisette trahissent immédiatement que le Button Bay se base davantage sur le burley que sur le virginia qui se borne à adoucir le caractère austère de son compatriote. Le latakia apporte une légère touche fumée, le poivre du perique titille les muqueuses et de temps à autre les orientaux relèvent la fumée de leurs épices. Le résultat est plaisant et paisible, la finesse et la modestie du nez se retrouvant en bouche. Ajoutez à cela que pour un mélange à base de burley, la fumée est remarquablement satinée et vous comprendrez que le Button Bay est vraiment bien fait. C’est le genre de tabac discret et sans prétention qui ne cherche pas à vous bouleverser, mais que vous pouvez fumer du matin au soir sans vous en lasser.

Le Button Bay est un mélange harmonieux qui peut intéresser à la fois l’amateur de burley et celui qui apprécie un anglais très léger.

Gawith Hoggarth & Co, Dark Flake

La mise en garde sur le site web de Gawith & Hoggarth est claire et nette : le Dark Flake est un tabac fort qui s’adresse exclusivement au fumeur chevronné. Et quand les producteurs du Lakeland dont les recettes traditionnelles ne brillent pas exactement par leur légèreté, ressentent le besoin de lancer ce genre d’avertissement, ils ne blaguent pas. Chez eux, fort, ça veut dire FORT. Je me prépare donc à un coup de massue nicotinique.

Composés de 50% de dark fired Malawi burley et de 50% de dark air-cured virginia en provenance de l’Inde, les flakes longs, bruns foncés et légèrement huileux dégagent un arôme discret, délicatement boisé et fumé avec une touche mentholée et une pointe de parfum Lakeland. Avant de passer au fumage, il est impératif de prendre son temps pour émietter les flakes assez humides, sinon la combustion s’avère difficile. Personnellement, je roule d’abord les flakes entre mes paumes, puis je triture longuement les brins obtenus. En outre, je conseille un bourrage léger.

L’allumage est un vrai plaisir : d’emblée le palais est caressé d’une fumée grasse et veloutée bourrée de goût. Le burley, séché au-dessus de feux de bois, dégage ses saveurs boisées, de viande fumée et de cigare fort et rustique, pendant que le virginia séché à l’air libre et longuement fermenté déroule un tapis moelleux de douceur velours. Un virginia aussi suave et crémeux est rare et prouve à quel point le blender britannique maîtrise l’art de la fermentation. Bref, cette fusion de virile rusticité et de féminine onctuosité est profondément satisfaisante.

Et la vitamine N alors ? Ben oui, c’est fort. Vraiment fort. En fumant le Dark Flake le matin, il m’est arrivé de devoir poser ma pipe parce que mon cerveau et mon estomac criaient à l’overdose. C’est donc un tabac à fumer posément après un bon repas et à la condition explicite d’avoir suffisamment de carrure pour supporter une ahurissante ration de nicotine.

Le Dark Flake est un tabac à l’ancienne, c’est-à-dire terre-à-terre et sans chichi. Un tabac d’homme dans lequel l’austère et rébarbatif fire-cured kentucky est apprivoisé par un blender de talent. Une fois de plus Gawith & Hoggarth confirment que leurs recettes séculaires et leur style d’antan ne seront jamais démodés.

McClelland, Royal Cajun Ebony

En consultant le répertoire (fontilsuntabac.htm),vous trouverez des articles sur les deux autres déclinaisons du trio Royal Cajun : au moment de l’achat, le Dark était mon favori, mais à l’âge de six ans il avait fini par me paraître quelque peu décevant, alors que le Special qui au début m’avait semblé plutôt anodin, m’avait enthousiasmé six ans plus tard. Qu’en est-il du dernier mélange Royal Cajun qui met en exergue le Cajun Black, une herbe dont McClelland détient l’exclusivité ?

