Font-ils un tabac ? n°47

par Erwin Van Hove

24/08/15

Dunhill, De Luxe Navy Rolls

Je vous vois venir, vous attendez de moi que je tranche vite fait bien fait la question à 100 balles de tabac : le Navy Rolls et l’Escudo sont-ils identiques ? Forget it. No way Jose ! Depuis des décennies amateurs éclairés, dégustateurs attitrés, voire pros du tabac émettent avec aplomb des opinions, développent des arguments qu’ils prennent pour des preuves et, systématiquement, se contredisent. Penser qu’un petit Belge connaît la réponse et va vous révéler La Vérité est donc un tantinet naïf. Vous me direz que je pourrais au moins comparer mes notes de dégustation de l’Escudo (artfontilsuntabac34.htm) avec celles du Navy Rolls et présenter mes conclusions. Ca ne servirait à rien et pour une bonne raison : mes boîtes d’Escudo sont encavées depuis des années, alors que la boîte de Dunhill que je teste a été achetée tout récemment.

Qu’est-ce que je peux vous dire alors ? Que c’est un plaisir que de manier ces appétissants médaillons qui invitent à expérimenter avec le bourrage. Que l’Escudo tel que je l’ai dégusté, s’exprime davantage sur les fruits secs que le Navy Rolls. Que par conséquent le Dunhill me paraît moins doux et fruité et développe avant tout des saveurs de tabac. Oui, de tabac. Qu’il se fume tout seul et qu’il n’agresse ni votre langue ni vos muqueuses. Qu’il contient suffisamment de vitamine N pour vous combler sans risquer de vous assommer. Qu’il brille par son équilibre et sa finale intense. Bref, que tout comme l’Escudo, le Navy Rolls est un tabac incontournable pour tout amateur de VA/perique.

Je peux vous dire aussi que si vraiment l’Escudo et le Navy Rolls sont des monozygotes, mes papilles me prouvent une fois de plus que les VA/perique gagnent en fondu et en richesse au cours d’un encavement de plusieurs années. La patience paie.

McClelland, Blackwoods Flake

Encore un McClelland que vous me dites. Oui, mais pas n'importe lequel. Pour tout amateur du style McClelland, c'est un véritable monument. C'est en quelque sorte la version grand luxe du célébrissime 5100 puisque le red virginia est rehaussé de stoved black virginia et que le tout est âgé avant d'être mis en boîte. C'est donc le genre de virginia blend qui vieillit avec bonheur et qui mérite d'être encavé pendant de longues années.

La boîte que je m'apprête à déguster date d'ailleurs d'août 2003. A ceux qui n'en ont jamais fumé avant, le Blackwoods Flake réserve une surprise au moment où l'on tire la languette : il s'agit d'un broken et non pas d'un vrai flake. N'empêche que la vue de ces beaux morceaux acajou et noirs vous met d'emblée en appétit, d'autant plus que de somptueuses odeurs aigres-douces et épicées de sauce barbecue vous titillent les narines. Après douze ans d'encavement, les fragments de flake sont parfaitement souples et se transforment en un tour de main en brins faciles à bourrer.

C'est parti et c'est bien parti. Voilà un parfait exemple de la richesse de saveurs dont est capable le virginia revu et corrigé par McClelland. Remarquez que ces saveurs n'explosent pas en bouche, mais plutôt s'y lovent délicatement pour y ronronner d'aise. Tonique et crémeuse à la fois, la fumée réveille vos papilles pour les cajoler ensuite. D'une part, il y a l'acidité marquée et le piquant des épices, d'autre part des crêpes à la cassonade et au beurre salé.

Les herbes se consument gentiment sans s'éteindre et sans vous agresser la langue. Pas d'attentat à la nicotine non plus. Au contraire, dans la première moitié du bol, la vitamine N s'administre à faible dose. Ce n'est que lorsque la fumée commence à évoluer vers des saveurs plus sombres sur le grillé et le boisé que Lady Nicotine vous enlace.

Si vous aimez fumer épicé et aigre-doux, vous vous devez d'essayer le Blackwoods Flake. Dans son genre, il est incontournable. C'est sans conteste l'un des meilleurs virginias purs de l'impressionnant catalogue de McClelland.