Baptisé à bon escient, le Ebony ressemble à de petits morceaux de charbon de bois. Et ça se comprend puisqu’il est composé de virginia longuement étuvé et de kentucky fumé, puis fermenté sous pression dans des barriques. Le nez à la fois vineux, fumé et boisé est intense et complexe. On y trouve du vinaigre et de la sauce barbecue, de la cassonade et du café, du sirop d’érable et des raisins secs. Ca met l’eau à la bouche.

Vu que le tabac se présente sous forme de petits morceaux assez durs plutôt que de brins souples, un bourrage léger s’impose. Et même en respectant cette caution, il vous faudra fort probablement rallumer plus qu’à l’accoutumée. C’est d’ailleurs le seul inconvénient de l’Ebony parce que niveau goût, il brille. Il arrive en effet à restituer sous forme de saveurs toute la palette des arômes que dégage la boîte. Dès lors, la fumée est riche et pleine de nuances. Veloutée et pas agressive pour un sou, elle trouve un équilibre parfait entre une acidité revigorante et une bienfaisante douceur sous-jacente. Personnellement, j’aurais souhaité un petit supplément de vitamine N, mais qu’à cela ne tienne, je trouve le Ebony tellement savoureux que je suis prêt à tout lui pardonner.

Le Cajun Black se veut une alternative au perique pour relever des virginias. D’une part parce que le perique déplaît à une partie de la clientèle. D’autre part parce que l’authentique perique est une denrée vraiment rare. D’ailleurs pas mal de mélanges qui soi-disant contiennent du perique, en réalité recèlent des herbes qui imitent avec plus ou moins de bonheur les effets du tabac en provenance de la Saint James Parrish. Le Cajun Black, lui, n’est nullement un inavouable ersatz. Il a sa personnalité propre et il l’affiche fièrement. Même si ses apports n’ont pas grand-chose en commun avec ceux de son cousin de Louisiane, il se montre un partenaire de choix pour un heureux mariage avec dame Virginia.

Recommandé.

Dan Tobacco, Hamborger Veermaster

Les caractères gothiques sur la boîte induisent plus d’un en erreur, ce qui fait que sur le web on trouve plein de références au Hamborger Beermaster. Détrompez-vous : ce virginia flake porte bel et bien le nom d’une ancienne chanson de marin (Quatre-mâts hambourgeois) et non pas d’un brasseur.

D’emblée je vous avoue que je ne suis pas le plus grand fan de virginias dorés dans le style du Mac Baren Virginia N°1 ou de l’Orlik Golden Sliced. Je trouve ces blondinettes plutôt superficielles et barbantes en comparaison avec les langoureuses et envoûtantes maîtresses que sont les virginies acajou, voir noirs longuement étuvés. Or, le Hamborger Veermaster, c’est à 100% du virginia blond. Je m’attends donc à du foin fruité qui risque de mordre.

Bruns clair et passablement secs, les flakes dégagent en effet des arômes fruités. Quoique le mélange soit présenté comme un tabac naturel, je suis certain qu’avant de sceller la boîte, on y ajoute un top flavor, parce qu’après quelques jours l’odeur de fruits finit par disparaître. Reste alors un virginia flake au nez discret et neutre. Bien sûr on peut émietter les petites tranches, mais vu leur degré d’hygrométrie idéal, je préfère les plier en deux, les rouler légèrement et les enfourner telles quelles.

Dès les premières bouffées, je me rends compte que mon préjugé est incorrect : je suis surpris par le goût virilement épicé et par la carrure. On est loin des virginias anodins et espiègles. Il y a du sucre, mais sans excès, une légère amertume qui n’est pas désagréable, de la vitamine N et une certaine profondeur. Le caractère épicé domine tout au long du fumage et vers la fin le Hamborger Veermaster roule des muscles et concentre les saveurs.

Certes, ce n’est pas ce tabac qui va me faire oublier les stoved virginias à la McClelland. Mais il faut le dire : dans son genre, c’est une incontestable réussite que je peux recommander sans réserves, même aux langues sensibles. Franchement, c’est l’un des meilleurs virginias blonds que je connaisse.