Smokers' Haven, Exotique Mixture

Au cas où vous ne connaîtriez pas les tabacs de la civette américaine, plutôt que de me répéter, je vous renvoie à : artfontilsuntabac23.htm.

Quand voici une quinzaine d'années, j'ai découvert Smokers' Haven et sa gamme de tabacs maison produits par J.F. Germain, j'étais vraiment sous le charme. Pour l'amateur de latakia et d'orientaux que j'étais alors, le site web de Premal Chheda était le paradis sur terre. Sans tarder je me suis donc constitué un beau stock de boîtes 8oz, d'autant plus qu'à cette époque ces tabacs n'étaient pas encore en quasi perpétuelle rupture de stock, vu qu'ils étaient encore inconnus du grand public. D'ailleurs il a fallu attendre 2004 pour voir apparaître sur Tobaccoreviews le premier commentaire.

L'Exotique était sans conteste mon favori. La description imprimée sur la boîte RICH, FLAVOURFUL, DELICIOUS, TASTY, MELLOW était en plein dans le mille. A tel point que pour moi ce virginia/latakia/turcs était l'archétype du balkan blend traditionnel réussi. La combinaison d'un latakia du tonnerre avec des tabacs turcs élégants et espiègles sur un fond discrètement doux de virginia me paraissait exemplaire.

La boîte de 225g que je viens d'ouvrir, date de 2004. Je suis curieux de savoir comment les herbes ont évolué sous l'influence de ces onze ans d'encavement. Le tabac n'est pas en contact avec les parois de la boîte puisqu'il se trouve dans un sac en plastique. Vu que le métal n'est pas recouvert d'une couche antirouille, c'est une bonne pratique. D'un autre côté, le plastique aide à conserver l'humidité, ce qui n'est pas exactement un avantage dans le cas des mélanges de Smokers' Haven. Ce sont en effet des tabacs systématiquement trop humides et même après onze ans mon Exotique a besoin de sécher un peu avant d'être bourré.

Comme tous les autres mélanges de la série, l'Exotique est un ribbon cut extrêmement fin, à l'ancienne. On décèle peu de contraste dans ce blend plus brun que noir. Le nez est clairement fondu par le temps : c'est un tout harmonieux et équilibré dans lequel on peine à découvrir des arômes individuels. En humant longuement, il m'arrive de distinguer du vernis à la térébenthine, mais fondamentalement on est sur des notes empyreumatiques doublées d'un parfum légèrement fruité et étonnamment frais sur fond doux.

Un mélange aussi fin demande du doigté au moment du bourrage : tassez trop fort et vous étouffez le goût. L'allumage est un grand moment : sans préambule, l'Exotique se met à dégager des saveurs intenses. Du gorgonzola, de la livèche, du cuir, du jambon de la Forêt Noire, du feu de camp. Il est clair qu'avec le temps, le latakia a pris le dessus. Les tabacs turcs s'expriment nettement moins que dans leur jeunesse et se bornent à tonifier la structure avec une bonne dose d'acidité épicée. Or, le virginia est suffisamment suave pour amadouer l'effet caustique et poivré. Il en résulte un équilibre irréprochable : la fumée est veloutée et roborative à la fois et les saveurs perdent leur individualité pour former d'harmonieux accords aigres-doux. A condition de fumer posément et d'aspirer à petits coups, sinon l'équilibre se perd. L'acidité prend alors le dessus et risque même d'attaquer la langue. Heureusement, il ne faut pas être un as du fumage pour garder la pipe allumée sans produire des nuages de fumée : le tabac se consume tout gentiment et sans histoires. Il suffit d'y aller mollo avec le tasse-braises.

L'intensité des saveurs empyreumatiques, épicées et aigres-douces reste constante du début à la fin et par conséquent, on peut regretter l'absence d'évolution. Par ailleurs, je comprendrais aisément que tant de puissance gustative puisse fatiguer le palais de certains.

A l'âge de onze ans, l'Exotique se comporte davantage comme un anglais que comme un balkan. Vu que je ne suis plus le plus grand des latakiophiles, je le regrette. Cela ne m'empêche pas d'admirer l'équilibre et l'ampleur de ce mélange exceptionnel. Si vous cherchez du latakia baraqué, riche et percutant, n'hésitez pas, vous serez aux nues. Il est cependant à noter que depuis peu, l'Exotique n'est plus référencé sur le site web de Smokers' Haven. A suivre.